Par les femmes, pour les femmes

Publié le 22 janvier 2024
4 min

Mardi dernier Emmanuel Macron annonçait un nouveau “congé naissance” et appelait à un “réarmement démographique de la nation”. Ces annonces peuvent nous amener à questionner la place des femmes dans la société, en particulier dans le monde du travail et notamment dans le secteur du tourisme. En effet, le tourisme est bien une affaire de femmes. Côté professionnels, 80% sont des femmes. Côté touristes, ce sont les femmes qui jouent un rôle prépondérant dans l’organisation des vacances du foyer.

Je veux donc parler des femmes, cette espèce qui “doit” interrompre sa carrière pour enfanter, couver, allaiter. Interrompre leurs carrières suffisamment longtemps pour assurer un équilibre physique et psychique à leurs enfants, ainsi qu’à elles-mêmes (après une déflagration de leurs corps et de leurs vies). Mais pas trop longtemps pour ne pas que cela ait des conséquences irréversibles sur leurs carrières, sur leurs salaires ni sur leurs réputations professionnelles. Ces femmes doivent être des mères parfaites, des professionnelles exemplaires. Ces femmes doivent passer d’un monde à l’autre, donnant toujours le meilleur d’elles-mêmes, se transformant en incroyables équilibristes.

Le monde du tourisme devrait donc être tout à fait attentif aux femmes, à leur environnement et aux lourdes contraintes qui pèsent sur leurs vies. Il devrait être construit et aménagé pour elles, leur permettre d’exercer leur métier en toute sérénité, de ne pas être dans la culpabilité constante de ne pas en faire assez, pour leur employeur ou leurs clients, comme à la maison pour leurs enfants.

Pourtant, une grande partie des métiers du tourisme : accueil, guidage, animation, restauration, hôtellerie,… exigent des horaires décalées, des périodes de travail en disharmonie avec le rythme scolaire. Je me souviens, fraîchement arrivée à la direction d’un office de tourisme, découvrir qu’une de mes collaboratrices n’avait pas eu le droit de prendre des vacances en été depuis plusieurs années. Ma priorité avait donc été de travailler le planning afin de lui permettre de poser deux semaines qu’elle passerait avec son fils et de l’emmener en vacances. Curieusement, il m’avait fallu négocier d’arrache-pied avec les décisionnaires pour arriver à cet aménagement. 

Les femmes constituent la force vive du secteur touristique et en font son essence. On pourrait soupçonner, par exemple, que le fort engagement environnemental des entreprises et institutions du secteur vient de la prépondérance de travailleuses. Ce sont en effet les femmes les plus engagées pour l’écologie. Cela n’est d’ailleurs pas sans leur conférer un souci additionnel à leur pesante charge mentale.

Je me souviens avoir appris étudiante, que le tourisme participe à la “re-création” des individus. Il constitue un espace-temps déconnecté de la réalité du quotidien. 

”Recréation” est un terme englobant qui a pour but de définir la finalité du tourisme ou l’intentionnalité des touristes […]. […] Le tourisme […] est aussi un moyen pour l’individu de se reconstituer physiquement et mentalement. Il est l’une des réponses possibles à son aspiration à l’épanouissement personnel.” (I. Sacareau et M.Stock dans Le tourisme – Acteurs, lieux, enjeux)

Mais le tourisme offre-t-il vraiment aux femmes un espace-temps libéré de la charge mentale ? Même en vacances, les femmes continuent à gérer une grande partie de l’organisation, comme l’illustrent les témoignages publiés par le collectif Taspensea. Un sondage Ipsos de 2022 révèle qu’”en vacances comme à la maison, la gestion des tâches ménagères demeure en majeure partie à la charge des femmes” et que “les marqueurs de l’inégale répartition des tâches sont considérablement plus frappants dès lors qu’il s’agit de s’occuper des enfants, de veiller à ne rien oublier de ce qui leur sera indispensable ou utile sur place ou bien de planifier leurs activités quotidiennes en vacances.”

Malgré la plus grande disponibilité du conjoint, la trêve estivale ne parvient donc pas à rompre les modèles conjugaux et familiaux inégalitaires” (François Kraus, directeur du pôle « Genre et sexualités » à l’IFOP)

Femmes du tourisme, dirigées à 80% par des hommes, prisonnières d’un marché du travail inadapté à la réalité de nos situations familiales, nous œuvrons donc principalement au repos des hommes. Il ne tient qu’à nous d’imaginer un modèle d’organisation et des prestations qui serviraient davantage et avant tout les femmes. 

Le tourisme est un formidable levier d’émancipation des femmes. Si le Grand Tour du XIXe siècle était réservé aux hommes et à l’aristocratie, les femmes et les milieux plus modestes accèdent aujourd’hui massivement au privilège du voyage. De plus en plus de femmes souhaitent voyager seules. Soulignons que cela leur permet non seulement de fortifier leur confiance en elles et de gagner en indépendance, mais aussi d’alléger leur charge mentale en ayant à penser qu’à elles-mêmes. Cependant les obstacles restent encore nombreux pour beaucoup de femmes :  peurs, image renvoyée, sécurité,… comme l’expliquait Sophie Moreau lors des derniers ET.

Dans notre monde où l’individualisme étouffe sournoisement la solidarité et où les sollicitations multiples engendrent un stress qui nous oppresse toujours plus, travailler pour le tourisme – contribuer à créer des moments de partage et des temps de déconnexion – est une chance à saisir. A nous d’agir pour qu’il en soit une pour TouTes. 

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Diplômée de l’ESTHUA de l'Université d'Angers en conduite de projets touristiques, Amélie Perrin a d'abord été chargée de promotion pour l'Agence Touristique de la Touraine Côté Sud à Loches. Elle est ensuite partie en Inde s'occuper d'une association humanitaire, et a vécu deux ans en Chine où elle était lectrice de français à la Faculté de Tourisme de l'Université de Ningbo. Après une expérience de directrice d'office de tourisme dans [...]
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