Accessibilité, écoconception, performances… la qualité web n’est plus une option en 2024

Publié le 13 mars 2024
10 min

Le Web évolue énormément depuis sa naissance, parfois dans le bon sens et à un rythme incroyable, parfois pas… 

  • L’accessibilité numérique est une obligation légale depuis 2005 ! En 2024, les sites de destination réellement conformes se comptent sur les doigts d’une main, au prétexte principal que le besoin de séduction d’un site de destination ne serait pas compatible avec les contraintes du RGAA (évidemment et totalement faux !) et que ça coute cher (plus ou moins vrai)
  • Le RGPD est une autre obligation légale depuis mai 2018 ! 6 ans plus tard, la plupart des sites semble en conformité (présence d’un “bandeau cookie”) mais on estime qu’en dépit des apparences, plus de la moitié de ces bandeaux ne sont pas correctement implémentés, rendant l’effort inutile et le résultat illégal (dommage !)
  • Le poids médian des pages web a été multiplié par 5 entre 2010 et 2023 ! Certes l’explosion des débits des réseaux et de la puissance des terminaux a rendu possible cette hérésie, mais au prix d’une obsolescence prématurée de milliards de matériels (cause de 80% de la pollution numérique) et d’une expérience utilisateur qui s’est fortement dégradée avec des temps de chargement excessifs
  • L’écoconception web s’invite dans tous les cahiers des charges depuis 18 mois ! Le concept est largement galvaudé, parfois jusqu’au ridicule, par manque de repère et opportunisme, et malgré les annonces et promesses, on peine à trouver des exemples de sites de destination effectivement éco-conçu dans leur globalité

Pourtant, l’état, les associations, quelques AMO et agences, œuvrent au quotidien pour un web meilleur. Pourtant, les sites web de destination sont largement installés dans le paysage et leur utilité n’est plus à démontrer. Pourtant, les sommes investies par les OGD dans leurs sites web sont loin d’être anecdotiques, parfois même très excessives… Mais force est de constater que les regards ont du mal à se tourner vers ces sujets pourtant essentiels, que les allocations budgétaires ont du mal à les prioriser, que les efforts de R&D ont du mal à les adresser. Il faut reconnaitre que c’est un peu moins sexy et vendeur que des fonctionnalités « innovantes » dont notre secteur est historiquement friand.

En 2019 (presque 5 ans, une éternité à l’échelle du web) je publiais ici-même un billet qui dressait un portrait de ce que devrait idéalement être l’état de l’art en matière de sites web, avec un propos centré sur la performance technique, l’éthique et l’écoconception. 5 ans plus tard, un constat s’impose : rien ou presque n’a changé. En revanche, le contexte, lui, a évolué, la loi aussi, de quoi refaire un état des lieux et (re)prendre conscience des enjeux et, accessoirement, des risques.

Accessibilité, fini de “rigoler”

En 2021, mon billet sur l’accessibilité numérique dans le tourisme venait compléter le plaidoyer de Mathieu. L’occasion de rappeler que l’accessibilité numérique s’impose par la loi aux OGD depuis la loi Handicap de 2005 (article 47). Vous retrouverez dans ces 2 billets complémentaires toutes les infos sur le cadre légal, le référentiel en vigueur, la démarche pour être conforme… étude de cas de l’OT du Pays Basque à l’appui… 

3 ans plus tard, où en est-on sur le terrain ? Eh bien Mathieu a pu mener à terme la mise en conformité du site de Clermont Auvergne Tourisme, et Attitude Manche a déployé un nouveau site totalement conforme, tandis que quelques autres sont en cours de développement ou de mise en conformité. Pas d’autres sites de destinations conformes à ma connaissance ! D’ailleurs, si votre site est effectivement conforme, n’hésitez vraiment pas à le faire savoir en commentaires, je me ferai un vrai plaisir de le valoriser en complétant cet article ! Bref, autant dire que le mouvement est pour le moins confidentiel et que seuls quelques convaincus engagés ont réussi à passer de l’intention aux actes. Ils en ont d’autant plus de mérite et devraient inspirer notre industrie. C’est d’autant plus incompréhensible que le nécessaire a bien été fait pour mettre en conformité les bureaux d’accueil des OTs, avec des frais souvent bien supérieurs… alors pourquoi pas les sites web ?

Mais qu’on se “rassure”, le tourisme n’est pas le vilain canard du web, en tous cas sur ce sujet. Divers baromètres, observatoires et études convergent vers une estimation qui interpelle : 3% des sites rempliraient leurs obligations déclaratives et 0,5% des sites seraient effectivement conformes !

