Sentez-vous le vent du changement dans l’élaboration de stratégie de développement touristique ?

Publié le 18 décembre 2023
6 min

Alors même que tout le monde appelle de ses vœux la transition pour le secteur du tourisme et en particulier pour les destinations touristiques, il apparaît que le document stratégique appelé communément « Stratégie de développement touristique » ou « schéma de développement touristique » a encore bien du mal à faire sa mue. Pourtant, c’est bien ce travail essentiel qui devrait être repenser à l’heure de la transition. Alors que l’année 2023 se termine doucement, je vois apparaître, ça et là, des signaux faibles montrant que le pas de côté est aussi possible dans l’élaboration de ce document cadre.

Un peu d’hospitalité…

Pendant les Universités du Tourisme Durable organisées cette année à Aix-les-Bains, nous avions eu une conversation avec Clément Simonneau (bienvenue dans les blogueurs) et Prosper Wanner des Oiseaux de Passage à propos de leurs travaux autour de l’hospitalité. Pour rappel, ils travaillent beaucoup sur le fait, pour une destination, de repenser l’accueil des visiteurs sur un territoire en allant bien au-delà du touriste mais en y intégrant tout public qui serait de passage comme les étudiants, les aidants pour des personnes hospitalisées, les migrants, etc. Ainsi, nous réfléchissions ensemble à la possibilité de faire cette traduction dans les fameuses stratégies de développement touristique en les renommant stratégie de l’hospitalité… Il s’agirait ainsi de repenser la réalisation d’un classique schéma de développement touristique en ayant un regard beaucoup plus transversal sur l’accueil des publics pas forcément touristique. Ainsi, rien que dans le diagnostic territorial, il faudrait aller chercher d’autres éléments chiffrés et qualitatifs en s’intéressant en tous ces publics qui sont de passages dans la destination. Ce travail permettrait alors d’analyser plus finement les conflits d’usage que l’on retrouve parfois dans certaines destinations sur l’usage des meublés (entre usage touristique pendant l’été et usage pour les étudiants à partir de septembre sur le reste de l’année – ainsi, faut-il forcément vouloir développer les ailes de saison dans la destination ?).

Aux Universités du Tourisme Durable 2023 à Aix les Bains (Photo Aymeric Coissard)

Et des donuts

Il y a quelques temps déjà, je vous parlais également de la fameuse Théorie du Donut que l’on pourrait utiliser aussi pour construire différemment un schéma de développement touristique. En reprenant les principes de cette théorie économique, il suffirait de valider les principaux socles sociaux nécessaires au développement touristique ainsi que les plafonds écologiques à ne pas dépasser pour la destination. Au milieu de ces deux cercles, on pourrait ensuite élaborer les contours du développement touristique en anticipant les conséquences sur les socles sociaux et les plafonds écologiques afin de vérifier qu’ils ne soient jamais dépassés.

Théorie du Donut de Kate Raworth

Ainsi, les socles sociaux seraient par exemple :

  • La pression foncière et l’accès au logement pour les habitants ;
  • L’accès à la nourriture et à l’eau pour les habitants ;
  • L’équité sociale et l’implication des parties prenantes dans les projets touristiques ;
  • La qualité des services publics comme la santé ou l’éducation ;

Les plafonds écologiques pourraient être :

  • L’alignement de la réduction des émissions de GES de la destination avec l’Accord de Paris ;
  • La qualité de l’air ;
  • La perte de la biodiversité ;
  • L’artificialisation des sols ;
  • La qualité et la quantité d’eau disponible ;

En partant sur cette logique, le travail de diagnostic pousserait le consultant et les équipes en interne d’une collectivité d’aller collecter des informations et des données beaucoup plus larges qu’habituellement. Ensuite, cela permettrait de construire différemment l’ambition politique de développement touristique en évitant au maximum les conséquences sur les socles sociaux et les plafonds écologiques. Un travail efficace qui nous rappelle aussi la « fresque du renoncement » car oui, certains projets ne pourront pas voir le jour afin d’éviter des conséquences néfastes sur la nature ou les habitants.

