Réarmer les positionnements des destinations

Publié le 2 novembre 2022
9 min

Oser appuyer fortement sur la pédale et foncer, telle est ma recommandation en matière de positionnements. Le plus récent et le plus radical que j’ai trouvé s’appuie sur l’amour inconditionnel de la saucisse. Et il conjugue tourisme et saucisse. Le Bratwurshotel est une invention allemande de Claus Böbel, charcutier en Bavière. 7 chambres, deux espaces de conférences et d’atelier et un restaurant pour les amateurs, voire pour les amoureux de la saucisse, constituent cette adresse. Un positionnement innovant et assumé. Le produit est différenciant. Il a trouvé son public. C’est donc une réussite. Voilà, je n’ai pas trouvé mieux pour vous définir rapidement ce qu’est un positionnement.

Parlons maintenant des destinations. C’est moins facile. Un joyeux mélange est à l’oeuvre dans beaucoup d’OGD entre le positionnement marketing et le positionnement de communication. Le premier est le résultat d’un travail permettant d’engager la destination dans une voie de développement. Ce travail et le choix qui en résultent servent à flécher les investissements, à organiser les politiques touristiques en lien avec les autres grandes politiques, je pense notamment aux mobilités, mais aussi aux enjeux sportifs et culturels, à mettre en mouvement les partenaires privés dans une voie commune et différenciante des concurrents.

De son côté, le positionnement de communication est l’expression d’un soutien à la marque, qui porte du sens (une identité expression d’une volonté collective partagée), en donne aux visiteurs (une réponse adaptée aux évolutions de la société) et se traduit par une création de valeur (pourquoi choisir cette destination, comment l’apprécier, pourquoi la revendiquer et assumer son choix…).

POUR SE DIFFERENCIER

Ce processus complet du travail d’élaboration d’un positionnement marketing de destination mérite de mon point de vue d’être réarmé pour mieux marquer les avantages concurrentiels, guider les investissements publics et privés dans une voie stratégique. La différenciation a toujours été synonyme de richesse et de diversité. La nature nous le prouve tous les jours. Mais cette différenciation n’est pas qu’affichage. Elle est inscrite dans les gênes et dans les complémentarités entre espèces et espaces. Il me semble que la stratégie marketing doit de nouveau nourrir le travail des OGD pour porter des promesses et réalités qui touchent les publics les plus adaptés. Une traduction technique est disponible ici via une page consacrée à l’office de tourisme du futur et dans le Nord.

Il est assez désarmant de constater les moyens affectés à l’ergonomie et à l’UX design en matière digitale et la faiblesse des moyens attribués au processus stratégique en matière de positionnement de destinations. Pourtant les deux participent de la même volonté : coller le plus possible aux besoins des utilisateurs pressentis.

Prenons un autre exemple concret : Le Comptoir des Voyages. Cet opérateur garantit des voyages sur mesure, immersifs et revendique pour cela des preuves différenciantes et parlantes aux prospects et aux clients. Ca paraît simple quand c’est affiché.

MARKETING VS COMMUNICATION

La différence entre stratégie marketing et stratégie de communication me paraît aujourd’hui insuffisamment prise en compte dans les organismes de gestion des destinations. Positionnées entre les investisseurs publics que sont les collectivités et leurs publics touristiques (professionnels locaux, touristes finaux et habitants), les OGD ont des obligations réglementaires multiples à conduire. Dans les critères de classement des offices de tourisme (axe 19), il est clairement indiqué que l’office de tourisme met en oeuvre la stratégie touristique locale.

« L’office de tourisme élabore et met en œuvre une stratégie touristique précisant les missions de l’office de tourisme dans les domaines suivants :

  • politique d’accueil ;
  • commercialisation ;
  • animation du réseau des acteurs touristiques, accompagnement dans la transition numérique, assistance aux porteurs de projet ;
  • promotion de la destination et communication grand public ;
  • actions de sensibilisation des touristes et des acteurs touristiques en matière de protection de l’environnement et de développement durable ;
  • amélioration de l’offre touristique à travers le classement des hébergements et la diffusion des marques.

Cette stratégie touristique est validée par la collectivité ».

