Radicalité, décroissance et donut

Publié le 10 août 2022
9 min

Profitez, durant ce mois d’août, de rediffusion des billets écrits par les rédactrices et rédacteurs d’Etourisme.info tout au long de l’année.

Ce billet de Guillaume Cromer a été publié pour la première fois en septembre 2021.

Le dernier rapport du GIEC est sorti le mois dernier. Les éléments présentés sont catastrophiques, même le Président le dit… Que nous reste-t-il alors comme choix pour inventer le tourisme de demain ? La radicalité dans les propositions n’est-elle pas le nouveau réalisme de demain dans les politiques de développement touristique ? Quid de la décroissance, terme de plus en plus présent dans les médias ces derniers jours ? Ou faut-il réimaginer le paradigme du développement économique, peut-être à travers la Théorie du Donut chère à Kate Raworth ? Tour d’horizon à quelques jours de lancer les Universités du Tourisme Durable au Havre.

Une rentrée chargée sur les questions de tourisme durable

Entre les Universités du Tourisme Durable organisées la semaine prochaine (28 et 29 septembre) au Havre, le forum A world for Travel (dont les préconisations ne font pas l’unanimité à priori) à Evora au Portugal les 16/17 septembre dernier, le congrès annuel d’ADN Tourisme (avec la présentation du Manifeste pour un Tourisme Responsable), la conférence de ECM (European Cities Marketing) très orientée transition les 23 et 24 septembre ou encore les États Généraux de la Transition du Tourisme en Montagne les mêmes jours, il est totalement impossible de passer à côté du tourisme durable et de cette nécessité de construire la fameuse transition tant recherchée de l’industrie touristique. Donc, ça parle, ça échange, ça réunit des acteurs de plus en plus variés mais est-ce que ça agit concrètement ? Est-ce que ça prend des décisions pour avancer ? La compréhension et l’intérêt en faveur d’un tourisme durable fait aujourd’hui consensus mais les choix qui sont faits sont-ils à la hauteur de l’urgence ?

Un rapport du GIEC toujours plus effrayant

Le rapport du GIEC est sorti le 7 août dernier. Le lire est une absolue nécessité pour comprendre les enjeux en matière d’urgence climatique. Voici la version pour les décideurs de 40 pages en Anglais (la traduction ne devrait pas tarder).

Si vous préférez écouter ou voir, je vous conseille vraiment de suivre Valérie Masson-Delmotte, paléoanthropologue et membre du GIEC. Elle a décrypté le dernier rapport ici au Ministère de la Transition écologique

ou ici en débat avec Sky et Pierre Larrouturou, député européen sur Thinkerview :

Enfin, je vous invite à lire l’article du site Bon Pote qui a fait une synthèse et une analyse très claire de ce dernier rapport.

Voilà d’ailleurs une infographie que le site a réalisée pour comprendre facilement les enjeux de ce rapport.

Ces derniers jours, ce sont les principaux responsables des Nations Unies qui ont pris la parole : «  Depuis le début de la pandémie de la Covid-19, on entend dire que nous devons mieux reconstruire pour placer l’humanité sur une voie plus durable et éviter les pires impacts du réchauffement climatique sur la société et sur les économies. Ce rapport montre aujourd’hui à quel point nous allons dans la mauvaise direction. » nous explique Petteri Taalas, secrétaire général de l’Organisation météorologique mondiale (OMM). « Notre monde s’est engagé sur la voie d’un réchauffement de 2,7 °C » a ajouté Antonio Guterres, secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (Onu). « Et les conséquences seront catastrophiques. »

Le Président de la République Emmanuel Macron a repris ses éléments hier sur son compte Twitter :

Vers une société du clash et du shame ?

Toutes ces informations ne peuvent plus être contredites. C’est scientifique. C’est pragmatique. Ce n’est pas une question d’idéologie. Ce que l’on ressent ces derniers mois sur Internet, c’est un énorme travail de vulgarisation et de valorisation de ces documents scientifiques afin de permettre à tout à chacun de s’en saisir, de comprendre les enjeux et de faire évoluer son comportement du quotidien. Le travail de Valérie Masson-Delmotte, de Bon Pote et d’autres « influenceurs » (je pourrais vous faire une liste) ont, selon moi, permis un vrai changement dans l’engagement et la perception de ces sujets en ligne et en particulier sur les réseaux sociaux.

