Hybridation et impact positif : les nouveaux codes de l’hospitalité

Publié le 24 avril 2023
7 min

Alors que les beaux jours arrivent et que les hôteliers sont encore à la recherche de 200 000 saisonniers pour l’été, nous sommes nombreux à nous intéresser aux raisons d’une telle désaffection et à proposer des explications : conditions de travail difficiles, salaires insuffisants, précarité des contrats, absence de perspective d’évolution…. la liste des motifs est longue et nul doute qu’il faudra prendre des décisions courageuses pour rendre le métier plus attractif.

Dans un article publié par Brice Duthion sur Tourmag, l’expérience collaborateur est une vraie piste pour réenchanter le métier, la revalorisation salariale au niveau de la filière en est une autre… une chose est sure les conditions de l’attractivité passent par une refonte de la filière.

« C’est donc un écosystème qui doit être totalement revu, en axant notamment sur quelques idées fondamentales : moins d’expertise mais plus de créativité, moins d’excellence mais plus d’empathie, moins de conformité mais davantage plus de personnalisation. «

Au delà de toutes les solutions évoquées, je pense qu’il est nécessaire de questionner le rapport au travail des nouvelles générations et de se poser sur leur motivations : équilibre vie perso/vie pro, intérêt de la fonction, engagement dans un projet, gout des relations humaines,…

Et si les jeunes étaient attirés par des métiers moins routiniers ?

Et si ça n’était pas les conditions de travail qu’il fallait changer mais la définition du métier, le périmètre du service rendu au client, et plus largement aux parties prenantes ? Et repenser par la même occasion les fonctions, les rendre plus transversales, plus poreuses et plus alignées avec les besoins des nouvelles clientèles ?

Et si la réinvention de l’hospitalité passait par une profonde mutation de sa chaine de valeur pour embrasser les courants qui traversent notre société et mieux coller aux aspirations des clients, des employés et des partenaires ?

Et si les pratiques durables étaient devenues insuffisantes pour créer une différence perceptible dans l’océan rouge des propositions offertes aux visiteurs : hôtels, gites, chambres d’hôtes, habitats insolites, logements chez l’habitant, campings..le nouveau classement des hébergements intègre bien certains critères RSE (qui passent de 13 à 27 !) mais ne prend pas en compte l’impact sur la biodiversité, les communautés locales en lien avec la mission de l’entreprise, sa raison d’être quand elle existe.

Limités à une dimension fonctionnelle du service basée sur des référentiels datés, les éléments de valeur d’un hôtel ou d’un restaurant ne font pas rêver les jeunes qui aspirent à jouer un rôle plus impactant, à avoir une réelle utilité dans un monde de plus en plus anxiogène : leur travail doit avoir du sens pour eux et pour la société dans son ensemble.

En 2007, Serge Trigano créait Mama Shelter, un nouveau concept d’hôtel qui s’affranchissait du classement officiel pour inventer une expérience inspirée des nouveaux modes de vie, des lieux de convivialité ancrés dans des quartiers populaires : programmation éclectique et branchée, restauration soignée co produite avec des chefs prestigieux, playlists entrainantes, boutiques jouant la carte du local et du décalé, photobooths pour se mettre en scène et créer une communauté… on est loin des codes standardisés de l’hôtellerie traditionnelle.

Mama Shelter – Marseille

15 ans plus tard, Ennismore, le segment « lifestyle » -dont Mama Shelter fait désormais partie- tire la croissance du groupe ACCOR et ré enchante l’expérience client et collaborateur. C’est aujourd’hui le secteur le plus porteur de l’hôtellerie dans le monde, en partie grace à la clientèle locale et à la forte proportion de télétravailleurs qui représentent 50 % des revenus. Autrefois champion de la standardisation, ACCOR joue la carte de la personnalisation et de la diversité avec les 14 marques et 150 hotels de son collectif. Le groupe a aussi développé des démarches d’innovation RH pour mieux intégrer les aspirations de la jeune génération et stimuler l’attractivité.

Derrière ce succès insolent, il y a des marqueurs identitaires forts inscrits dans l’ADN des marques et difficilement copiables ou industrialisables :

-l’hybridation

-l’impact positif

Ils constituent les nouveaux piliers des entreprises qui ont choisi le mieux commun pour donner du sens à leur mission.

L’hybridation une nouvelle esthétique du mélange des genres, des générations, des cultures, des gouts….

Si j’ai pris Mama Shelter comme exemple, c’est que l’enseigne incarne l’hybridation par excellence. Certes il existait déjà des hôtels de ce genre ailleurs – Ace, Hoxton, 25hours…- mais en France c’était le premier à mélanger ainsi les codes pour créer des lieux uniques et iconiques. L’hybridation se caractérise par :

-des usages qui diffèrent suivant la situation vécue par le client : les voyageurs qui fusionnent loisirs et travail (bleisure), les employés qui rallongent leurs vacances et en profitent pour télétravailler (workation), les équipes qui se retrouvent pour resserrer les liens….

