Dépasser le tabou Airbnb et augmenter les retombées économiques pour une destination rurale

Publié le 3 juin 2019
8 min

Week-end de l’ascension. Je continue mes récits de court séjours après le trip sur La Loire à vélo. Cette fois-ci, je voudrais vous parler du tabou Airbnb pour les OGD, le potentiel pour augmenter les retombées économiques d’une destination et le travail à faire pour y arriver. Direction… la Lozère !

Gorges du Tarn, dans les Cévennes

Un anniversaire au vert au cœur des Cévennes

Voilà l’histoire. C’était l’anniversaire de ma chérie. J’aime bien lui faire des surprises et organiser des week-ends où elle ne sait pas trop où elle ira. Et je m’améliore de plus en plus pour ne trop rien dire avant le début du week-end. Et là, week-end de l’Ascension. 4 jours de grand beau sur la France. Idéal pour partir au vert, se retrouver, couper du taf et passer des bons moments à deux. J’avais ciblé les Cévennes comme destination. 

Pourquoi les Cévennes ?

  • Parce que c’est vert ;
  • Parce que c’est calme ;
  • Parce que je ne connais pas bien;
  • Parce qu’il y a pas mal de rando et d’activités outdoor à faire ;
  • Parce que c’était entre Grenoble et le Sud-Ouest (je savais que je devais être à Bordeaux le dimanche soir) ;
  • Parce que je bosse pas mal les sujets de sylvotourisme actuellement (ça a dû m’inspirer…)

A partir du moment où la destination était choisie dans ma tête, je devais chercher un hébergement… Et mon réflexe, malgré tout ce que l’on peut dire sur son éthique et le fait qu’il ne paie pas leurs impôts en France, c’est d’aller sur l’application Airbnb. (D’ailleurs, c’est marrant, je viens de découvrir des justifications sur ces sujets sur le site de la communauté AirbnbCitizen et ils ont quand même reversé 24 millions d’euros de taxe de séjour, bien légitime). Pourquoi ce choix pour moi ?

  • Parce que je ne voulais pas aller dans un hôtel ou une chambre d’hôtes
  • Parce que je voulais une petite maison en pierre, autonome, juste pour un couple et nous faire à manger
  • Parce que je n’ai jamais vraiment été déçu du service Airbnb (et de son après-vente)
  • Parce qu’il n’existe pas d’alternative éthique crédible pour ça, à ce jour (Fairbnb est encore en construction sur Indiegogo)

Et sur Airbnb, j’ai trouvé la pépite que je recherchais, dans le hameau de Mijavols, au fin fond des Cévennes avec les quelques photos (pas forcément d’une qualité parfaite) qui m’ont fait me décider très vite. Et en 2 clics, j’avais réservé automatiquement. Et directement, je discutais avec l’hôte. Simple. Efficace.

Une pépite mais des ajustements qui permettraient d’améliorer l’expérience

Bien sûr, pour arriver à Mijavols, il faut le mériter ! Une magnifique traversée des Cévennes avec des paysages variés et méconnus avant une toute petite route qui amène au dernier hameau, celui de Mijavols. Que des maisons en pierre, sûrement très peu d’habitants à l’année et là, le seul « hébergement » mis en location par Naïs sur Airbnb. C’est son papa et son frère qui nous accueillent d’ailleurs, chaleureusement. Petite visite de la maisonnette, tour du propriétaire et discussion autour d’un café en terrasse pour faire connaissance et parler du pays et des choses à faire. C’est hyper naturel, loin de la vidéo de promotion d’Airbnb en milieu rural.

Bien sûr, tout n’a pas été parfait. Ces personnes ne sont pas des professionnels. Ils essaient de faire au mieux. Ils sont passés à l’office de tourisme du coin (je ne sais pas du tout quel nom il a…) pour récupérer des brochures et autres flyers (pas hyper intéressants) mis en vrac sur une chaise du salon et ils ont réalisé un document relié (pas hyper intéressant) sur la table (avec les mêmes infos que sur leur fiche Airbnb).

Malgré la qualité du lieu, on aurait apprécié certaines choses (que l’on retrouve peut-être ailleurs, dans des hébergements affiliés à des réseaux volontaires… ou pas) comme un jardin plus entretenu avec des poufs ou des transats où tu as juste envie de te jeter pour chiller, un barbecue prêt à être utiliser et non pas à l’envers au fond du jardin sans charbon de bois, un matelas moins mou et bien sûr des informations précises qui répondent parfaitement à nos attentes et envies du week-end (le nom d’un prestataire sympa de canoë ou de grimpe, une rando agréable de 4-5 heures à moins de 30 minutes de voiture avec un beau paysage, le nom d’un resto typique cévenol à découvrir absolument, etc.). J’ai réussi à glaner quelques informations auprès du propriétaire mais j’ai dû largement compléter avec Internet. J’ai testé les plateformes d’activités (Kazaden, Airbnb Expériences, etc.). Nul. Rien de correct et de ce que je voulais à moins de 100 kilomètres… Grâce à mes connaissances, je me suis souvenu de l’association Cévennes Ecotourisme et c’est sur ce site que j’ai trouvé le nom du loueur de Canoë avec un site efficace, où je pouvais réserver la location online. Parfait ! Inespéré presque.

Rien trouvé dans les Cévennes pour du Canoë mais un point bizarre au Groenland…

Pour la rando, je me suis débrouillé avec Iphigénie finalement avec une petite randonnée sur des sentiers à proximité de l’hébergement et c’était très bien mais clairement un peu à l’arrache. Imparfait mais suffisant.

