Vers les premières Assises de l’hospitalité ?

Publié le 22 avril 2024
8 min

Un vent nouveau d’hospitalité souffle à Marseille et pour une fois le Mistral n’y est pour rien. Ce vent est le fruit d’une coalition d’organisation de la société civile (coopératives, associations, collectifs professionnels et citoyens) qui propose à la ville d’organiser les premières Assises marseillaises de l’hospitalité

Un développement touristique de moins en moins à destination des Français

Alors pourquoi ces acteurs locaux bien ancrés dans leur terreau urbain font en ce début d’année cette proposition ? Premièrement ce sont des personnes qui évoluent depuis des dizaines d’années dans les différents champs de l’hospitalité et qui en observent le développement sur leur territoire. Marseille a toujours été une terre d’hospitalité, depuis ses origines phocéennes jusqu’à l’accueil des JO 2024 à venir cet été. Cependant l’hospitalité à fortement changé à Marseille ces dernières décennies et ce n’est pas propre qu’à la cité phocéenne. Partout en France on observe le même schéma qui s’opère, celui de la montée en gamme.

À Marseille, ils ont vu le nombre de chambre d’hôtel une étoile passer de 1067 en 2010 à 101 en 2019 et sur la même période le nombre de chambre 4 étoiles passer de 1063 à 2273. D’un côté -91% et de l’autre +114%. Une montée en gamme qui s’observe partout en France comme le montre l’indice de croissance annuel des prix à la consommation.

Évolution de l’indice annuel des prix à la consommation – Base INSEE 2015

On peut lire dans ce graphique que les prix dans le tourisme et les loisirs augmentent 2 à 3 fois plus vite que dans le reste des secteurs de consommation et c’est particulièrement vrai sur les 15 dernières années. Cela illustre parfaitement une chose : le développement touristique est de moins en moins à destination des Français. En effet, si le développement touristique était à destination des Français la courbe des prix suivrait davantage la moyenne nationale. C’est le cas par exemple pour les logements étudiants qui pourtant doivent composer avec une forte augmentation du foncier.

Un appel pour un développement concerté

Durant la fin du XXème siècle il y avait une logique à structurer territorialement la montée en gamme. Les OGD et même les acteurs privés ont eu envie de se professionnaliser, d’homogénéiser leurs offres et de développer un parc qui était parfois disparate et vieillissant. Que le nombre de chambre une étoile diminue n’est pas forcément un problème, mais qu’en 9 ans leur nombre est était divisé par 100 cela questionne. Où sont donc passer toutes les personnes qui s’y logeaient ?  Où se logent-ils désormais ? Ont-ils tous montée leurs revenus 2 ou 3 fois plus vite que la moyenne nationale ? Nous pouvons en douter.

Cette montée en gamme qui s’observe partout sur notre territoire est donc de moins en moins en phase avec les moyens des Français. De ce fait cela rend certaines hospitalités désormais impossibles. En premier lieu l’hospitalité touristique qui est de plus en plus difficile d’accès pour les revenus modeste. Mais également pour les autres motifs d’hospitalité. À Marseille, là où nous avons collecté des données, la location de meublé touristique a connu une croissance de l’offre de 50% entre 2016 et 2019. Les annonces sur Airbnb ont fait x2 tous les ans entre 2011 et 2017, une croissance exponentielle. Encore une fois, qu’il y ait un développement de ce type d’offre n’est pas un problème, que cela empêche des personnes d’être héberger à Marseille cela en est un. En 2019, d’après ImmoJeune, 7 jeunes sur 10, âgés de 18 à 30 ans ont rencontré des difficultés à trouver un logement dans la région. Ceci est un exemple mais il en existe des dizaines. C’est tout le sens de cet appel aux Assises de l’hospitalité : proposer un développement concerté de l’hospitalité dans sa globalité afin de préserver les équilibres sur le territoire.

Travaux de Stéphanie Nava, crédits coopérative Hôtel du Nord

Une stratégie motivée par le développement économique

Si la montée en gamme est autant marquée en France et que l’indice des prix creuse un tel écart avec la moyenne national c’est pour une raison que nous connaissons tous : la recherche du panier moyen le plus élevé possible, et notamment au travers de la clientèle internationale. Toutes les enquêtes d’Atout France, des CRT et les études de marchés le montrent, la clientèle internationale est celle qui a le panier moyen le plus important. En PACA par exemple, ils représentent 29% des séjours et 45% des recettes. C’est donc naturellement un axe de développement tout trouvé pour augmenter les retombées locales. Cependant il n’existe pas à notre connaissance d’étude précise sur le type de retombée économique et le type d’emploi que cela soutien. Comment se répartissent ces retombées ? Socialement, sectoriellement et géographiquement ? Quel impact sur les flux, la sur fréquentation, le soutien aux autres économies locales, etc. ? Il n’existe pas non plus d’étude complète sur les coûts nécessaire à ce développement, que ce soit les coûts marketing, en infrastructures (des aéroports locaux aux balances déficitaires), de l’évènementiel et je parlerais plus tard des coûts environnementaux qui eux sont évidemment catastrophique.

