Crise sanitaire : adopter une stratégie à deux ans

Publié le 4 novembre 2020
6 min

Si je partage le sentiment général des responsables d’organismes de gestion de destination (offices de tourisme, ADT, CRT) tel que je le ressens ces dernières semaines, cela tiendrait en quelques mots « ce n’est pas simple… »

C’est sur que ce nouveau reconfinement a douché l’espoir d’une sortie de crise certes lente, mais progressive. Cet arrêt supplémentaire de l’économie touristique, à l’aube d’une saison d’hiver, n’est pas de bonne augure. Surtout que nos divers scientifiques nous annoncent une série de vagues, et donc de stop and go sur les mesures sanitaires. Vous me direz « qu’y connaissent-ils, ces fameux scientifiques? » En fait, un peu plus que vous et moi, sans doute, mais un fait est avéré : personne ne connaît vraiment l’issue de cette crise sanitaire. C’est ce qui fait de la situation un jour gris sans fin… Difficile dans cette ambiance-là de faire des prédictions fiables sur ‘ »l’après Covid ». On n’en connaît même pas la date, de ce fameux « après-covid »! Dans six mois, un an, ou plus? Première difficulté donc : on ne connaît pas la date de sortie de crise

Mais en même temps que dans chaque destination, on s’interroge sur la fameuse « fin », il y a, pour chacune de ces destinations, des saisons à préparer. Pour de nombreux territoires, si on regarde ce qui s’est passé durant l’été 2020, on peut s’attendre à de belles fréquentations pour la prochaine saison. Si, toutefois, il n’y a pas de mesures supplémentaires au moment des départs en vacances… Ce que se disent actuellement les territoires de montagne. Ce « si toutefois » résume à lui seul la deuxième difficulté : faire des prévisions fiables d’activité même durant la période COVID…

Finalement de quoi est-on sûr?

Heureusement il subsiste quand même quelques certitudes avec cette crise étrange.

La première de ces certitudes, c’est que l’activité touristique de demain ne sera pas celle d’hier. On sait maintenant que l’on ne reviendra pas en totalité à un modèle ancien. Parce que de nouvelles habitudes de consommation ont été prises, parce que le produit touristique évoluera. Qui peut imaginer par exemple que les congrès internationaux se déroulent exactement de la même manière à la fin du covid?

La deuxième de ces certitudes, c’est qu’il y aura de la casse dans l’offre touristique. Certaines des entreprises touristiques de notre territoire auront tout simplement disparu.

La troisième certitude, c’est qu’il faudra que les collectivités et leurs bras armés que sont les Organismes de Gestion de la Destination accompagnent cette reconstruction et ces transitions.

Un nouveau rôle pour les OGD?

Je ne pense pas que le fait d’accompagner les entreprises touristiques soit un rôle totalement nouveau pour les Offices de Tourisme, ADT ou CRT. Une évolution de la culture de certains organismes, c’est sur. Il y a un an et demi, j’écrivais un billet intitulé « arrêtez de vous occuper des touristes, pensez aux socio-pros« . Le conseil est encore plus vrai aujourd’hui ! car si on veut des touristes demain, il faut qu’il y ait des entreprises en bonne santé pour les accueillir…

De nombreux OGD, notamment des offices de tourisme ont enclenché dès le mois de mars un super boulot d’accompagnement des professionnels, allant du soutien psychologique, à la mise en réseau, en passant par des actions de promotion collectives locales. Ceux qui avaient déjà établi une bonne relation avec les professionnels de leur territoire ont gagné d’ailleurs énormément en légitimité.

Avec un deuxième confinement, le rôle des organismes locaux, en soutien à la communauté locale (professionnels du tourisme et habitants) est plus que jamais évidente. D’ailleurs, de beaux exemples nous sont montrés, comme ici dans le Pays de Saint-Omer, où le directeur de l’Office de Tourisme montre un dynamisme extrêmement positif.

4 défis à regarder en face

Toute la difficulté est là pour un responsable d’OGD : faire face à plusieurs défis en même temps, qui demandent des réponses très différentes.

Le premier défi : assurer l’instant présent. Le directeur d’office de tourisme a un premier enjeu : faire tourner sa boutique, assurer le chômage partiel, les fermetures de BIT, etc. En même temps, il doit continuer à accompagner ses prestas pour ce second reconfinement (voir les bonnes astuces communiquées par Jérôme Forget dans ce récent billet).

