Le rôle de mon organisation se requestionne

Publié le 8 novembre 2021
9 min

Se questionner sur le rôle de sa structure est une réflexion cyclique dans les organisations. Il y a dans ce sujet des facteurs déclenchants divers : la mise à plat du plan d’actions annuel qu’on ne souhaite plus faire comme avant, des changements au sein de l’équipe, une intuition, un schéma de développement touristique en construction, de nouvelles orientations portées politiquement, une étude de positionnement, un travail de fond sur sa raison d’être, une fusion, et bien d’autres choses encore.

Du côté des organismes de tourisme, les aspects normés (démarches de progrès) et codés (code du tourisme) donnent un cadre assez clair. Enfin presque. Cela ressemble de plus en plus à de la poudre aux yeux car derrière, ou grâce à, ce cadre a priori normatif, le réseau foisonne et bouillonne d’initiatives, de missions, de rôles et de modèles différents. Au final, nous constatons petit à petit que de moins en moins de structures se ressemblent au sein de mêmes échelons territoriaux. De belles opportunités pour s’inspirer de méthodes afin de questionner nos organisations quand le vent du changement souffle.

Un questionnement à tous les niveaux

Dans la collection départementale, de comité départemental à agence d’attractivité et/ou d’innovation, la mue des départements ces dernières années est claire. Je vous invite à prendre l’heure qu’il faudra pour visionner l’exemple (parmi d’autres) de l’atelier des rencontres du etourisme : « L’ADRT du Nord prend la Tangente sur l’Innovation ». Anne Deraedt y expose comment un CDT a choisi un scenario de la rupture pour réorienter son rôle dans l’écosystème départemental touristique.

Anne Deraedt et La Tangente, l’Agence de l’innovation touristique du Nord

Dans la collection régionale, l’entrecroisement actuel de positionnements pour l’international et pour le tourisme inter-régional et pour les loisirs et pour un impact sociétal plus marqué de l’activité, font émerger de nouveaux caps baignés de durabilité. Pour un exemple (parmi d’autres), je vous invite à prendre connaissance de l’initiative Essentiem à laquelle s’est associée le CRT Auvergne-Rhône-Alpes. Lionel Flasseur partage dans cet atelier pourquoi avoir créé un fonds de dotation national avec d’autres partenaires. Un organisme de mécénat qui se destine à réaliser des missions d’intérêt général avec les acteurs de la filière tourisme.

Lionel Flasseur aborde Essentiem, le fonds de dotation du tourisme

Dans la collection locale, les offices de tourisme bougent aussi leurs curseurs de missions régaliennes pour adapter leur rôle en fonction de là où ils seront les plus utiles pour le développement et l’équilibre de leur propre territoire. Repensons d’ailleurs aux derniers travaux de la commission prospective que vous trouvez toujours sur la ressource https://officedetourismedufutur.fr/les-histoires/. Le Nov’OT qui fait page blanche de l’organisation touristique pour faire fusionner OTs, relais territorial et CDT ; le TOTem pour un lieu centralisateur hybride ; le ZER’OT pour un pôle touristique sans lieu d’accueil mais repensé au service de l’économie de proximité ; ou encore l’OTHA pour un office de tourisme des habitants…

Le rôle de l’office de tourisme prend d’ailleurs une autre tournure pour tout un pan du réseau qui affirme et assume que la structure travaille pour un territoire qui n’est pas une destination touristique.

« Moi, office de tourisme de son nom, œuvrant sur un territoire sans notoriété apparente, dont 85 % de mes flux et interactions sont au service du tissu local, mon rythme de vie annuel est le même depuis des années et mon expertise est reconnue sur mon cœur de missions. Je suis d’ailleurs en quête d’une amélioration continue de ce que je sais faire et je le fais bien. Aujourd’hui, je me sens à la croisée des chemins sur mon rôle « tourisme ». Est-ce une sensation légitime ? Une sensation partagée par mes pairs, mes collègues, mes partenaires ? Un déclic post-crise ? Un questionnement pré-existant ? Peut-être un peu de tout ça mais aujourd’hui quel est mon rôle ou comment il devrait évoluer ? »

Le coin des « comptoirs »

Derrière un changement de nom assez similaire, deux offices de tourisme font leur mue mais avec des approches et des enjeux différents : « Le comptoir des Loisirs » à Évreux (Eure, Normandie), et « Le comptoir local » à Aunis Marais Poitevin (Charente-Maritime, Nouvelle-Aquitaine). Derrière le même nom « comptoir » qu’ont pris les deux Offices de tourisme cités, on ne parle cependant pas de la même chose avec des objectifs et deux méthodes différentes pour se questionner et se repositionner.

