Et si cette belle aventure se terminait ici, maintenant?

Publié le 27 mars 2018
4 min

Cela fait quelques mois que je m’interroge: le etourisme a-t-il encore sa pertinence? Le numérique est-il encore au coeur de toutes les révolutions du tourisme, comme il l’a été au début des années 2000? Est-ce que tout phénomène touristique doit encore être impérativement analysé par le prisme du digital?

Cette période bénie où tout paraissait possible

Nous avons observé au cours des 15 dernières années, ébahis au début, puis fébriles par la suite, une série de développements technologiques sans précédent, venir occuper tous les espaces du développement du tourisme. La relation au voyageur, la relation au territoire, la réinvention du marketing touristique et même la gouvernance, tous ont été chamboulés par nombre d’innovations numériques se succédant à un rythme fou. Nous avons perdu tous nos repères, nous avons appris de nouveaux métiers, nous avons vu apparaître de nouvelles fonctions.

Ce constat est irréfutable, mais j’en suis venu à la conclusion que, depuis quelques années, dopés par cette croissance aux apparences éternelles, nous sommes devenus des junkies à la recherche de notre prochain fix numérique. Qui découvrira le premier la nouveauté qui promet encore fois de changer toutes les règles du jeu!? Quelle ivresse! Mais ce ne sont que des chimères. Pourtant, voilà à peine 10 ans, nous avons connu notre première désillusion (notre premier down), alors que Second Life semblait appeler une révolution virtuelle du marketing touristique et de la mise en valeur des destinations et des entreprises touristiques (voir cet article du Réseau de veille en tourisme de 2007). Quelle amère déception! 

Nous aurions déjà dû apprendre une leçon cardinale: tout ce qui est nouveau n’est pas nécessairement bon! Nous aurions dû voir à ce moment que toute nouvelle nouveauté numérique ne doit pas nécessairement receler une application dans le tourisme, et qu’elle pourra – comme toute nouveauté – tomber dans la plus absolue obsolescence, tout aussi rapidement qu’elle était arrivée. 

En relisant en diagonale les titres des billets du Réseau de veille en tourisme de la dernière année, je constate que le numérique a été largement dépassé par d’autres sujets, tous plus profonds et ancrés dans les tendances plus larges que sont la démographie, la gouvernance, la gestion, le design d’expérience, la cocréation et tutti quanti. Et quand le numérique demeure présent, c’est davantage comme un outil qui accompagne ces mouvements et ces initiatives qu’une fin en soi.

Que faire?

Je ne propose pas ici un plaidoyer pour l’inaction, mais plutôt pour un retour au jeu de base: arrêter, réfléchir (c’est de plus en plus difficile avec nos ressources d’attention de plus en plus limitées), planifier et AGIR. À trop vouloir combattre l’inertie de notre industrie et de ses structures, nous en sommes venus à vouloir proposer des révolutions à chaque semaine. Mais ce sont les mauvaises révolutions et, surtout, les mauvais outils.

Et donc, peut-être que les événements phares de cette période glorieuse du etourisme, les Rencontres du etourisme institutionnel, Voyage en multimédia, le Salon du tourisme numérique devraient amorcer un virage, celui de la thématique plus large (et moins limitative) de l’innovation. Et peut-être aussi que ces rencontres devraient s’ouvrir aux autres acteurs de l’innovation et des territoires.

J’ai eu la chance en 2018 de participer à quelques manifestations touristiques françaises, dans les domaines de l’innovation, des ressources humaines, du numérique et de l’accueil, et à chaque fois un même malaise m’habitait. J’entendais des gens – toujours issus des mêmes univers – se conforter entre eux sur la pertinence de leur secteur d’activité, discutant et argumentant de son avenir prÉsenté comme radieux, toujours dans une logique d’auto-conviction plutôt que dans une remise en question plus fondamentale. Et toujours en cercle fermé.

Il faut accepter que nos structures et nos modèles actuels sont dépassés. On ne peut plus d’un côté appeler à la cocréation sur les territoires, mais agir comme un joueur solitaire – et vaguement despotique – qui apprendra aux élus et aux habitants comment être de bons soldats de l’activité touristique territoriale, au service du tourisme numérique porté par les institutionnels. Bref, le etourisme est devenu un autre volet de cette construction protectionniste du tourisme.

Toi et moi, c’est fini

Vous l’aurez compris, je ne remets pas en question l’importance qu’a représenté le etourisme au cours des 15 dernières années, mais j’appelle plutôt à changer de lorgnette, à élargir la réflexion et les acteurs qui y participent, je nous invite à reprendre confiance en nos moyens, parce que malgré toutes ces révolutions, l’avenir du tourisme n’aura jamais autant été porté par l’humain, pour l’humain.

Je crois que nous devons désormais utiliser l’angle plus large des innovations en tourisme, ce qui nous permettra de mieux appréhender les relations entre les divers ensembles humains. Cela nous permettra aussi de mieux cerner – mais sans s’y limiter– la place des nouvelles applications technologiques (intelligence artificielle, blockchains, mobilité et autres) dans le façonnement du nouveau tourisme. Il est temps d’enrichir nos réflexions d’autres perspectives (sociologique, politique, marketing, management, etc.) et d’autres acteurs.

Ce fut une belle aventure, mais il est temps de passer à autre chose. Et ce sera pour le mieux!

Comme le chantait si bien Joe Dassin:

« On s’est aimés comme on se quitte
Tout simplement sans penser à demain
À demain qui vient toujours un peu trop vite
Aux adieux qui quelque fois se passent un peu trop bien« 
 

 

 

 

 

 

 

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Expert en tourisme, Paul Arseneault est également professeur au département de marketing de l’ESG UQAM ainsi que co-fondateur et administrateur de l’incubateur MT Lab.
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