Les schémas aux temps de la planification écologique

Publié le 15 mai 2023
6 min

(REDIFFUSION: Retour sur ce billet pour repenser les schémas de développement touristique car, en mai 2023, c’est lien d’être encore parfait malgré l’avancée notable dans certaines régions. Petit rappel toujours pertinent pour les différentes échelles territoriales).

C’est l’heure du lancement des marchés publics par la réalisation des nouveaux schémas régionaux de développement touristique, ce qui permettra d’élaborer les stratégies touristiques des grandes régions françaises pour les 5 prochaines années. Or, notre président récemment réélu Emmanuel Macron parle de plus en plus de la nécessité de faire entrer la France dans une planification écologique, c’est-à-dire des objectifs à moyen et long termes, impératifs et portés par une ambition politique au plus haut niveau, accompagnés d’une méthode d’évaluation poussée. Mais alors, comment peut-on réussir à aligner les schémas de développement touristique avec une planification écologique ?

Les schémas pour les nuls

Un schéma de développement touristique, c’est avant tout un document qui doit traduire l’ambition touristique d’une destination en feuille de route opérationnelle afin de permettre à la fois à la collectivité locale et à son organisme de gestion de la destination de piloter cette vision partagée et validée par toutes les parties prenantes. Parfois, quand j’entends des socio-professionnels sur les territoires, j’ai comme l’impression que ce document est inutile. Or, comment peut-on réellement développer le tourisme dans un territoire sans réelle stratégie, sans vision, sans moyens mis en face d’actions à réaliser, sans suivi ou évaluation ?

Ici, le lancement des travaux en Île-de-France du schéma régional

Bien entendu, ce document doit servir à ça pour la collectivité locale. C’est le document de référence pour construire et suivre l’évolution du tourisme sur un territoire en intégrant à la fois les questions de gouvernance (qui va s’occuper de quoi dans les actions ? qui décide ? qui est impliqué ?), d’investissement public (difficile d’imaginer des retombées économiques sans investir à minima), de développement de nouvelles offres, de (re)qualification des offres, du rôle de l’office de tourisme, de positionnement marketing et enfin de promotion et de communication.

Historiquement, les schémas directeurs se ressemblaient beaucoup. Même avec les enjeux actuels sur le tourisme durable, on a surtout vu apparaître le mot « durable » à la fin des titres des schémas de développement touristique… durable sans pour autant y voir une traduction opérationnelle transversale sur l’ensemble du document.

Mais c’est peut-être enfin l’heure de ne plus se mentir et de faire les choses sérieusement.

Petit rappel de lecture

L’heure de planifier la transition écologique

La planification écologique, c’est le terme à la mode ces derniers jours. Alors que les effets du changement climatique se font toujours plus sentir (que ce soit en France ou ailleurs dans le monde), le nouveau gouvernement a décidé de mettre en place (enfin ?) de planifier la transition écologique pour faire évoluer l’architecture de notre société et tendre vers une économie bas carbone. C’est ce que réclamait dernièrement le Shift Project dans son Plan de Transformation de l’Economie Française (dont je vous présentais l’impact potentiel pour le tourisme).

https://www.ouest-france.fr/stories/presidentielle-quest-ce-que-la-planification-ecologique-evoquee-par-emmanuel-macron-rlDEyHj/

Or, comme c’est expliqué dans cet article sur France Info, il existe déjà des stratégies écrites comme la fameuse Stratégie Nationale Bas Carbone que je vous présente régulièrement ici. Or, comme le dit Benoît Leguet, directeur de l’Institut de l’économie pour le climat, ces stratégies ne sont pas traduites par des faits :  « Aujourd’hui, la SNBC, c’est un rapport qui sert à caler une armoire au ministère de la Transition écologique et dès qu’il y a des problèmes, on dit : ‘C’est pas possible, on ne le fait pas’. »

Pour autant, face à l’urgence de construire une société qui soit parfaitement soutenable face aux défis environnementaux et sociaux, chaque jour qui passe sans intégrer ces contraintes, c’est autant d’investissements supplémentaires qui seront nécessaires pour adapter notre économie et notre société face aux conséquences de cette inaction.

Croiser stratégie touristique et stratégie nationale bas carbone

Élaborer une ambition touristique en 2022, c’est donc forcément faire un vrai pas de côté pour construire ce document en intégrant cette contrainte du bas carbone, de l’urgence climatique et du zéro artificialisation nette par exemple.