Et pour les restos, on a tout le temps mangé « à la maison »… alors que nous aurions très bien pu être convaincu pour aller dépenser notre argent à Florac ou ailleurs. Dommage.

Le tabou Airbnb pour les offices de tourisme (élu.e.s ?)

Oui, c’est un tabou ! Encore dernièrement pendant une commission tourisme d’une communauté de communes en milieu rural, j’écoutais les invectives des élus locaux contre ces propriétaires d’Airbnb… Quel était leur tort ? Ce n’est pas clair au fond… Ils jouent le jeu des méchants, de cette « start-up » qui ne paie pas ces impôts en France… Et donc, ces acteurs-là, bien qu’ils proposent une offre attractive pour les touristes au sein de la destination, n’ont le droit à aucune attention de la part de la collectivité ou de l’office de tourisme. D’autant plus que les élus râlent parce qu’il n’y a pas assez le lits attrayants sur leur territoire… Mais pourtant, j’ai beaucoup de mal à croire que ces propriétaires n’ont pas envie de faire des efforts pour satisfaire leurs clients. Ce sont bien des (mini-)entrepreneurs non ? Ils répondent donc aux mêmes objectifs que la destination, que l’office de tourisme, même s’ils ne sont pas membres, c’est-à-dire rendre les touristes heureux et les transformer en ambassadeurs – prescripteurs de la destination pour que leurs amis, familles, communautés viennent aussi, etc. Alors pourquoi ce tabou ?!

Comme le disait Jean-Luc dans son excellent dernier billet sur le blog, l’avenir de l’office de tourisme, c’est bien l’accompagnement des socio-professionnels et donc l’animation territoriale. Et pour moi, il faut absolument inclure l’ensemble des acteurs locaux qui participent à l’attractivité et à la performance de la destination. TOUS ! (et donc aussi les propriétaires qui commercialisent sur les plateformes) Et pour cela, il faut clairement arrêter de mettre sur un piédestal les hôteliers et s’intéresser à tous les acteurs qui proposent une expérience touristique, des nuitées et des retombées économiques sur un territoire. En quoi un hôtel offrirait plus de retombées économiques qu’un loueur Airbnb avec une expérience haut de gamme ? En quoi un client qui passerait par Airbnb serait un client moins intéressant ou moins important pour la destination ? Il serait vraiment important en 2019 de faire évoluer la mentalité sur l’hébergement touristique ! Si le modèle d’adhésion des offices de tourisme (en association) n’est plus adapté au contexte actuel, il faut le changer pour répondre au seul enjeu qui intéresse tout le monde (ou qui devrait intéresser tout le monde !) : améliorer les retombées économiques au sein de la destination rurale!

En quoi un client qui passerait par Airbnb serait un client moins intéressant ou moins important pour la destination ?

En milieu rural, on connaît bien le besoin de lits touristiques qualifiés pour contrer la disparition de la petite hôtellerie traditionnelle. Or, toutes les destinations n’ont pas la chance de voir débarquer un Tony Parker pour racheter des remontées mécaniques… Donc, il va bien falloir trouver d’autres solutions et ne pas se couper avec ce type d’offres proposées sur les plateformes, non?

Et si on parlait KPIs ?

Alors oui, il va falloir changer de regard pour intégrer tous ces acteurs et switcher avec une vision beaucoup plus entrepreneuriale. En gros, les personnes qui feront de l’animation territoriale dans les offices de tourisme demain devront comprendre l’entrepreneuriat et les tenants et aboutissants des différents projets d’entreprises. Dans ce cadre-là, il serait intéressant de comprendre les KPIs (même pour une chambre d’hôte), c’est-à-dire les Key Performance Indicators – ou en Français – les Indicateurs Clés de Performance. Echanger avec un socio-professionnel, c’est lui donner les bons conseils pour développer son activité en regardant les chiffres, et donc aussi la satisfaction du client. Il y a beaucoup de socio-professionnels qui ont un vrai besoin d’accompagnement pour améliorer leur professionnalisation, leur modèle économique, la gestion de leurs charges ou encore la meilleure utilisation de leur présence en ligne et de l’utilisation de certaines plateformes. Dans tous les cas, il va falloir parler des vrais sujets avec ces acteurs et, encore une fois, avec tous les acteurs ! Et c’est dans ce cadre-là que le package de services à tout son sens pour repenser la relation avec les socio-professionnels au sein de la destination.

Et donc, mesdames et messieurs les élus, c’est aussi à vous de donner de nouveaux objectifs à votre office de tourisme ou à votre service tourisme / dév. éco. Investissez dans de vrais outils de mesure de la performance économique de la destination en regardant en premier lieu ce qui a été dépensé par les visiteurs sur le territoire et ce que cela a comme impacts sociaux positifs également. A partir du moment où l’objectif unique est la performance économique de la destination rurale, l’ensemble des techniciens vont se mettre en ordre de bataille pour améliorer la satisfaction du client, le panier moyen dépensé par visiteur, le taux de fidélisation, etc. Et on verra bientôt un nombre élevé de nouveaux accrocs aux podcasts sur l’entrepreneuriat comme Génération XX, Le Gratin, Marketing Mania ou encore Génération Do It Yourself !

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Hey! Moi, c'est Guillaume Cromer, je pilote ID-Tourism, cabinet d'ingénierie sur le marketing du tourisme. Historiquement, je suis bien impliqué sur les questions de tourisme durable mais depuis quelques temps, je m'intéresse beaucoup à la question de la prospective du tourisme pour bien comprendre comment vont évoluer les attentes des voyageurs et de quelle manière il va falloir adapter les organisations publiques et privées du tourisme. Hyper curieux et de [...]
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