Dans cette analyse économique, la question de l’accès à un hébergement à des conditions adapté est de mon point de vue essentiel. Premièrement, on ne peut se développer hors sol indéfiniment. Les modes changent, les aléas sont de plus en nombreux et la concurrence entre les destinations est féroces. Nous renforçons notre vulnérabilité vis-à-vis de tous ces facteurs en nous développant ainsi. C’est donc à la fois pertinent en termes de performance et risqué en termes de vulnérabilité. Là encore un développement concerté et équilibré semble être une stratégie plus durable. Secondement, les effets de bords sur nos économies locales sont très dangereux. En effet les autres secteurs d’activités de nos territoires ont des besoins d’hospitalité eux aussi :

  • Les facultés ont besoin de logement étudiants,
  • Les commerçants et artisans ont besoin d’apprentis et de stagiaires,
  • L’évènementiel ou encore le BTP ont besoin de loger des travailleurs détachés,
  • Certaines situations sociales nécessitent des solutions d’hébergement d’urgence,
  • L’hôpital a besoin de loger le personnel en formation et les hospitalisations or les murs, comme les femmes enceinte en risque d’accouchement prématuré et qui résident à plus de 45mn d’un hôpital,
  • Et bien d’autres encore.

Dans cette longue liste, de nombreuses personnes séjournent dans des établissements de catégorie touristique. En réservant soit par leurs propres moyens, soit par le biais de convention avec des tiers de confiance. Cette porosité existe car les solutions de logement sont souvent saturées alors que le parc touristique est celui qui a le taux d’occupation le plus faible du secteur. Il y a là aussi une question d’efficience et d’optimisation des infrastructures existantes. D’un côté des besoins d’hébergement et de l’autre des lits vide. La mise en œuvre n’est pas facile, c’est bien pour cela que ce n’est pas très développé, mais des solutions existent désormais pour pratiquer cette hospitalité tout en assurant la cohérence au sein de sa structure et beaucoup d’hébergeurs touristiques le font déjà !

Travaux de Stéphanie Nava, crédits coopérative Hôtel du Nord

Un plus grand nombre encore réside dans des solutions d’hébergement lié au marché et aux dispositifs locatifs mais nos territoires et les bâtis qui s’y trouvent n’étant pas Buzz l’Éclair (vers l’infini et au-delà !), cela engendre des tensions que tout le monde connait. Si ces personnes ne peuvent plus se loger alors les activités liées, les emplois liées et les retombées économiques liées décroissent. C’est déjà ce que l’on observe à certains endroits et c’est ce que certaine étude montre. Un sondage réalisé par l’institut OpinionWay pour la plateforme Wellow indique que 12% des moins de 35 ans ont complètement renoncé à suivre leur formation, à cause du prix des logements. Et 17% des 18-24 ans déclarent avoir abandonné leurs études, pour la même raison. On voit à travers ces chiffres que le secteur de la formation et des études supérieurs à un potentiel de croissance dont le frein principal est l’accès au logement.

Actuellement, aucune étude ne documente ni ne mesure précisément cela. Quelles sont les pertes économiques et d’emplois pour un territoire qui ne parvient plus à loger ses étudiants, ses travailleurs, son personnel soignant, etc. ? Dès lors nous nous demandons si la balance économique est bien positive ? Est-ce que les gains économiques de la montée en gamme compensent les coûts structuraux et les effets de bords ? C’est tout le sens de proposer des assises de l’hospitalité. S’assoir ensemble et se poser ces questions, puis identifier des axes de travail pour documenter, évaluer et expérimenter.

La montée en gamme peut-elle être durable ?

Spoiler alerte : non. En tout cas dans sa forme actuelle « les calculs sont pas bons Kevin ». Ça met bien des paillettes et des moulures au plafond en revanche. Ça n’est pas négligeable mais est-ce bien essentiel ? D’un point de vue marketing oui. D’un point de vue sociétal non.

La logique est très simple, la montée en gamme comme elle s’opère actuellement entraine mécaniquement un impact plus fort sur notre environnement. Gagner une étoile ou un épi c’est obligatoirement utiliser plus de surface, utiliser plus de ressources naturelles, acheter plus d’équipements, proposer plus de services et devoir attirer une clientèle plus lointaine. On a beau mettre des économiseurs d’eau, des panneaux photovoltaïques et faire du compostage, cela ne compense pas. Une transition est donc nécessaire. Alors le confort évidemment qu’on ne va revenir dessus, mais certains de ses éléments ne sont plus compatibles que ce soit avec les Accords de Paris, les recommandations de l’ADEME et tout simplement les enjeux auxquels il nous faut faire face.

Critères minimums classement hôtelier 2022

Alors que faire ? Des pistes existent et elles ont besoin d’être explorer davantage. Monter en gamme par le réconfort en est une et développer son hospitalité plurielle en est une autre. Il en existe bien plus encore fort heureusement, il y en a chez vous sur vos territoires à coup sûr. Partout des acteurs de l’hospitalité, notamment de l’hospitalité touristique, se sont développé différemment et avec succès. À Marseille une coalition d’acteurs de la société civile appel la mairie à y réfléchir ensemble, à créer cartes et boussoles pour aider chacun à s’orienter dans le développement de ses hospitalités.

Le vent souffle, à nous de définir le cap.

Lien vers l’appel aux assises de l’hospitalité

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