Rajouter le mot « durable » à la fin du titre, de l’edito ou de chaque fiche action ne suffira pas. Ou cela sera tout aussi efficace que les derniers documents stratégiques gouvernementaux qui ne sont ni pilotés, ni évalués régulièrement.

La visualisation par la Théorie du Donut que je présentais ici pourrait être une option intéressante en construisant une stratégie de développement touristique viable et équitable entre 2 limites, le socle social (création d’emplois décents dans le tourisme, acceptabilité des habitants, entrepreneurs satisfaits, touristes heureux, etc.) et le plafond écologique (bas carbone, zéro artificialisation nette, réductions des pollutions, adaptation au changement climatique, etc.). Or, pour cela, il est nécessaire d’avoir de la donnée afin de bien mesurer l’impact de chaque action sur ces différents sujets. Pas simple.

Economie circulaire : la théorie du Donut
Théorie du Donut

Travailler sur des matrices de croissance et de répartition de visiteurs pendant l’année (et en fonction des zones de la destination) peut aussi être un moyen de piloter et de maîtriser le développement touristique par la contrainte. Concrètement, il s’agit d’élaborer un tableau qui répartira sur les différentes saisons de l’année la part de visiteurs (découpé par typologie de publics). De manière collective avec les techniciens des OGD et les socio-professionnels engagés de la destination (puis validé par les élus), il s’agit de construire une ambition par segment et par période de croissance touristique. Cette croissance devra forcément intégrée les contraintes liées à l’urgence climatique (qui joueront sur les nouveaux comportements des voyageurs). Bien entendu, il sera également nécessaire de se doter des outils de mesurer pour piloter l’efficacité ou non de telle ou telle action publique (appui à l’investissement privé, investissement public, promotion sur telle ou telle période de l’année, etc.).

Exemple de matrice de répartition de clientèles au sein d’une destination. Ici, c’est l’ambition validée pour 2025 sur la future répartition des visiteurs en fonction de leur typologie et de la saisonnalité. Ici, une volonté de développer fortement les ailes de saisons sur certains marchés spécifiques.

Enfin, de manière générale, pour chaque session de travail, ateliers de design thinking ou autres outils d’animation, il sera nécessaire de garder en tête les contraintes liées à l’urgence climatique ou à tout autre élément de la planification écologique afin de construire les axes stratégiques et les actions dans ce cadre précis. L’idée d’organiser une fresque du climat (comme nous l’avons fait lors de la dernière AG de l’association Acteurs du Tourisme Durable) est un bon moyen en début de mission pour sensibiliser l’ensemble des acteurs à l’intégration des enjeux climatiques dans le schéma directeur.

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Fresque du Climat lors de la dernière Assemblée Générale d’ATD

Pour accompagner à la résilience du secteur

Ce travail doit ainsi permettre à tout un secteur de devenir bien plus résilient face aux contraintes extérieures et aux grands changements qui vont toucher notre société dans les années à venir. Ainsi, la capacité des bureaux d’études et des cabinets de conseil à intégrer ces enjeux dans l’élaboration des futurs schémas de développement touristique devra être scruter de près par les décideurs publics afin de pouvoir s’assurer un développement aligné sur la transition écologique tout en permettant aux socio-professionnels de s’assurer un modèle parfaitement résiliant pour le futur.

Nous, consultants, avons un rôle crucial pour accompagner les collectivités territoriales et les OGD, dans ce monde d’après. Pragmatisme économique de nos propositions, engagement ambitieux face aux urgences environnementales et implication inclusive dans nos méthodes de travail, c’est bien de ça dont nous aurons besoin pour construire cette planification écologique à travers ces documents stratégiques que sont les schémas de développement touristique.

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Hey! Moi, c'est Guillaume Cromer, je pilote ID-Tourism, cabinet d'ingénierie sur le marketing du tourisme. Historiquement, je suis bien impliqué sur les questions de tourisme durable mais depuis quelques temps, je m'intéresse beaucoup à la question de la prospective du tourisme pour bien comprendre comment vont évoluer les attentes des voyageurs et de quelle manière il va falloir adapter les organisations publiques et privées du tourisme. Hyper curieux et de [...]
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