D’ailleurs, on le voit énormément ces derniers temps avec la prise de parole de certains footballeurs ou artistes, parfois largement déconnectés de la réalité… de l’urgence climatique. C’est Kilian Mbappé par exemple qui a dû retirer sa publication où il posait fièrement dans son jet privé pour rentrer de son match avec l’équipe de France qui se déroulait à Strasbourg (1h45 en TGV de Paris). Il y a quelques jours, l’équipe lyonnaise a vécu la même expérience suite à leur vidéo où l’équipe embarquait dans un autre jet pour se rendre dans la capitale afin de jouer son match de championnat.

Ce qui m’interroge dans ces clashs systématiques et ce « name & shame », c’est bien le fait que la population attend désormais une forme d’exemplarité de la part de ces personnalités. J’ai le sentiment qu’une bonne partie des gens sont désormais informés, conscients de l’urgence climatique et n’acceptent tout simplement plus certaines formes d’irresponsabilité surtout quand des solutions pertinentes existent (le TGV par exemple).

Pour moi, il n’y a qu’un pas à franchir pour imaginer des formes de clash et des prises de parole d’habitants demain. Si une destination touristique continue à se développer sans trop se poser de questions dans l’accueil de touristes qui viendraient pour des courts séjours en avion par exemple, quelle pourrait être la réaction de certains habitants qui essaient, eux, de réduire leur bilan carbone face à l’urgence climatique qui les frappe. Pour les offices de tourisme, il faudra forcément faire évoluer les actions de médiation et de sensibilisation auprès des différents acteurs de terrain.

La radicalité et la décroissance comme nouvelle norme ?

Ces dernières semaines, on a vu apparaître de plus en plus les mots de radicalité et de décroissance, portés en particulier par la primaire du partie écologiste en France. Après avoir lu le dernier rapport du GIEC, vous verrez que la prise de conscience de l’urgence amène à une meilleure compréhension de ces mots et de la réalité de leur utilisation face à la situation actuelle.

Je trouve que ce graphique explique parfaitement la nécessité de choix radicaux à prendre pour infléchir la courbe des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Article issue du très bon papier sur Futura Science – https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/climatologie-rechauffement-climatique-il-temps-dirigeants-prendre-position-tenir-leurs-promesses-eviter-catastrophe-10644/

C’est Nicolas Hulot qui expliquait parfaitement cela pendant l’été alors que les catastrophes naturelles se multipliaient à travers le monde.

« Pourquoi a-t-on tant attendu ? On a assisté en spectateurs surinformés à la gestation de la plus grande tragédie de l’histoire de l’humanité. Il reste de l’espoir car il reste des moyens de faire face, mais tout de suite avec une grande radicalité dans les moyens », espère encore Nicolas Hulot.

C’est dans ce sens que nous avons vu apparaître dans les débats le mot historiquement tabou de « décroissance », en particulier dans la sphère libérale.

Il y a d’ailleurs énormément de préjugés sur ce mot. Beaucoup de personnes pensent encore que la décroissance est synonyme de récession. Or, comme l’explique parfaitement Timothée Parrique dans son travail de recherche sur la décroissance, ce n’est pas du tout ça :

Il explique assez clairement que cette question est perçue assez spécifique en France (ça fait peur et les gens sont contre sans vraiment comprendre ce qui se cache derrière) alors que ça devient un enjeu très fort dans d’autres pays.

Pour expliquer pourquoi c’est intéressant aujourd’hui, voici la définition :

Définition de la décroissance : Réduction planifiée de la production et la consommation dans les pays riches qui permettrait de rétablir l’équilibre entre l’économie et le monde vivant tout en corrigeant les inégalités et en augmentant le bien-être.

Quand on lit cette définition, on se rapproche bien des enjeux dont je parle régulièrement dans mes articles. Vous imaginez bien la traduction de cette définition pour notre industrie touristique. L’ambition touristique d’une destination serait contrainte par les limites planétaires (en particulier les enjeux climats présentés plus haut) afin de résoudre les inégalités, les impacts environnementaux, le bien-être des gens (acceptabilité des habitants, etc.). Concrètement, c’est de prendre le problème à l’envers et de ne pas chercher à accueillir le maximum de touristes sur le territoire pour ensuite essayer de verdir la situation mais plutôt de mesurer son empreinte carbone général, de se fixer une trajectoire à horizon 2030 et 2040 pour ensuite adapter la politique de développement touristique avec cette trajectoire.