Et les axes précédents, 17 et 18, obligent l’office de tourisme à tenir à jour un tableau de bord de la fréquentation touristique, ainsi qu’à mettre en place un observatoire sur la satisfaction. Cette procédure de classement a été largement simplifiée puisque auparavant, 48 critères étaient retenus pour un total de 19 aujourd’hui. Nous notons que le mot marketing n’est pas utilisé et à fortiori, il n’est pas accolé à celui de stratégie touristique. Et c’est encore plus vrai dans le guide méthodologique de la DGE (15 pages, mai 2019) titré « Procédure relative au classement des offices de tourisme ». Un office de tourisme fait donc du marketing sans le dire. Il manque une évidence, un maillon dans la chaîne de valeurs de l’OGD office de tourisme, à savoir le marketing. La stratégie marketing, dont une définition donnée par la référence historique, le Mercator, est un : « Ensemble de moyens d’action marketing utilisés conjointement en vue d’atteindre certains objectifs contre certains adversaires. Une stratégie marketing se décline sur les principales rubriques suivantes : objectifs marketing, cibles, positionnement, marketing-mix et planning ».

APPROCHES PRIVEES ET TERRITORIALES

Si nous remettons dans l’ordre les processus conduisant à l’élaboration d’une stratégie marketing, nous pouvons osciller entre deux approches applicables dans l’univers du tourisme :

– d’une part une approche classique, destinée à accroître la performance d’une entreprise commerciale : avec des objectifs divers, voire complémentaires comme le développement de parts de marché, soit par la conquête soit par la fidélisation, de l’élévation qualitative des prestations, de la satisfaction client, de l’augmentation des contributions et in fine des résultats, du retour sur investissement.

– d’autre part, une approche territoriale, fondée sur l’engagement des différentes parties prenantes d’une destination (bras armés de la collectivité, élus et techniciens, partenaires privés du tourisme, des loisirs, de la culture, du sport, du commerce, du transport), sur leur mobilisation et partage de visions autour d’objectifs communs et applicables à l’univers territorial.

Tout cela pouvant être désormais envisagé différemment. S’engager dans la sobriété que nous avons prôné ici depuis un certain nombre d’années, merci les archives du blog, modifie la manière de regarder les choses pour le futur. Mais pas la nécessité d’une différenciation forte entre le travail amont qui fonde pour la durée un projet et la communication en aval qui peut évoluer rapidement.

Autre illustration d’un positionnement bien assumé. El Cosmico au Texas est à la fois un camping d’un nouveau genre, un espace de concerts, une galerie d’activités artistiques, une boutique de fringues. Mais plus que cela, El Cosmico élève au sommet de l’art la culture du Mañana, autrement dit de la procastination, du report sine-die, du lâcher prise, que votre auteur cultive avec célérité :). Cela me fait penser au film prémonitoire de Pierre Carles en 2007 : Volem Rien Foutre Al Pais.

Vincent Gollain a formalisé dans son remarquable travail que je vous engage à découvrir, la mise en oeuvre d’une démarche de marketing territorial en 5 séquences et 20 points clés, dont 2 centraux portent sur la définition des choix stratégiques que l’on devrait exprimer dans le pilotage d’une destination :

  • se donner une ambition en choisissant les objectifs stratégiques de moyen et de long termes
  • définir les options clés de la stratégie

Ce que nous formulons ainsi : positionner le territoire/la destination et construire sa promesse client/parties prenantes.

Dans les OGD, à l’inverse d’une entreprise souvent en cheminement vertical, nous nous trouvons ici dans des approches horizontales et des segments de marchés sur lesquels on n’a pas beaucoup de prise car ils sont d’abord clients d’un transport puis d’un hébergement avant de l’être de la destination. S’intéresser aux marchés, cibles, segments est alors une manière de faire toucher du doigt au collectif les comportements des clientèles.

MIEUX CONNAITRE SES PUBLICS

La connaissance qui nous est délivrée tient plus du quantitatif adressé aux BIT (l’observation de la fréquentation de l’office de tourisme et de la satisfaction des touristes) que du qualitatif sur les comportements et les besoins, soit des prospects à distance, soit des visiteurs sur place et encore moins sur des sujets thématiques pour explorer de nouvelles possibilités : services, produits, circuits, acceptation d’un tarif… Le recours aux observatoires locaux le révèle aisément.

Je ne sais la raison de ces positions raccourcies, mais je constate que dans d’autres pays, on accorde plus d’importance aux études de clientèles, aux tests produits et services, aux définitions de positionnements courageux et assumés. Pourtant des solutions existent en matière de connaissance des clientèles. A titre d’exemple, le modèle de gestion des destinations de Saint-Gall (SGDM) en Suisse est intéressant à l’échelle locale.

