Retrouver le sens

Publié le 1 février 2023
7 min

Je fais mon retour sur le blog après plus de 2 ans de trêve. J’ai cessé d’écrire après le confinement, car je me suis retrouvée en panne sèche d’inspiration. Comme pour beaucoup d’autres personnes, le covid et le confinement m’ont donné le temps et surtout le recul nécessaire pour réfléchir aux questions qui m’envahissaient depuis un moment déjà. Je me suis questionnée sur notre activité, sur ma place dans ce système, sur mon rôle pour (ou contre) la planète. Je suis partie en quête de sens sur mon métier, sur le monde des voyages. Mes pensées m’ont entraînée vers la culpabilité, vers un vide professionnel.

J’ai croisé Jean-Luc Boulin aux dernières rencontres ET à Pau et je lui faisais part d’un article que j’avais envie d’écrire sur mon sentiment de schizophrénie avec mes valeurs personnelles et mon activité professionnelle. Plus j’en parle autour de moi, plus je me rends compte que nous sommes nombreux à nous questionner sur le sens de nos actions. Quand Jean-Luc m’a annoncé la date de publication de mon article, je ne savais plus trop par comment m’y prendre pour parler de tout cela. Alors je me suis lancée dans une introspection, presque psychanalytique, à la recherche du sens de nos métiers du tourisme…

Retrouver le sens…

Pourquoi je suis entrée dans le tourisme ?

Découvrir l’Autre

J’avais depuis toujours une envie d’ailleurs, une soif de découverte, un souhait de connaître l’Autre, tous les autres. J’ai d’abord commencé par apprendre des langues, outil indispensable pour faire tomber les frontières, et véritables richesses culturelles.

Sortie d’une année Erasmus, la puissance du voyage a pris toute sa dimension. J’ai vécu la richesse de la rencontre, du contact à d’autres cultures. J’ai ressenti les bienfaits de l’ouverture et de la prise de recul. J’ai compris que la rencontre était nécessaire pour ne plus avoir peur de l’autre ni de l’inconnu. J’ai goûté à l’émerveillement devant la beauté du patrimoine mondial et de paysages jusqu’alors inconnus.

Mon premier stage en office de tourisme a confirmé ma découverte sur la magie des échanges et de la diversité. Je suis restée dans ma ville cet été là, mais j’ai été dépaysée au contact des touristes en vacances. Je pouvais palper la « re-création » propre au voyage touristique, concept que je découvrirai à mon entrée en Master en dévorant le livre académique « Tourisme, acteurs, lieux, enjeux ». En lisant cet ouvrage, je me passionne pour l’histoire du mouvement, le mécanisme des flux géographiques et du développement territorial, pour les réalités sociologiques. Je découvre que le tourisme c’est de l’histoire, de la géographie, de l’économie, du marketing, de la politique, de la sociologie, de la psychologie… c’est riche.

Faire (re)vivre des lieux abandonnés

Dans ma lettre de motivation pour entrer en Master tourisme, je me souviens avoir justifié mon choix en expliquant que je souhaitais, grâce au tourisme, faire revivre notre patrimoine abandonné. J’avais été marquée dans mon enfance par les villages fantômes d’Auvergne qui contrastaient avec les bourgs des côtes bretonnes, et j’avais donc déjà compris le pouvoir des flux touristiques pour dynamiser nos territoires.

Valoriser le travail de passionnés

Je poursuis mes stages et mon début de carrière dans la valorisation des territoires ruraux. Je vis mon travail avec passion, grâce aux rencontres avec les prestataires touristiques. Je découvre une autre facette du tourisme, non plus celle du contact au touriste, cet être dépaysant, mais celle au prestataire, le passionné qui vit pour son activité. Je rédige des portraits de personnes qui ont mis de leur âme dans leur activité. Je découvre le plaisir de travailler à créer une synergie entre tous ces entrepreneurs passionnés. Le touriste n’est presque plus que la monnaie qui va permettre à ces personnes de poursuivre leur rêve. Je découvre ainsi la nécessité de la promotion et du marketing, nerf de la guerre pour faire connaître les richesses d’un lieu peu connu.

S’élever grâce aux échanges

Changement de cap soudain, je pars, seule, sac sur le dos, sur les routes d’Asie. Je découvre alors la dimension du mot « voyage ». Je suis une touriste, une voyageuse, je réalise ma soif d’exploration et je mesure alors toute la force du voyage, de la rencontre, du contact aux autres cultures. C’est mon année Erasmus puissance internationale. Je suis chahutée dans tous les sens et je prends un plein d’énergie. Je comprends à nouveau à quel point la peur vient de la méconnaissance, à quel point les frontières sont de réels rideaux opaques qui nous empêchent de voir que l’Homme n’est qu’un. J’ai envie d’écrire des récits de femmes, si différentes et pourtant si liées. Je me passionne pour la culture de pays qui jusque-là ne m’avaient pas attirée le moins du monde. Je réalise que le monde est fait d’une richesse illimitée. Je réalise que nous sommes si différents et pourtant si semblables. Je prends conscience que nous devons à tout prix apprendre à dialoguer, à nous connaître, tout en conservant nos spécificités qui font de ce monde un océan de richesses.