Face à ce statu quo, la loi a évolué par l’ordonnance du 6 septembre 2023. Depuis le 1er janvier 2024, un défaut d’accessibilité à 100% devient une infraction passible d’une sanction (jusqu’à 50 000€) pouvant se cumuler avec la sanction pour non-respect d’affichage d’informations sur l’accessibilité (jusqu’à 25 000€). Mais surtout, l’ARCOM (autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) est désormais compétente pour identifier et constater les manquements, en s’appuyant notamment sur des méthodes de collecte automatisée, puis émettre des injonctions préalables aux sanctions ! Ça ressemble à un gros coup de sifflet dans la cour de récréation…

À noter qu’à partir de juin 2025, TOUS les nouveaux services numériques, publics comme privés, devront être accessibles !   

Dans le même temps (hasard du calendrier ?) la commission Européenne s’est prononcée officiellement fin 2023 sur les “outils miracles” censés rendre les sites accessibles : si quelques outils permettent certes de combler certaines lacunes en matière d’accessibilité, ils ne sont capable d’adresser que 30% des critères du RGAA et, dans certains cas, ces outils interfèrent même avec les technologies d’assistance utilisées par les personnes en situation de handicap. Et de conclure que NON, les surcouches ne permettent en aucun cas de rendre un site accessible ni de respecter la législation française en vigueur.

Parallèlement, plus de 800 experts mondiaux de l’accessibilité ont signé une tribune pour prendre position sur ces outils : ils estiment que les outils de surcouche “se présentent de manière trompeuse comme fournissant une conformité automatisée aux lois ou aux normes” et affirment que “aucun outil de surcouche sur le marché ne peut rendre un site web totalement conforme à une norme d’accessibilité existante et ne peut donc pas éliminer le risque juridique”.

Donc, la seule solution est bien de respecter l’état de l’art, de prendre en compte l’objectif d’accessibilité à 100% dès la phase de conception et de tenir le cap tout au long du projet, de se former sur le sujet (notamment sur la rédaction et l’intégration de contenus), de (faire) réaliser un audit, de remplir ses obligation déclaratives… Ça commence dès le cahier des charges (responsabilité majeure des AMO sur le sujet !) qui doit impérativement l’exiger dans le socle non négociable du projet, pas comme une simple option qui sautera au moment de choisir entre l’accessibilité et une fonctionnalité plus sexy. Il est plus que temps de prendre le sujet à bras le corps et faire preuve de responsabilité collective.

La protection des données personnelles et le RGPD

Bien que le cadre réglementaire n’évolue pas spécifiquement en 2024 sur ce sujet, la fin des cookies tiers sur Google Chrome (et la généralisation du TCF v2.2) agite quelque peu les esprits les plus pointus et techniques, les plus engagés dans des stratégies d’acquisition publicitaire. 

Mais plus basiquement, on reste encore très surpris du manque de conformité (et de responsabilité), sur ce sujet également. Alors que dans leur très large majorité les sites de destination ont adopté les bandeaux cookies et ont opéré une migration vers GA4 “par défaut” (faute de temps, de moyens ou d’expertise pour vraiment faire un choix d’outil éclairé), on observe qu’en réalité probablement moins de la moitié des sites est effectivement conforme au RGPD : le bandeau cookie est bien présent mais des cookies sont malgré tout déposés avant le consentement de l’utilisateur, voire pire, restent présents malgré son refus. Il faut dire que se mettre en conformité, c’est renoncer au suivi d’une bonne partie de son audience (40 à 60% quand même !).

Sur ce volet, il serait bon de se poser quelques bonnes questions, à commencer par “à quoi me servent les données récoltées ?”. Probablement plus de 90% des OGD n’exploitent pas de données analytics avancées et pourraient très largement se contenter d’une solution exemptée de consentement (Matomo pour ne citer que la plus connue) et ainsi se passer du bandeau cookie et récolter des données sur quasiment 100% de l’audience. Reste à vérifier la bonne conformité du bandeau cookies pour les autres.

Performances, écoconception… et si on s’y mettait pour de vrai ?

Pas une semaine ne passe sans qu’un OGD ou une Agence web ne publie un post LinkedIn pour annoncer un nouveau site tout beau tout neuf et surtout éco-conçu… enfin… soit disant éco-conçu ! Parce que dans les faits, on est très loin du compte.

Le problème avec l’écoconception, au-delà du phénomène de mode sur lequel les opportunistes essaient de surfer (bien au-delà de notre petit secteur pour le coup), c’est qu’il n’existe pas encore vraiment de méthode d’évaluation qui fasse consensus et sur lequel on puisse se reposer objectivement et de manière indiscutable. 