A Évreux, portes de Normandie :

  • Le point de départ est une étude commanditée avec un objectif : travailler sur le positionnement touristique d’Évreux. Par rebond, il s’agit de conquérir de la clientèle parisienne.
  • Le rapport de 2018 est  sans appel. Évreux n’est pas considéré comme une destination touristique. On oublie la conquête pour l’instant.
  • Il faut déjà repositionner l’office de tourisme dans son rôle auprès des habitants pour les rendre fiers de leur territoire et pour booster l’activité loisirs.
  • Cette première étape a pour but de passer ensuite à la deuxième phase : donner à Évreux une attractivité touristique plus forte.
  • L’orientation est donc de muter : fierté, habitant, loisirs.
  • Cette mutation se nomme Le Comptoir des Loisirs.
  • Aujourd’hui, l’approche Office de tourisme et l’approche Comptoir des Loisirs s’entremêlent, parfois avec ambivalence.
Le positionnement d’Évreux

En territoire d’Aunis :

  • Il n’y a aucun postulat au départ. Le point de départ, c’est le souhait pour l’équipe et le comité de direction de travailler sur un projet qui a du sens, remettre en cohérence ce qui se fait.
  • Les temps de discussion démarre il y a 3 ans sur « qui on est », « ce qu’on fait », « ce qu’on apporte localement ».
  • La réflexion se structure sur le développement du tourisme de proximité avec le souhait d’être un acteur incontournable de la promotion locale dans une destination verte et nature situé entre La Rochelle, le Marais Poitevin et Niort.
  • Les actions s’enchainent, au fil de l’eau, en laissant libre court à la créativité de l’équipe.
  • L’équipe se lance dans des « Brèves de comptoir » pour parler aux habitants.
  • Le guide se transforme et change de nom pour devenir « L’Aunisette ».  
  • La réflexion se poursuit sur une nouvelle identité visuelle.
  • Le site se refait une beauté avec plus de sobriété, sans vidéo, sans boutons superflus, en limitant les photos de grande taille et visant à la fois le local et le visiteur (Article sur le blog)
  • Cette mutation amène un changement de nom. L’office de tourisme devient « Le Comptoir Local ».
  • Aujourd’hui Le Comptoir Local se construit en avançant, la scénarisation des lieux d’accueil se profile.
Les étapes du Comptoir Local

Un maillage progressif de partenariats

Le comptoir des Loisirs d’Évreux est devenu dans sa mutation un Office de tourisme et de Commerce. Cela s’est traduit par le recrutement d’une personne dédiée, présente au quotidien sur le terrain auprès des commerçants. Une vraie compétence de relationneur. Ces derniers ont à présent très bien identifié Le Comptoir des Loisirs comme un interlocuteur privilégié. Des temps d’animation et de rencontres pour les commerçants sont mis en œuvre.

Un travail d’animation s’est également lancé auprès des associations qu’il a fallu recenser, rencontrer, connaître. Premiers relais auprès des habitants, le Comptoir des Loisirs en fait des partenaires privilégiés en plus de proposer des services simples mais attendus : mise à disposition de salle pour leurs événements, diffusion de leurs événements, fêtes et manifestations. La proactivité pour faire remonter les informations est aujourd’hui plus marquée dans une reconnaissance réciproque appréciable.

Ville et Pays d’Art et d’Histoire, le service culture de la ville d’Évreux s’est aussi emparé de la méthode de travail de l’OT auprès des habitants. Cela crée ainsi des liens plus forts entre ces deux organismes institutionnels qui traitent de sujets concomitants.  Il y a au fur et à mesure un vrai maillage et ancrage auprès des partenaires, outils et services dédiés aux habitants : commerce, culture, patrimoine, loisirs.

Du côté d’Aunis Marais Poitevin, toute action lancée s’appuie sur des fournisseurs locaux pour les produits et les services. Si le local n’a pas de solution, on cherche des partenaires aux niveaux départemental, puis régional, etc. Une logique de poupées russes. A la boutique par exemple, des produits sont issus de l’économie circulaire aussi bien pour des jouets, des habits que pour de l’alimentaire. Les enjeux de société et de durabilité sont de mise.

