Végétarisme dans les restaurants : un « petit » sujet mais si crucial pour l’avenir des destinations

Publié le 3 décembre 2021
7 min

Lors des Universités du Tourisme Durable au Havre en septembre dernier, Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, avait pris la parole en plénière d’ouverture (son discours en vidéo ici) afin de parler de l’importance de préserver le vivant. Pour ce faire, la première action pour elle était de devenir végétarien, d’arrêter de manger de la viande et du poisson. Suite à ce discours, de nombreuses personnes présentes ont changé leur régime alimentaire pour être aligné avec leurs autres engagements pour la Planète.

Lamya Essemlali

De la COP26 aux scénarii Transitions 2050 de l’ADEME

Alok Sharma, le président de la COP26 est arrivé la tête bien basse en clôture de l’événement ce 14 novembre dernier. Il a du même ravaler quelques sanglots en s’excusant de l’échec des négociations. La 26ème conférence internationale pour le climat n’a pas pu se conclure sur une ambition forte et partagée pour réduire au maximum l’augmentation de la température moyenne à la fin du siècle sur la Planète. On se dirige vers une augmentation de 1.9° à 2.4° uniquement si les promesses de neutralité carbone de tous les pays se réalisent. Peu probable malheureusement. L’avenir s’annonce brûlant. Les conséquences pour les générations futures seront terribles si l’humanité ne se prend pas en main sérieusement.

Quelques semaines plus tard, en France, c’est l’ADEME qui prenait la parole afin de présenter 4 scénarii d’évolution de notre société en France afin de se mettre totalement en accord avec la Stratégie Nationale Bas Carbone (et donc la neutralité carbone recherchée pour 2050). Voilà l’image qui résume parfaitement ces 4 scénarii.

Si vous regardez bien, le sujet du voyage n’est pas directement abordé. On y parle simplement d’évolution de notre mobilité, ce qui aura bien entendu de sacrés impacts dans notre manière de voyager demain

Un autre sujet est également central, celui de notre consommation alimentaire. On y voit donc que le fait de manger moins de viande évolue en fonction des scénarii. Ainsi, on devrait consommer de -10 % à -66 % de produits carnés d’ici à 2050. Une sacrée révolution dans nos assiettes ! Êtes-vous prêts au changement ?

La restauration privée, un secteur peu enclin au changement ?

Or, en tant que végétarien (pas de viande, ni de poisson), vous vous dites que l’accueil n’est pas clairement au rendez-vous aujourd’hui quand vous allez au restaurant, non ?

Assiette végétarienne chez Bistrot Régent… Vous êtes sérieux?!?

De mon côté, je suis encore largement choqué de voir le faible choix proposé dans les restaurants « classiques » et non ceux qui sont entièrement dédiés à la cuisine végétarienne ou végétalienne. On recense bien de plus en plus de restaurants dédiés à cette « nouvelle » cuisine mais les restaurants traditionnels ont encore bien des difficultés à proposer des alternatives aux viandes et poissons avec à la fois des assiettes gourmandes, savoureuses et équilibrées.

Pour autant, on voit largement que la prise de conscience est réelle dans le grand public avec une évolution forte de nombre de végétariens ou de flexitariens avec une réduction forte de la consommation de produits carnés. Les nouvelles générations sont particulièrement sensibles à ces questions (12 % des 18-23 ans se disent végétariens, contre 2 % des plus de 55 ans / 44% des 18-24 ans se disent même prêt à devenir végétarien!)

Or, même parmi des restaurateurs engagés sur les questions de développement durable, la modification de la carte est un changement de cap bien compliqué. Je repense à cette table-ronde sur l’Île d’Oléron la semaine dernière où, suite à mon intervention en plénière, M. Ludovic Dublanchet (un animateur à faire connaître !) interrogeait un chef local engagé, sur la question du végétarisme. Sa réponse était symptomatique de la difficulté du passage à l’acte :

« Ah oui, ça, non, ce n’est vraiment pas mon truc. C’est plutôt ma femme qui me pousse un peu. Bon, j’ai fait une entrée végétarienne pour l’instant. Mais pas de plat principal. »

Au fond de moi, je me suis dit : « Donc, concrètement, si tu es végétarien et que tu vas chez ce restaurateur. Tu ne manges qu’une entrée. Tu es puni ! »

Et pourtant, les personnes végétariennes, comme on le voit dans les scénarii de l’ADEME plus haut, sont en avance sur les engagements à faire pour réduire l’empreinte carbone…

Comment faire évoluer l’état d’esprit puis le travail des restaurateurs ?

Mais alors, comment peut-on faire concrètement aujourd’hui pour pousser le végétarisme dans les restaurants ? Comment accompagner ce métier au changement ? Comment leur permettre d’anticiper les changements nécessaires liées à l’urgence climatique ?

En discutant avec Elodie Vieille Blanchard, la présidente de l’Association Végétarienne de France, j’ai compris que le terrain du végétarisme dans la restauration privée était encore un petit sujet aujourd’hui. Pour le moment, c’est surtout un sujet dans la restauration collective en particulier dans les cantines scolaires. Mais alors, qu’est-ce qui bloque dans la restauration privée ?