Le deuxième défi : il faut parallèlement préparer la (les) prochaines saison(s). Pour les territoires ruraux qui ont « explosé » durant l’été 2020, on sait que les visiteurs français seront sans doute moins indulgents sur les prix, la qualité de service, les animations absentes, etc. Comment aider les professionnels à se mettre en ordre de marche pour ce/ces prochaines saisons?

Le troisième défi : se projeter sur le moyen terme. Sans certitude de la date de ce moyen terme, évidemment, mais il correspond à la sortie de crise. Là, il faudra que l’OGD accompagne les entreprises en difficulté. Souvent, le challenge sera de faire pivoter l’activité : s’adresser à de nouveaux marchés, faire évoluer le produit, etc. On pense à des secteurs dépendant fortement de l’international ou de certaines pratiques, comme le tourisme d’affaires. Mais il faudra sans doute dans certains endroits reconstruire une dynamique de territoire après un certain nombre de fermetures. Comment, dès cet automne 2020, anticiper les besoins d’accompagnement de sortie de crise ?

Le quatrième défi : être équipé des moyens de l’accompagnement. Comme on a pu le voir ci-dessus, les chantiers d’accompagnement vont être multiples et très diversifiés. Des chantiers qui nécessiteront des compétences d’accompagnement très spécifiques. Mais ces besoins vont souvent être limités dans le temps. Il ne sera donc pas possible de former les collaborateurs à de nouveaux métiers : il faudra parfois que la compétence soit externe.
Les OGD vont donc avoir besoin de moyens pour pouvoir anticiper le rebond de l’industrie touristique locale. Moyens évidemment à trouver auprès des collectivités mais aussi des bailleurs de fonds public.

Quatre défis, donc, qui sont à la fois immédiats et distants. Je constate que les patrons de destination sont majoritairement en train de relever les défis immédiats, mais qu’ils ne se sont pas encore projetés dans l’après! Je ne vais surtout pas leur jeter la pierre, sachant comment la gestion du quotidien est déjà compliquée. Mais je dis juste que c’est du role des OGD d’anticiper la sortie de crise.

S’appuyer sur des scenarios

Une des méthodes adaptées à cette période de grande incertitude est de travailler sur des scenarios à deux ans, pour chaque destination.

Les scenarios vont couvrir l’ensemble des hypothèses de sortie plus ou moins rapide de crise, d’impact plus ou moins importants sur l’économie touristique, de casse plus ou moins forte chez les prestas.

L’avantage de faire plusieurs scenarios, du pire au meilleur, c’est qu’on ne sera jamais surpris : si le scenario le plus optimiste se réalise, c’est tant mieux. Si c’est le pire qui arrive, on avait prévu cette issue.

Ces différents scenarios devraient selon moi être assortis de besoin en moyens pour que l’Office de Tourisme, ou l’ADT, ou le PNR, puisse intervenir efficacement. Il s’agira de moyens humains, surtout, en accompagnement. Mais aussi de moyens en marketing et communication.
C’est en travaillant ces scenarios que chaque OGD pourra voir les besoins qu’il ne pourra pas satisfaire tout seul, notamment en terme de compétences. Et que donc, très naturellement, on recherchera la collaboration entre les divers niveaux territoriaux, pour être plus efficace dans cette période de reconstruction.

Imaginons qu’à l’échelle d’un département, tous les directeurs d’offices et l’ADT se prêtent à ce même exercice d’anticipation : cela permettrait de définir une stratégie de sortie de crise collective, de prévoir les compétences et moyens nécessaires dans un ou deux ans, et surtout de les mutualiser. Cela permettrait également de s’appuyer sur des partenaires externes, comme les « tourisme labs » ou plateformes d’innovation qui seront extrêmement utiles pour innover dans l’offre touristique.

Plus que jamais selon moi, il faut que les organismes locaux du tourisme soient dans l’intelligence collective, et que chacun prenne le temps de sortir la tête du guidon pour regarder loin devant! Et ce dès maintenant!

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Jean Luc Boulin est consultant en tourisme : Intervention auprès des élus et des prestataires touristiques, coaching, accompagnement des équipes et des directions sont ses principaux champs d'intervention. Avec deux exigences : se mettre à la place du client et oser l'innovation. Directeur de l’office de tourisme de l’Entre-deux-Mers (Gironde) et du pays d’accueil touristique du même nom pendant plus de dix ans, Jean Luc Boulin a dirigé la MONA [...]
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