En quittant mon bureau en cette fin d’après-midi, la vue est particulièrement bouchée sur les massifs de Belledonne et du Vercors. Ce ciel bien voilé est un effet direct des fumées des incendies qui brûlent depuis quelques jours au Canada, couplés à la chaleur et l’ensoleillement de ce mois de juin déjà brûlant.
Il ne m’en faut pas plus pour que je fasse le parallèle avec le tourisme durable et la difficulté de se faire entendre ces derniers mois quand on parle de transition réelle du tourisme.
Climato-sceptiscisme, virilisme idéologique, IA technosolutionniste, c’est clair qu’on est loin de l’ambiance post « Demain, le film » où on voulait faire la révolution tranquille en créant des « incroyables comestibles », non ?
Mais qui aura-t-il après ce brouillard ? Une autre saison plus calme et ensoleillée qui va reprendre le dessus ou une ambiance à la Blade Runner ?
Laissez moi vous parler de quelques étincelles d’espoir que j’ai pu voir ces derniers temps et qui permet de maintenir l’engagement malgré les turbulences.
Une scène militante (encore) vivante
Mardi 3 juin dernier à l’auberge de jeunesse Yves Robert à Paris 18ème s’est déroulé la soirée des Trophées Horizons.
Dans la continuité de l’organisation de l’Assemblée Générale de l’association Acteurs du Tourisme Durable, c’était le moment pour remettre des prix pour les initiatives et les bonnes pratiques les plus impactantes et réplicables du secteur. C’est un moment clé pour voir émerger de nouvelles idées et solutions pour favoriser la transition du secteur.
Mais alors, quoi de neuf cette année ? Qu’est-ce qui résonne ?
Malgré l’ambiance sociétale qui regarde les IA tels de nouveaux dieux, ici, les bonnes pratiques récompensées faisaient surtout écho à l’humain, à l’hospitalité et aux formes de coopérations.
Voilà quelques exemples qui valident mon propos :
- Economie circulaire & gestion des déchets : Retouch’up, pour le programme de formation à leurs techniques à destination des artisans. La reconnaissance du travail manuel en valorisant les savoir-faire locaux.
- Employeur responsable : Médoc Atlantique Tourisme, pour Esti’Talents, une initiative visant à renforcer l’employabilité des saisonniers. De l’innovation sociale au service de l’emploi et de l’attractivité des territoires !
- Habitants et économie locale : Provence Tourisme, pour la Caravane, une méthode pour élaborer le 7ème Schéma de développement du Tourisme et des Loisirs des Bouches-du-Rhône. Une ouverture auprès d’acteurs touristiques, d’habitants, de scientifiques pour construire un schéma !
- Tourisme accessible : Fondation Folon, pour les Visites de l’Essentiel. De l’inclusion et de l’hospitalité avec une vraie tendresse sur scène !
- Vacances pour tous : Fédération d’animation rurale en pays de Vilaine, pour les Séjours enfance-jeunesse. Pour une confiance mutuelle habitants / animateurs / enfants.
- Inspiration d’ailleurs – Wallonie : Charleroi Adventure, pour le Safari urbain Carolo. De l’humour et de l’autodérision absolument nécessaire aujourd’hui !
- Prix spécial du jury : Terres des Andes, Endallah et Rencontres au bout du monde, pour l’empowerment des femmes grâce au Tourisme Equitable et Solidaire. Egalité, échange interculturel et responsabilité collective.
- Trophées Horizons « Coup de cœur du jury » : Nani Travels, pour les immersions Nani. De la sincérité dans la rencontre et dans la transmission culturelle.
L’AG d’ATD : entre lucidité et alignement stratégique
Au-delà des Trophées, cette journée était aussi l’occasion de rassembler la majorité des 300 membres adhérents de l’association Acteurs du Tourisme Durable afin de faire le point sur l’année écoulée et de parler de l’avenir, du rôle renouvelé de l’association pour les acteurs du tourisme et au-delà.
Passé le moment purement statutaire de l’AG, c’était aussi le moment de revoir du monde, pour sentir le pouls du tourisme durable actuellement, les dynamiques en vigueur.
De ce qui ressort des échanges que j’ai pu avoir et des discours, c’est ce risque pour les valeurs de l’association de devenir has been dans le climat ambiant. Comment l’association peut se faire réellement entendre dans les mois et les années à venir auprès de l’ensemble du secteur sans pour autant basculer dans de la prise de parole en ligne vide de sens. Faut-il nécessairement « ouvrir sa gueule » pour assumer des valeurs fortes en 2025 ou peut-on encore travailler professionnellement en sous-marin directement avec les professionnels du secteur ?
Dans tous les cas, j’ai ressenti une force dans les discours de continuer car c’est bien dans ces moments de brouillard qu’il s’agit d’être encore plus présent et d’assumer pleinement nos valeurs sans pour se laisser duper par le chant des sirènes.
D’ailleurs, un renouveau important va participer à cet engagement pour l’association. C’est l’arrivée à la direction de l’association de Betty Rech qui a oeuvrait auparavant à Atout France et au Ministère des Affaires Etrangères sur ces mêmes questions de tourisme durable. L’ambition est claire !
Des signaux faibles qui méritent l’attention
Je vous donne mon top 3 des étincelles récentes qui montrent qu’il y a encore quelques lueurs satisfaisantes en capacité de dompter ce brouillard épais.
En 3, je parlerais du 1er Slow Fashion Week en France qui s’est déroulé la semaine dernière à Marseille. Alors que les vêtements à bas prix déferlent sur la planète, encombrent les colis et alourdissent les bilans carbone, les créateurs et chineurs se sont retrouvés dans les Bouches-du-Rhône pour promouvoir une autre mode, plus responsable et plus locale.
En 2, je parlerais de l’interview du président de la République en direct par Léa Salamé et Hugo Clément dans le cadre du sommet de l’UNOC à Nice. Au-delà des « réponses » du président, j’ai trouvé ça très important d’expliquer les enjeux en particulier la question du chalutage de fond, de la réalité derrière les aires marines protégées françaises, etc. Quelques informations importantes sur le site de l’ONG Bloom.
En numéro 1, je voudrais montrer la capacité des individus et des entreprises de se bouger pour financer la transition avec ce crowdfunding de plus de 3 millions d’euros pour le moment porté par le Shift Project intitulé « Décarbonons la France ! ». Porté médiatiquement par Jean-Marc Jancovici, je trouve que ça reste quand même un signal incroyable pour actionner la transition dans les prochains mois.
Alors oui, le brouillard est dense : entre les dérives techno-solutionnistes, la montée d’un virilisme idéologique ou les fake news, il serait facile de sombrer dans le pessimisme. Mais les étincelles que nous avons vues – des Trophées Horizons aux initiatives telles que le décryptage de l’UNOC, ou le crowdfunding pour « Décarbonons la France » – montrent que la transition est toujours bien là. Ce n’est pas un simple espoir abstrait. Ces projets sont la preuve que le tourisme durable continue de s’écrire avec conviction : à chaque fois, ce sont des engagements collectifs, des coopérations locales, des accueils sincères, qui font sens là où l’on pourrait croire que la logique marchande ou technologique l’a emporté. C’est précisément maintenant, quand le récit dominant vacille, qu’il faut amplifier ces initiatives : raconter, soutenir, entrer en action. Parce que la bascule ne viendra pas des logiques automatiques, mais de celles et ceux qui osent choisir l’humain, la solidarité, l’hospitalité. Alors continuons à faire vivre ces récits, à faire entendre cette voie résiliente – ensemble.