-des services qui s’adaptent aux différentes cibles jusqu’à la personnalisation

-des collaborateurs issus de la diversité , non professionnels du secteur et que l’on forme au métier

-des références culturelles diverses sans lien entre elles

-des services nombreux et inattendus -boutiques, activités ou réunions organisées par les gens du quartier, concerts, expositions…

-des contributions à la vie de la communauté locale, l’engagement dans des causes qui touchent la vie des gens

Les tiers lieux sont aussi typiques de ce mélange et incarnent les nouvelles tendances du vivre ensemble.

Dans « Penser l’hospitalité », le livre qu’elle a co écrit avec Cyril Aouizerate le fondateur de Mob Hotel, Gabrielle Halpern voit dans l’hybridation le moyen de sortir de la standardisation imposée par les classifications et de s’ouvrir à la possibilité d’une transformation personnelle provoquée par le frottement entre les générations, les genres, les styles vestimentaires, les gouts musicaux ou artistiques qui cohabitent dans un Mama Shelter ou un Mob Hotel . Le fait que ces hôtels soient ouverts sur leur quartier rend les frontières poreuses en permettant aux communautés locales – retraités, télétravailleurs, associations…- de se mêler les unes aux autres. L’hybridation redonne au terme même d’hospitalité ses lettres de noblesse en autorisant la générosité et le partage «…. de quoi donner encore plus de sens aux métiers de l’hôtellerie. L’hôtel devient une maison collective, une forme de point de repère fédérateur dans un territoire. Cela ne devrait-il pas être le rôle de tous les hôtels ? Il faut jouer avec les frontières, les déplacer sans cesse, voire y faire des brèches »

L’impact positif, nouveau fer de lance de la marque employeur

Dans l’hospitalité, les démarches RSE sont nées il y a bien longtemps : : en 1994, ACCOR était le premier groupe d’hospitalité à s’équiper d’une Direction de l’environnement. Aujourd’hui, le tourisme durable bien que doté de nombreux labels peine à enclencher des actions réellement efficaces et à inspirer les visiteurs dans leurs choix : alors que dire des collaborateurs.

Pour la jeune génération qui subit de plein fouet toutes les crises à commencer par le changement climatique, le travail, à défaut de fournir un salaire à vie, doit au moins être créateur de sens et fournir des buts inspirants.

C’est ce que propose le nouveau label B Corp, un label international qui évalue et valorise l’impact réel et les contributions positives de l’activité d’une entreprise. Les entreprises certifiées sont évaluées via un questionnaire, annuellement révisé, de 200 questions qui portent sur différents sujets liés par exemple à la gouvernance, aux conditions de travail des salariés, à son impact environnemental, au choix de ses fournisseurs, à son rôle dans la communauté, au respect des clients, etc. C’est la certification la plus complète au monde, celle qui garantit que les actions contribuent réellement au mieux commun.

Big Mamma est le 1er groupe de restauration d’Europe labellisé B-Corp avec une note totale de 96,5 points la plus élevée du secteur. Pour Big Mamma, la conséquence sur son attractivité en tant qu’employeur est énorme : « En changeant la vie de notre staff, en voulant proposer à nos clients le meilleur moment de leur journée, tout en ayant un impact positif pour la planète, on est devenu le groupe de restaurants le mieux noté d’Europe par le label. Depuis 2018, nous avons ouvert 12 nouveaux restaurants, dans 4 pays différents. Nous nous battons au quotidien pour offrir à nos équipes un terrain de jeu dans lequel elles peuvent apprendre, grandir, s’entraider et progresser. Sur les quatre dernières années, plus de 1.000 emplois ont été créés avec 75% des postes de management en restaurant issus de la promotion interne. » Extrait du communiqué de presse suite à la reconduction de la certification en mars 2023

Big Mamma – Paris

Aujourd’hui, il existe plus de 80 entreprises de l’hospitalité labellisées B Corp dans le monde : c’est peu mais ce nombre augmente chaque année, le label étant de plus en plus reconnu par les jeunes générations qui veulent aligner leurs actes avec leurs convictions.

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Laurence est designer de service et expert en expérience visiteur. Elle dirige X+M un studio spécialisé dans l'innovation positive. Au cours de ses missions, elle a accompagné de nombreux territoires -Ile de la Réunion, Finistère, Normandie, Cognac, Val d'isere, Val Thorens, Les Ménuires.....-mais aussi des structures de loisirs -Futuroscope, Océanopolis, la Cité du Vin..- Formée B Leader (B Corp), elle accompagne les changements de modèles d'affaire en lien avec la [...]
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