Quid de la théorie du Donut ?

D’ailleurs, l’un des concepts intéressants dans la lignée de ces réflexions sur la décroissance, c’est bien la Théorie du Donut. Invité à Marseille la semaine dernière pour le Place Marketing Forum 2021 afin de parler de tourisme durable, j’ai pu assister à un atelier où la région de Devon en Angleterre recevait un prix pour son travail autour de la Théorie du Donut, imaginée par Kate Raworth.

Le livre de Kate Raworth qui explique la théorie du Donut

Le Donut, c’est un cadre visuel qui permet de bien comprendre l’application de la durabilité dans une économie territoriale (ou entrepreneuriale) à travers des frontières à ne pas dépasser (on voit le lien potentiel avec la définition de la décroissance plus haut). Ainsi, la performance d’une économie doit ainsi être considérée dans un système où les besoins des gens sont satisfaits sans dépasser le plafond écologique de la Terre. Ainsi, une économie est considérée comme prospère lorsque les douze fondements sociaux (qui s’inspirent largement des Objectifs de Développement Durable) sont réunis sans dépasser aucun des neuf plafonds écologiques.

12 fondements sociaux – 9 plafonds écologiques

D’ailleurs, en 2020, c’est la Ville d’Amsterdam qui a annoncée que sa politique économique sera désormais basée sur la Théorie du Donut afin de « rendre l’économie de la ville totalement circulaire d’ici 2050 en commençant par réduire de moitié l’utilisation des matières premières en 10 ans ».

On a d’ailleurs souvent entendu le cas Amsterdam aux Rencontres de Pau autour de la réflexion sur le tourisme durable et de la gestion du surtourisme… Tout sauf un hasard car cette Théorie du Donut pourrait aussi largement être appliquée à nos problématiques autour des politiques touristiques dans les destinations. Par exemple, il s’agirait d’adapter l’ambition touristique (et donc le nombre et la provenance des visiteurs) aux limites d’émissions de GES acceptables pour la destination (en fonction de la trajectoire bas carbone du territoire acceptable face à l’urgence climatique – on parle de -55% d’ici à 2030 pour l’Europe pour rappel). Quelle destination aura le courage de faire ce choix en premier ?

Nouveaux indicateurs et plan de reconquête du tourisme

Pour finir (car cet article est quand même déjà trop long), je vais me répéter mais il est absolument nécessaire de changer d’indicateurs pour savoir si on a fait une bonne politique touristique ou pas. Je rêve de voir des débats entre les directeurs / directrices des CRT pour savoir qui a eu la meilleure performance estivale ou annuelle basée sur les nouveaux indicateurs socio-économico-environnementaux. De nombreuses discussions sont en cours pour permettre aux destinations de se saisir de ces innovations dans l’ingénierie, le pilotage et l’observation du tourisme. Ce sera d’ailleurs l’un des ateliers de travail lors des prochaines Universités du Tourisme Durable au Havre la semaine prochaine avec Caroline Le Roy (chercheure sur le sujet et blogueure ici), Hubert Vendeville (Betterfly Tourism), Dominique Thillet (CRTL Occitanie) et moi-même.

Enfin, j’attends aussi avec impatience la prochaine prise de parole du Président de la République autour de la présentation du Plan de Reconquête du tourisme en France (prévu en octobre ou novembre…). J’ai pu participer aux échanges et débats dans le groupe de travail sur le tourisme durable ces 18 derniers mois avec pas mal d’autres acteurs. J’ai poussé ardemment à intégrer dans ce plan de reconquête un changement de paradigme pour sortir de l’historique et dépassé recherche de 100 millions de touristes internationaux afin de présenter une nouvelle ambition basée sur de nouveaux indicateurs… Sera-t-on entendu sur cet aspect ?

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Hey! Moi, c'est Guillaume Cromer, je pilote ID-Tourism, cabinet d'ingénierie sur le marketing du tourisme. Historiquement, je suis bien impliqué sur les questions de tourisme durable mais depuis quelques temps, je m'intéresse beaucoup à la question de la prospective du tourisme pour bien comprendre comment vont évoluer les attentes des voyageurs et de quelle manière il va falloir adapter les organisations publiques et privées du tourisme. Hyper curieux et de [...]
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