J’ai aussi échangé sur Twitter avec Bene, militante en écologie et féminisme, autrice sur le sujet, qui m’expliquait que les chefs dans les restaurants sont très majoritairement des hommes. Or, ces derniers ont plus de difficulté sur la question du végétarisme. On le voit clairement dans le documentaire de Netflix « The Game Changers » (Je vous le recommande) qui montre que nous avons été assaillis depuis notre enfance sur la nécessité de manger de la viande, pour être des vrais bonhommes ! Pourtant, de nombreuses études scientifiques montrent parfaitement qu’un régime végétarien est bien meilleur pour la santé, même pour les grands sportifs.

Mettez les sous-titres en Français pour + de confort 😉

Enfin bon, tout ça pour vous dire qu’il y a un travail de déconstruction tout d’abord à faire pour montrer que l’on peut très bien manger, de manière équilibrée, savoureuse et gourmande sans forcément avoir un morceau de viande ou de poisson dans l’assiette et tout en réduisant notre impact carbone. Pour faire ce travail, on se disait avec Elodie Vieille Blanchard qu’il y avait peut-être une idée à creuser avec l’association Acteurs du Tourisme Durable et l’ADEME afin de réaliser un guide pratique pour les restaurateurs afin de modifier leur pratique en leur donnant un maximum de conseils… Je lance l’idée ici si ça intéresse des acteurs !

Ensuite, il s’agit d’apprendre à faire autrement, d’apprendre à cuisiner les légumes, les légumineuses, les céréales complètes, les graines, les noix et aussi l’œuf sous toutes ses formes ou d’autres produits laitiers (pour les végétariens, pas les vegans). Pour cela, il existe des formations afin de progresser. Par exemple, ici à l’Institut Paul Bocuse pendant 2 jours ou encore ici avec Vert La Table, une école dédiée à la cuisine végétale, biologique et saine.

Et si les offices de tourisme avaient un rôle à jouer ?

Étant donné l’engouement actuellement des offices de tourisme à se saisir des questions de tourisme durable (les derniers super résultats de Lyon et de Bordeaux au classement GDS Index le prouve !), il paraît logique d’utiliser la compétence « animation des socio-professionnels » afin d’accompagner l’ensemble des professionnels du tourisme à s’engager sur les enjeux du développement durable. Comme je l’ai montré plus haut, le végétarisme est et sera un sujet clé. Donc, quoi de plus logique alors pour un office de tourisme de réunir ses restaurateurs, de poser le sujet sur la table et de discuter des solutions pour faire évoluer les pratiques. Vous pouvez soit faire appel à un formateur, soit à un chef particulier engagé sur ce sujet, soit même à l’Association Végétarienne de France.

A partir de là, on pourrait presque imaginer qu’une destination devienne complètement Veggie Friendly avec une forme d’attractivité et de notoriété pour des visiteurs particulièrement engagés par ces sujets.

Je pense que les 7 destinations urbaines particulièrement engagées à travers le GDS Index ont un rôle particulièrement pionnier à faire afin de pousser ce sujet-là, quitte à impliquer des grands chef.fes restaurateurs particulièrement sensibles comme Claire Vallée, Dominique Crenn ou encore Régis Marcon.

Quid des événements ?

Les événements professionnels ou grand public sont également en train de changer leur pratique. Le Festival CLIMAX à Bordeaux était connu pour bousculer les codes en proposant uniquement de la restauration végétarienne. Dans les événements professionnels, c’est encore plus compliqué d’avoir ce niveau d’engagement mais on retrouve de plus en plus des alternatives végétariennes sur les buffets déjeunatoires.

Lors des Universités du Tourisme Durable, le bilan carbone de l’événement est mesuré chaque année. En fonction de la typologie des repas proposés (assis / buffet) mais surtout des produits proposés, le poids de la restauration pouvait passer de 7% à 25% de l’ensemble du bilan carbone de l’événement ! Au Havre cette année, le discours de Lamya Essemlali a fait mouche. De nombreux participants ont eu un vrai déclic et ont décidé de changer radicalement leur manière de manger. La prochaine édition des UTD, qui auront lieu à Montpellier en 2022, va peut-être même voir une évolution encore plus forte. On me dit dans l’oreille que la volonté est de faire que cet événement devienne 100% veggie afin d’être parfaitement en cohérence avec les discours tenus par les acteurs. Une très bonne manière à mon avis pour montrer à tout le monde que manger plus sainement pour la Planète n’empêche en rien de prendre du plaisir gustatif et de manger gourmand en découvrant de nouvelles saveurs même !

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Hey! Moi, c'est Guillaume Cromer, je pilote ID-Tourism, cabinet d'ingénierie sur le marketing du tourisme. Historiquement, je suis bien impliqué sur les questions de tourisme durable mais depuis quelques temps, je m'intéresse beaucoup à la question de la prospective du tourisme pour bien comprendre comment vont évoluer les attentes des voyageurs et de quelle manière il va falloir adapter les organisations publiques et privées du tourisme. Hyper curieux et de [...]
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