#FIT 2019 : un point de vue de « start-up »

Publié le 7 août 2019
5 min

Début juillet, j’ai eu le bonheur de participer aux Rencontres des Francophonies de l’Innovation Touristique qui se tenaient à Montréal. Lors de cet intense summer-camp (attachez-vous, on commence à jargonner), j’ai eu envie de tenter de rétrécir le gap entre les OGD et les « start-ups », bâti sur une certaine méconnaissance, parfois une forme de méfiance, mâtinée de stéréotypes en tous genres.

Puis, à la lecture du billet de Denis Genevois qui plaidait pour le rapprochement du paquebot et du dériveur, a confirmé cette intuition, en grande partie parce que je connais bien ces deux écosystèmes : j’ai été directrice d’un office de tourisme pendant plusieurs années, pour ensuite monter ma propre entreprise, je suis actuellement dirigeante et co-fondatrice d’une jeune boîte du tourisme culturel. Etant donc « passée à l’ennemi », je peux témoigner auprès de vous, en toute transparence, de ce que sont aujourd’hui les réalités de la startup nation.

Plongeons en Startupie

En préambule, un petit mot de vocabulaire, juste pour être sûrs qu’on parle bien de la même chose : une start-up, c’est une jeune entreprise à très fort potentiel et à hyper croissance. Par extension, la notion d’innovation est un corollaire systématique, et par simplification abusive, la technologie est à l’heure actuelle le seul discriminant reconnu de l’innovation.

Alors oui, il y a bien un « start-up way of thinking », oui il existe bien un jargon tenace et un recours quasi épileptique aux anglicismes. Je vous le confesse, je dis « draft » au lieu de brouillon, et « call » à la place d’appel téléphonique, ce qui me vaut parfois quelques moqueries bien méritées.

Etant donné que nous sommes en plein mois d’août et que vous avez tout le temps de regarder des vidéos, faites-vous plaisir avec ce petit micro-trottoir de Guillaume Meurice à la sortie de Station F, où il tente de décrypter le langage des starts-up.

C’est très cliché, bien sûr.
Regardons de l’autre côté du miroir et visionnons cette autre vidéo, qui est une parodie du fil « la Chute », version CEO hyperactif et au bord du burn-out : (je vous recommande de ne pas activer le son, vos collègues ne comprendront pas ce qui vous fait autant rire en entendant la voix d’Hitler résonner dans les bureaux).

Cette vidéo dit bien la vacuité du startupisme, de ses acteurs et de son écosystème ; elle force à l’autodérision face à des situations qui frôlent l’absurde, lorsqu’il faut « pitcher » son projet dans des conditions qui tiennent plus de l’arène ou du cirque. J’ai goûté au concours par applaudimètre, ça m’a vaccinée des pitchs pour un moment, croyez-moi.

Regardez-la, vraiment, car au delà de son aspect parodique elle montre la réelle férocité d’un univers anthropophage qui s’auto-alimentera jusqu’à l’explosion de la bulle. J’arrête ici sur ce sujet qui pourrait faire l’objet d’un billet à lui tout seul (voire d’un livre, que je n’écrirais pas, préférant vous conseiller « Le startupisme. Un mythe technologique et économique », d’Antoine Gouritin).

Tentons de casser le mythe

Souvent, les directeur.trice.s et technicien.ne.s d’OGD se sentent très éloignés de cet écosystème fiévreux que l’on vient d’évoquer ; et dans l’absolu on les comprend fort bien. Ce qu’ils ignorent peut-être, c’est que la grande majorité des jeunes boîtes qui se montent depuis quelques années et qui visent le tourisme institutionnel comme cible prioritaire ne répondent pas systématiquement à ces codes et à ces standards, la réalité est bien plus diverse.