La poussée de Green Destinations en France

Du 8 au 10 octobre a eu lieu à Tallinn (Estonie) la conférence annuelle du réseau Green Destinations. Ce label international reconnaît les destinations engagées en matière de tourisme durable à travers un référentiel reconnu par les Critères Mondiaux du Tourisme Durable (GSTC). Alors que le label se déploie depuis pas mal d’années dans certains pays européens en particulier en Slovénie ou en Espagne, c’est désormais en France qu’on le voit se déployer dans certains territoires. Cela a démarré avec la Normandie en 2022 grâce au travail d’OTN – Offices de Tourisme de Normandie, qui a été reconnue pour son travail d’accompagnement autour de la RSE. D’autre part, cette même année, c’est la destination de Bagnoles de l’Orne qui été labelisée pour la première fois en France. Cette année, en 2023, c’est la destination Granville Terre et Mer, qui a été labelisée.

Le CRT Occitanie n’est pas en reste et souhaite aussi déployer cette labelisation pour les 14 destinations les plus engagées de la région. L’organisme a ainsi lancé un AMI afin d’accompagner 14 destinations dans la région pour devenir les nouvelles destinations labelisées par Green Destinations en 2024.

Cette poussée, dans la lignée de la certification GDS Index pour les métropoles, montre bien la belle dynamique des destinations pour formaliser leur engagement en matière de développement durable en particulier au sein de leur document cadre.

C’est d’ailleurs ce que nous sommes en train de faire actuellement avec la destination Granville Terre et Mer où l’influence de Green Destinations est forte dans l’élaboration de la nouvelle stratégie territoriale.

Le cadre-même du diagnostic a d’ailleurs évolué au cours de la mission en le construisant en respectant directement les 5 grandes parties du référentiel Green Destinations. Ce travail a permis justement de mettre en évidence la répartition déséquilibrée de ces 5 parties. Habituellement, lors d’un diagnostic, on s’intéresse en priorité à l’offre touristique présente sur le territoire (la partie 1 – GD1) et beaucoup moins aux parties 4 et 5 sur « Culture et Tradition » ou « Bien-être social ». Cela permet justement de creuser beaucoup plus sur ces sujets-là et de rééquilibrer l’analyse que l’on fait habituellement du tourisme sur un territoire.

Le nouveau sommaire pour réaliser le diagnostic du tourisme à Granville Terre et Mer

Une remise en question du terme « développement »

Sur cette mission à Granville, c’est le terme-même de « stratégie de développement touristique » qui a été remis en question au cours des ateliers avec les différentes parties prenantes du territoire et les échanges informels avec les technicien.nes du territoire et de l’office du tourisme. Étant donné les problématiques observées sur les impacts du tourisme sur le territoire, pourquoi vouloir forcément du « développement » touristique. Assez rapidement, nous avons creuser l’idée de renommer le document cadre. Finalement, nous avons opté pour le nom « schéma d’équilibre touristique ».

Cette notion d’équilibre allait particulièrement bien avec la vision des différents acteurs de faire « mieux » plutôt que « plus ».

A terme, peut-être que ce titre deviendra la norme dans le futur pour les destinations…

Pour une conduite du changement en profondeur des élus et des techniciens

Au-delà de la construction différente du diagnostic, n’y a-t-il pas aussi un pas de côté à faire pour construire l’ambition du schéma et les axes stratégiques et opérationnels majeurs ? De quelle manière peut-on travailler avec les élus, les techniciens, les professionnels et les habitants pour réellement aboutir à un engagement de tous dans la construction et dans l’implication pour ce nouveau document stratégique ?

Sur l’exemple des conventions citoyennes, ne peut-on pas imaginer des temps plus longs et plus immersifs d’acculturation aux sujets et de co-constructions, au-delà des simples ateliers participatifs qui sont aujourd’hui encore légions dans ces phases ?

En 2024, essayons ensemble d’imaginer une autre manière d’impliquer les acteurs et les élus afin de faire de ce moment une vraie conduite du changement pour tous afin que le schéma soit le début de quelque chose et non pas l’aboutissement d’une mission.

Joyeux fêtes de fin d’année à tous et à très vite pour faire des pas de côté en 2024!

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Hey! Moi, c'est Guillaume Cromer, je pilote ID-Tourism, cabinet d'ingénierie sur le marketing du tourisme. Historiquement, je suis bien impliqué sur les questions de tourisme durable mais depuis quelques temps, je m'intéresse beaucoup à la question de la prospective du tourisme pour bien comprendre comment vont évoluer les attentes des voyageurs et de quelle manière il va falloir adapter les organisations publiques et privées du tourisme. Hyper curieux et de [...]
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