  • Les calculateur carbone sont des gadgets qui focalisent l’attention sur le moins grave des problèmes (l’émission de CO2 directement corrélée au poids des pages), alors que le coeur de l’écoconception est fondamentalement ailleurs, avec pour objectif de limiter au maximum l’obsolescence prématurée des terminaux (ordinateurs, smartphones…) et accessoires (batteries…).
  • EcoIndex.fr tente de corriger cela en priorisant la complexité des pages et bien qu’il soit imparfait et incomplet, il propose un premier niveau de lecture qui ne devrait pas être balayé d’un revers de main par ceux qui ne parviennent pas à obtenir des résultats un tant soit peu acceptable.
  • Les outils plus pointus, à l’image de GreenFrame, sont trop complexes pour être appréhendés par les clients finaux et trop contraignants pour la plupart des agences non expertes du sujet, sans compter qu’ils ne se préoccupent que de l’optimisation technique alors que le sujet de l’écoconception est bien plus large
  • Le RGESN (Référentiel général d’écoconception des services numériques) est un des outils incontournables de l’écoconception, et il y a fort à parier qu’à l’horizon 2-3 ans, il deviendra aussi contraignant que le RGAA, probablement par la loi. Sauf que le RGESN n’est qu’un référentiel, une sorte de checklist de bonne pratiques à respecter, mais les critères ne sont pas pondérés et ils ne permettent pas de quantifier le résultat : on peut tout à fait obtenir un 90% de conformité avec un site qui récolte un F sur eco-index et un 15/100 sur LightHouse !

Au-delà, reste à comprendre vraiment les principes fondamentaux de l’écoconception, dont seuls les 2 premiers niveaux concernent le “code” en tant que tel, alors que les 2 autres niveaux, bien plus importants, s’attachent à challenger le service, la raison d’être d’une fonctionnalité, voire d’un site. La frugalité fonctionnelle y tient une place absolument prioritaire, et ça aucun outil ne le quantifie, puisque ça n’existe pas…

Sur ce sujet, quitte à risquer une lourde amende pour placement de produit, je m’autorise à vous recommander ce livre blanc qui tente de faire le tour du sujet dans son ensemble, en n’oubliant pas que le plus polluant dans notre secteur, ça reste le tourisme… (NDLR : ce livre blanc est édité et mis à disposition gratuitement par Kairn dans le cadre de ses engagements de sensibilisation liés à son statut de société à mission).

Plus que jamais, un site mobile first, léger et rapide s’impose. Pour l’utilisateur bien sûr, qui consulte nos sites de plus en plus souvent sur son smartphone, mais également et surtout pour Google, qui devient plus qu’exigeant sur la question. La bonne nouvelle, c’est qu’avec un site écoconçu et accessible, tous les voyants devraient être au vert sur le plan de la performance. L’autre bonne nouvelle, c’est qu’avec un site de qualité et des contenus de qualité, on se donne toutes les chances pour un référencement naturel performant et une audience en forte croissance. Et si on réorientait, au moins en partie, les budgets SEO/SEA vers la qualité web ? Histoire de traiter le problème à la source plutôt que compenser une moindre qualité… Et si on généralisait les audits qualité pour les sites web lors de leur livraison, pour s’assurer que tout est conforme et que le site est vraiment prêt à remplir sa mission ?

De la qualité web au web responsable

Finalement, un site qui coche toutes ces cases n’est autre qu’un site “de qualité”, autrement dit un site qui a été imaginé, conçu, réalisé et déployé dans le cadre d’une démarche qualité globale. De plus en plus de professionnels et agences web se tournent vers OPQUAST, une certification en guise d’assurance qualité web dont la mission est de rendre le web meilleur. Bien qu’on ne puisse considérer cela comme une garantie de bonne réalisation, c’est un vrai bon point de départ qui mérite d’être généralisé, et probablement un critère de sélection au moment d’évaluer les candidatures d’un appel d’offres.

Pour aller plus loin dans le domaine du web responsable, on s’intéressera plus largement aux questions d’éthique (inclusivité, respect du bien être numérique…) et d’engagement éditorial (comment le site web favorise un tourisme lui-même plus responsable). Bref, à l’alignement du fond et de la forme, dans une stratégie globalement engagée et responsable.

Et vous, avez vous un projet web qui s’inscrit dans une démarche qualité ? Un retour d’expérience à partager ? Go dans les commentaires !

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Fondateur @ThinMyWeb / Co-Fondateur @Kairn [MISSION] Conseil éthique et engagé en stratégie digitale dans le tourisme [GENESE] "Early adopter" de l'internet à titre professionnel dès 1995, j'ai forgé l'essentiel de mon expertise en agence web, en tant que directeur conseil associé et expert en eTourisme. [THINKMYWEB] En fondant ThinkMyWeb en 2016, j’ai voulu mettre mon expérience digitale au service d’une proposition de valeur distinctive, centrée sur un conseil éthique, sincère [...]
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