En effet, ces « jeunes pousses » abordent un marché assez restreint et qui a très mauvaise presse auprès des investisseurs, ces derniers voyant d’un œil réticent les longueurs de prises de décision, les changements de gouvernance, les circuits de validation interminables qui caractérisent le tourisme institutionnel. Dès lors, on peut considérer que l’on fera le plus souvent face à des entreprises qui se financent avant tout avec leur capital de départ, un peu de love-money (la famille, les amis, le crowd-funding miraculeusement réussi en dernière minute grâce une certaine tatie.michelle.44), et surtout leur chiffre d’affaires. Aujourd’hui, les fondateurs des jeunes boites du tourisme ne cherchent pas à s’enrichir en revendant leur solutions aux GAFA (qui les regardent à peine, d’ailleurs) : ils cherchent à boucler leurs fins de mois, à payer leur.e.s salarié.e.s, et accessoirement à se payer eux-mêmes.

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Parallèlement, on peut observer que les incubateurs/accélérateurs tourisme positionnés sur le modèle dominant [idéation > incubation > expérimentation > accélération > levée de fonds] s’entourent majoritairement de partenaires issus du secteur privé, que ce soit dans le resort, le retail, les compagnies aériennes… Il est ici principalement question de taille de marché, de masse critique de clientèle potentielle, et de développement à l’international. Pour atteindre ces vastes marchés et séduire les investisseurs (business angels, fonds…), la jeune entreprise doit présenter une solution « scalable », c’est-à-dire duplicable à une très grande échelle, lorsque vous, OGD, vous recherchez une prise en compte des spécificités de votre territoire, que ce soit en matière de stratégie, de gouvernance, d’identité, et j’en passe.

Sachez également si les structures d’accompagnement à la création d’entreprise sont pléthores, celles présentant une expertise tourisme restent rares (voir le réseau de France Tourism Lab). 
Ainsi, de nombreuses jeunes « start-ups » se créent sur une idée, souvent liée à une situation vécue en voyage, et apprennent des recettes toutes faites dans des incubateurs généralistes. En tant qu’expert-métier, vous pouvez avoir un véritable rôle en challengeant ces jeunes boîtes.

Cherchons ce qui peut nous rapprocher

Nous avons donc, d’un côté, de jeunes porteurs de projets agiles, fougueux, inventifs, remplis d’une candeur et d’une foi indéboulonnable, de l’autre des OGD dont nous connaissons l’absolue nécessité d’évoluer, de se repositionner dans leurs métiers et de tenter d’anticiper sur l’avenir, et ce sur de nombreux aspects, tant dans la question de l’accueil, de la RH, voire finalement de leur propre légitimité aux yeux de leurs propres élus (oui, j’y vais un peu à grands traits).

Et c’est là que je reprendrais un mot que je croise souvent sur ce blog : la créativité. Parce que je ne sais pas pour vous, mais pour ma part, je n’ai pas connaissance d’un bouton « creativity-on » quelque part dans nos cerveaux ; en revanche, on sait à quel point la rencontre, le travail collectif et collaboratif nous fait faire des pas de géants et nous aident à imaginer des desseins que nous n’aurions pas soupçonnés seuls. Le fait également d’aller voir ailleurs, de profiter d’un regard neuf, de bousculer nos habitudes et nos certitudes sont autant de pratiques vertueuses dont les organisations ne peuvent qu’en tirer bénéfice.

Alors, que diantre, prenons quelques risques, plongeons ensemble en startupie, et tous en cœur, disruptons !!!

 

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Laurence Giuliani dirige Akken, agence de production sonore pour les destinations touristiques et les lieux de culture. Anciennement responsable d'un Office de Tourisme en milieu néo-rural (ou péri-urbain, comme vous voulez), manager d'artistes, productrice en label indépendant, Laurence cultive la curiosité comme carburant du quotidien. Ses marottes : le son, le tourisme culturel et le "komorebi", cette lumière qui filtre entre les arbres, comme des fêlures de timidité entre les [...]
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