La valorisation du territoire a aussi pris une forme atypique avec créativité et innovation par la création de l’Auniscape. Un escape game transportable, dans une malle, produit localement avec un partenaire et l’équipe.

Ces nouvelles orientations se concrétisent comment en compétences ?

Pour Marion Hossin, il s’agit des mêmes missions qu’avant avec un socle de compétences reconnues mais pour des cibles qui ne sont plus les mêmes : habitants, associations, commerçants. Cela demande une adaptation de posture et de manière de faire.
Pour Julie Touya, la méthode de travail touche avant tout au collectif autour de trois fondamentaux travail en équipe, coordination, écoute. De façon opérationnelle, la fluidité de la communication interne est ultra importante car tout est lié. Laisser libre court à la créativité de l’équipe est une mine d’or quand le cap est clair pour tout le monde.

La compétence de la direction est à mes yeux assez claire ici : Dompteur·se de créativité.

Présence de terrain, tchatcheur, apporteur d’affaire, développeur local, coordinateur, facilitateur, autant de nouveaux rôles prédominants dans les organismes de tourisme pour soutenir le tourisme et l’économie de proximité. (Plus sur le sujet ? « Tourisme de proximité et développement économique local »).

Du côté de La Tangente, je ne peux que vous inviter à plonger dans ces 8 min éclairantes dédiées au sujet. Anne Deraedt y expose clairement les bouleversements dans les ressources humaines et compétences qu’a amené le pivotement de la structure. Un sujet crucial, passionnant, prenant, sportif avec 18 départs et un renouvellement de l’équipe qu’il a fallu reconstruire à la croisée des cultures du monde du tourisme, de l’innovation, du privé et de l’institutionnel.

Photo de Jeremy Bishop provenant de Pexels

alors « Comptoir ET / OU Office de tourisme » ?

Trois ans plus tard, l’office de tourisme d’Évreux Agglomération est « en situation d’hybridation avec ses ambivalences ».

Le local est coupé en deux avec une partie pour les habitants et un côté plutôt tourné « visiteur ». L’ambivalence de lieu est d’autant plus marquée par une double ouverture de l’espace : une porte côté rue commerçante, une porte côté cathédrale.
L’ambivalence est aussi territoriale car le cœur du travail avec le Comptoir et les habitants est fait sur Évreux et pas forcément représentatif sur les dizaines d’autres communes du territoire de compétence. Le discours et la communication ne sont pas adaptés pour l’ensemble du territoire sans compter que la diversité de l’offre loisirs vient en grande partie d’Évreux. Ambivalence aussi au niveau budget car la grande partie des produits servant aux actions pour les habitants proviennent de la commercialisation touristique et de la taxe de séjour.

Du côté du Comptoir Local, les questionnements fusent et les prochains mois poursuivront de semer des graines et des projets tout en maintenant une cohérence claire : être au service de l’économie de proximité et du cadre vie local.

Fondamentalement, le modèle pose la question de savoir qu’est-ce qu’un office de tourisme sur un territoire rural à faible touristicité ? Inspirant. La question est sûrement d’actualité à bien des endroits.

La Tangente, Le Comptoir des Loisirs, Le Comptoir Local, sont des voies prises, parmi d’autres. Pivot nécessaire ? Aboutissement ? Hybridation ? Dupplicable en méthode ou spécifique aux contextes du territoire ? Au-delà des noms et du tiroir dans lequel chacun souhaitera les ranger, c’est surtout la voie prise qui inspire. La voie vers des modèles moins normés et codifiés qui trouveront certainement leur voie dans le(s) futur(s) plan(s) « reconquête » pour notre tourisme national.

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Stimuler, écouter, conseiller, animer, former, partager, apprendre... est mon quotidien professionnel appliqué au secteur de la formation et du tourisme. Il s'agit de favoriser l'adaptation des compétences, des missions et des organisations en perpétuelle transition. Depuis 2009 au sein de la Mission des Offices de tourisme de Nouvelle-Aquitaine (MONA), son directeur depuis 2020, les secteurs d'interventions et d'exploration évoluent continuellement : transition managériale, transition numérique, transition durable, marketing de services, [...]
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