Je remercie alors le tourisme, les pionniers du Grand Tour, Thomas Cook et ses wagons de train, les explorateurs des mers et des montagnes, les pionniers de l’aviation, Schuman et Adenaueur, l’inventeur de Couchsurfing, et tant d’autres, tous ceux qui nous permettent aujourd’hui de voyager si facilement, si librement. Ils ont participé à la paix, à l’éveil des consciences.

Le courant de la vie me ramène ensuite en France et je retourne momentanément à l’une de mes premières motivations : la valorisation des territoires ruraux. Le fossé avec ma vie internationale me donne le tournis et j’arrive presque « naturellement » dans un aéroport international, lieu de culte de ma religion « voyage ». Les aéroports, c’était devenu ma maison. Je suis donc comblée au plus haut point…

De la paix à la pollution

… jusqu’à ce que… je finisse par accepter l’idée que, manger bio, consommer local, réduire mes déchets, supprimer l’usage de produits chimiques… ne pèse pas grand-chose par rapport à l’impact des avions, des transports, et de toute la pollution que génère l’activité touristique.

Ce trou noir a grossi, grossi, jusqu’à me faire douter de tout.

A quoi je sers à passer des heures dans des réunions à débattre du choix d’une photo ou de l’usage d’un mot plutôt qu’un autre ? A passer des heures à chercher en vain à convaincre un élu que la notion de territoire ne correspond pas à la logique du touriste ? A décrire un PPT en vitesse 1,5 sous les néons d’une salle aménagée de meubles éphémères à jeter autant de gobelets que de fois où je bois de l’eau dans ma journée ? Pourquoi sommes-nous là à gesticuler pour faire venir des influenceurs qui prendront leur tête en photo la bouche en cœur, avec quelques placements de produits pour se rémunérer ? Que peut-on trouver de passionnant à mesurer des CPC et des CPM et à produire des rapports KPIs ?

Quel est le sens de promouvoir sans fin une destination, pour qu’elle finisse dénaturée l’été et morte l’hiver ? De vouloir à tout prix ouvrir une nouvelle ligne aérienne pour la remplir de gens qui exploseront leur bilan carbone pour changer d’air le temps d’un week-end ? Pourquoi a-t-on d’ailleurs autant besoin de changer d’air le week-end ? Le tourisme n’est-il pas le symptôme d’une société qui s’oublie ?

Bref… j’avais perdu le sens de tout ça. J’avais perdu le sens du tourisme. J’avais perdu l’essence de ma vocation. Mais en vous écrivant un petit bout de mon histoire, j’ai renoué des liens avec ce pourquoi je suis ici aujourd’hui.

Revoir l’horizon

On se perd dans les centaines de mails quotidiens, dans le scroll des réseaux, dans les chiffres des bilans d’activité. Et c’est sans doute là qu’il faut relever la tête et chercher l’horizon qui donne du sens à notre métier.

Quand je découvre avec effroi qu’il existe encore, dans notre pays, le « premier pays d’accueil des touristes » au monde, un citoyen capable de tuer autrui pour sa différence culturelle, je me dis que ce n’est pas le moment de mettre fin au tourisme et aux échanges internationaux. Il reste bien un long chemin à parcourir, beaucoup de choses à construire. La question n’est donc pas « faut-il continuer ? » mais « comment peut-on continuer dans la bonne direction ? ». La direction est propre à chacun, à nos motivations intérieures, elle est propre à un territoire, à ses motivations intrinsèques ; mais elle est aussi commune à l’Humanité, au respect que l’on doit à notre planète, si l’on souhaite continuer à l’habiter.

Mon horizon, c’est la rencontre avec l’Autre, l’échange et le partage, la découverte de ce qui fait l’Histoire et la Vie, la revitalisation des espaces oubliés.

Et vous ?

Vous arrive-t-il aussi parfois, souvent ou toujours, de douter du caractère magnanime ce que vous faites ? Avez-vous déjà perdu le sens de votre métier ? Comment l’avez-vous retrouvé ? Quel est votre Horizon à vous ? Quelle est votre raison d’être professionnelle ?

Je vous invite à partager votre vécu et votre ressenti en commentaire. Je vous ai livré un peu de moi, je serais ravie d’apprendre de vous.

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Diplômée de l’ESTHUA de l'Université d'Angers en conduite de projets touristiques, Amélie Perrin a d'abord été chargée de promotion pour l'Agence Touristique de la Touraine Côté Sud à Loches. Elle est ensuite partie en Inde s'occuper d'une association humanitaire, et a vécu deux ans en Chine où elle était lectrice de français à la Faculté de Tourisme de l'Université de Ningbo. Après une expérience de directrice d'office de tourisme dans [...]
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