Le SGDM synthétise les comportements spatiaux des touristes et des visiteurs pour mieux comprendre leurs profils et leurs activités. Cette compréhension du portefeuille d’une destination, par l’observation des flux de visiteurs facilite l’alignement  des projets, des produits et des services sur les motifs des voyage et des séjours.

En pratique, selon le SGDM, la démarche suit une série de six étapes :

  1. Identifier les flux de visiteurs et définir, dessiner et décrire les flux de visiteurs stratégiques ;
  2. Discuter de la géométrie variable en chevauchant les flux de visiteurs stratégiques individuels et en évaluant le portefeuille de flux de visiteurs stratégiques ;
  3. Analyser les réseaux d’offre et de demande et reconstituer les principaux leviers et mécanismes moteurs du réseau ;
  4. Décrire les processus de gestion et de marketing par flux de visiteurs stratégiques et allouer et répartir les tâches tout au long du processus ;
  5. Organiser les stratégies et les actions entre les organisations et les acteurs et affecter les ressources en fonction des compétences correspondantes ;
  6. Mettre à jour les flux, le processus de marketing et de gestion et l’utilisation des ressources en continu et modérer les processus d’apprentissage et de prise de décision au niveau de la destination.

Or, de nombreux commanditaires souhaitent imposer rapidement la communication, au détriment du travail de fond marketing. La tendance à communiquer avant l’élaboration d’une stratégie marketing est inhérente aux organisations touristiques territoriales pilotées par des élus ayant en tête la force d’attraction des images du tourisme au profit de l’attractivité générale de leur territoire (habitants, nouveaux habitants, investisseurs publics et privés, media…). Il est assez fréquent et regrettable de constater que l’on escamote le travail marketing préalable pour passer directement en phase de communication. C’est plus rapide, plus motivant, plus visible, plus sympa et les effets, au moins pour communiquer en interne, sont plus rapides.

LE FOND AVANT LES PAILLETTES

Autres exemples, ceux d’opérateurs privés. Comme le jeune réseau de campings Slow Village qui ne lésine pas dans l’affirmation de valeurs sobres et dans son engagement dans l’Eco Label Européen ou la chaîne d’hôtels OKKO qui a créé un positionnement d’hôtels **** et sans nuages. De vrais partis pris payants dans la durée.

L’une des manières de réintroduire cette dimension essentielle passe à mon avis par deux séquences. La première surgit quand la refonte du site web amiral se pose. Que dire, que montrer, pourquoi, pour qui et comment se pose la question des priorités et de leurs justifications. Le socle du positionnement marketing revient à ce moment-là comme un boomerang s’il n’a pas été abordé et ré-interrogé régulièrement. Sinon, l’outil et son design s’imposent mais atterrissent à côté des vrais enjeux.

La deuxième manière, qui est directement liée, revient à poser la question de l’information. La bête information qui rend service, pas juste la donnée du SIT, non, l’information qui permet à un voyageur d’aller au bout de toutes ses questions en préalable et pendant son voyage : comment se rendre à tel endroit, par quels moyens de transports, pourquoi s’y rendre plutôt le matin que l’après-midi, ce que l’on va y trouver comme aménités… L’information qui fait la base des guides touristiques des meilleurs éditeurs, les bons conseils d’accomplissement, d’un voyage et d’un séjour parfaits, échafaudent bien souvent un positionnement stratégique. La communication n’étant que la somme des paillettes qui illuminent ces moments une fois que les parcours clients, les valeurs ajoutées sincères, solidement argumentées et tous les attributs d’un positionnement sont posés. Tous ces propos apparaissent en creux de mes articles au long cours publiés dans le blog etourisme.info.  

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François Perroy est aujourd’hui cofondateur d'Agitateurs de Destinations Numériques et directeur de l’agence Emotio Tourisme, spécialisée en marketing et en éditorial touristiques. Il a créé et animé de 1999 à 2005 l’agence un Air de Vacances.  Précédemment, il a occupé des fonctions de directeur marketing au sein de l’agence Haute Saison (DDB) et de journaliste en presse professionnelle du tourisme à L’Officiel des Terrains de Camping et pour l'Echo Touristique. Il [...]
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