Montée en gamme par le réconfort

Publié le 29 novembre 2023
5 min

En 1900 lors de l’exposition universelle de Paris, le Touring-Club de France a présenté son concept de chambre blanche. Un modèle moderne, technologique et standardisé de la chambre attendue par les voyageurs. Mince alors, ce modèle de chambre uniforme nous illustre que pour ceux qui ont été les précurseurs de la structuration du tourisme en France, l’essence du voyage ne réside pas dans la quête d’un épanouissement par la rencontre de l’autre mais davantage en un dépaysement confortable. Ce dépaysement confortable s’est progressivement retrouvé dans le reste de l’activité touristique : menu touristique, visite guidée, bus touristique, aérien, etc.

Image d'archive du Touring Club de France. Document de présentation de la chambre hygiénique à l'occasion de l'exposition universelle de Paris en juillet 1900
Archive du Touring Club de France

L’Ecolodge is the new chambre blanche

Aujourd’hui, nous portons encore cet héritage et un élément contemporain illustre parfaitement cela en la personne de l’arrière-petit-fils de la chambre blanche : le système de classement hôtelier.

Ce qu’il est intéressant d’observer c’est ce que ce classement qualcule*, car ce qui est qualculé est naturellement intégré dans la définition d’une stratégie ou d’un plan d’investissement. Cela a donc une influence forte sur le type d’offre touristique qui est développé. Après analyse le constat est sans appel : tous les éléments pris en compte servent encore à qualculer le confort : modernité, équipements, services, spacieux, etc. L’avènement du marketing expérientiel n’a rien changé à cela, on ne voit trace nulle part des émotions, de la rencontre ou encore de l’immersion locale dans les qualculs des classements et les critères des algorithmes des OTA. Aujourd’hui comme hier, c’est le confort qui donne des points.

*qualcul : ce qui est pris en compte en étant à la fois qualifié et calculé

Grille d’analyse du classement Atout France, issue des travaux de Prosper Wanner, Doctorat Lettres et Sciences Humaines, label Européen sur le « Tourisme social, économie collaborative et droits culturels : ethnographie d’une coopération complexe »

Vers l’infini et au-delà !

Nous le savons, pour passer de 3 à 4 étoiles il faut marquer plus de points et cela passe par exemple par des chambres plus grandes, des espaces communs plus grands, plus d’équipements, davantage de services, la climatisation, etc. Mécaniquement, c’est plus de ressources consommées. Le couperet tombe : c’est donc systémique. Malgré nos efforts d’économies et d’efficacité, la montée en gamme telle qu’elle est conçue actuellement engendre mécaniquement une augmentation de notre impact environnemental. Même nos volontés de développement durable sont soumises à ces modalités de qualcul, et c’est ainsi que nos Écolodges sont les nouvelles chambres blanches : neuves, modernes, équipées, spacieuses, etc.

Du confort au réconfort

Heureusement, ce qui est qualculé n’est pas seul représentatif de la réalité et bien d’autres choses existent. Je suis sûr qu’en lisant ces lignes vous vous êtes dit que vous faisiez des choses au-delà du simple confort. Et vous avez raison ! Nous le faisons toutes et tous. Mais comme ce n’est pas qualculé, comme les systèmes de classement et les algorithmes de commercialisation ne donnent pas de point à cela, alors ce ne sont pas ces éléments qui structurent le plus nos stratégies de développement.

Pourtant cela marque des points auprès des voyageurs et passagers ! En réalisant des enquêtes, des entretiens et des analyses de retours d’expérience (les livres d’or bien que old school sont des mines d’or !), nous nous apercevons sans surprise que de nombreux éléments qui ne sont pas qualculés sont pour autant essentiels pour les voyageurs. En compilant tous ce que nous faisons qui n’est pas qualculé mais que les voyageurs apprécient, il est possible d’établir une nouvelle grille qui peut être à la fois complémentaire et alternative. Cette grille qualcule le réconfort.

Grille issue des travaux de Prosper Wanner, Doctorat Lettres et Sciences Humaines, label Européen sur le « Tourisme social, économie collaborative et droits culturels : ethnographie d’une coopération complexe »

Parmi les éléments présentés ci-dessus, vous allez toutes et tous retrouver des choses que vous faites. Nous faisons donc face à un sentier déjà existant mais qui est aujourd’hui à défricher car il n’a pas toujours été bien entretenu ces dernières années. À force d’optimiser nos tunnels d’achats, nous en avons parfois oublié d’entretenir nos ponts relationnels.

Les critères qui caractérisent le confort et le réconfort peuvent parfois se compléter, et parfois ils s’opposent. Ils nous permettent donc de requestionner nos choix, de proposer des alternatives à des schémas que l’on pense immuables, de donner des pistes pour se sortir de nos logiques carbonées et de nous reconnecter à ce qui fait l’essence de nos activités. Tout en restant en phase avec les aspirations des voyageurs.

Aujourd’hui, il est aussi possible et pertinent de structurer une montée en gamme par le réconfort, et ainsi d’adopter un axe de développement décarboné. Cela renforce une autre dimension de l’hospitalité, aussi bien pour les personnes accueillies que pour celles qui accueillent. C’est un outil de management qui plus est, car nous observons qu’il renforce le sens et l’épanouissement pour les équipes et les professionnels de l’accueil.

Aujourd’hui, le réconfort donne déjà des points à plein d’égards et il est possible de le travailler pour renforcer cette approche. Et qui sait, peut-être qu’un jour Atout France et Booking donneront eux aussi des points dans leurs classements et leurs algorithmes à celles et ceux qui se développent par le réconfort.

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