Carte Blanche à Marion Oudenot Piton

Publié le 22 janvier 2021
13 min

Nouveau site, nouveaux formats, voilà que l’on inaugure le billet Carte Blanche ! Un format qui reste à construire, et pour ce tout premier, c’est le mode interview que nous avons choisi avec notre invitée du jour.

On commence donc avec la dynamique Marion Oudenot Piton, dont on a beaucoup parlé dans ce blog à l’époque où elle oeuvrait à l’Office de Tourisme du Val de Garonne à Marmande, et qui travaille maintenant à l’Agence de Développement et d’Innovation Nouvelle Aquitaine.

Marion, c’est pas le genre à la ramener, à parler d’elle, mais elle peut vous parler de ses projets pendant des heures sans s’interrompre un instant ! Elle s’est tout de même un peu livrée, et vous découvrirez que son parcours explique aussi en partie la façon dont elle travaille, avance, se projette avec énergie et optimisme dans tout ce qu’elle fait.

Rencontre avec une personnalité singulière qui a contribué à faire bouger les lignes dans nos Offices, avec des bouts de Zoom dedans.


Salut Marion, comment vas-tu, comment tu vis cette drôle de période ?

Ben écoute ça va plutôt bien, je suis en télétravail à la maison, à fond dans les projets ! J’ai vécu le premier confinement de façon un peu particulière, puisque j’ai accouché de mon deuxième enfant au tout début, suis revenu en septembre au boulot pour enchaîner à fond sur le lancement du Tourisme Lab Nouvelle Aquitaine à l’occasion des #ET16 à Pau mi-octobre.


Bon alors je sais que tu n’es pas trop fan du fait de parler de toi, mais raconte-nous un peu ton parcours, tes études, comment tu as débarqué dans cette grande famille du tourisme ?

J’ai fait des études d’art à la base. Un bac arts plastiques et puis des études d’histoire de l’art que j’ai trouvé passionnantes et après seulement j’ai bifurqué vers un master en management du tourisme et de la culture à l’IAE. Quand je faisais mes études d’histoire de l’art à l’époque, j’ai été guide conférencière dans les offices de tourisme. C’est comme ça que je suis rentré dans la famille du tourisme parce que je faisais les visites guidées à Saint-Émilion notamment, et à Bordeaux aussi, en tant que saisonnière.

Et avant d’entrer en Master, je suis parti un an en Erasmus à Madrid. Et ça, c’était un peu avant que le fameux film de l’Auberge espagnole, donc il n’avait pas tout cet engouement aussi autour de Erasmus, ça a été une très belle année. C’était exceptionnel, j’ai trouvé, vivre comme ça à l’étranger. Ça m’a appris beaucoup aussi sur moi, sur notre relation aussi, des français avec les étrangers, l’image que la France peut avoir aussi comme ça dans des pays, c’était assez fort.

Mon premier poste, je l’ai eu dans la Manche et j’ai remplacé en congé maternité une ancienne de mon Master. J’étais responsable de l’office de tourisme communautaire à l’époque à Villedieu les Poêles, qui est connue pour sa fonderie de cloches, à côté du Mont-Saint-Michel. C’était ma première expérience. Puis après, je suis allé un peu dans le privé. J’ai dirigé un camping quatre étoiles Yelloh Village dans les Landes, pendant deux ans.

C’était une tout autre expérience. J’en ai un très bon souvenir. Parce que parce la gestion d’un camping, c’est un peu une mini ville avec 3000 personnes sur site, beaucoup de salariés et tu touches un peu à tout. On avait des grosses campagnes de réservation en hiver. Tu te retrouves aussi à gérer des épiceries, des restaurants, les piscines, l’achat et l’installation de nouveaux mobil homes, d’achats. C’était super enrichissant aussi.


Si tu veux savoir comment la toute jeune Marion a décroché ce poste chez Yelloh Village, ça se passe dans cet extrait de notre Zoom, ou on a presque l’impression qu’elle va partir sur le monologue d’Edouard Baer dans Astérix.


C’est juste après qu’arrive donc l’expérience à l’Office de Tourisme Val de Garonne. On a beaucoup parlé sur le blog des initiatives qui avaient été portées par l’Office de Tourisme Val de Garonne (Jean-Luc évoquait en 2011 l’ouverture de l’Office Nouvelle Génération, en 2015 de l’idée de Tiers-lieu développée sur un atelier aux #ET, en 2017 de la collaboration avec Ouishare, et Pierre Bellerose en 2016 faisait le compte-rendu de sa participation à Garocamp), tu peux nous dire quelques mots de ces projets, de l’état d’esprit qui vous animait, toi, la direction, ton équipe ?

Au départ, c’était un remplacement de congé maternité quand j’y suis arrivée en 2010. Et au final, après, ils m’ont créé carrément un poste de chargé de développement qui n’existait pas à l’échelle de l’agglomération à l’époque. Et j’y suis resté huit ans ! C’était fou, l’expérience de Val de Garonne. Déjà parce qu’ils m’ont fait confiance, j’ai eu carte blanche. Je peux le dire aujourd’hui avec le recul. Il y avait une forte confiance. On n’avait pas peur des idées et ça, c’est ce que je dis souvent. En fait, il ne faut pas du tout se brider. Ce qu’il faut, c’est savoir les exprimer, peut être aussi les cadrer. Mais en fait. Philippe, mon directeur à l’époque, qui n’avait pas du tout peur me disait OK, OK, on y va, on fonce.

Et puis je suis arrivé pile poil sur ce projet de l’Office de tourisme nouvelle génération. On a recruté l’équipe de Cap Sciences, qui avait une forte expérience sur la scénographie, les jeunes publics, le ludique, et il y avait plein de gens qui gravitaient autour de Cap Sciences. C’était fou dans la façon dont on a travaillé ensemble, c’est à dire qu’il y a eu une vraie cohésion tout de suite. On s’est compris aussi sur ce que l’on voulait faire, là où on voulait aller et je crois qu’on a été aussi largement entendus par les élus. On était en 2010 à un tournant dans les offices de tourisme. On avait cette belle maison qui avait été achetée. Il fallait en faire quelque chose de nouveau. Il fallait déjà réinterpréter en fait l’accueil et se poser les bonnes questions en termes de parcours client.

En fait, ce projet a guidé par la suite toute notre stratégie sur le territoire : on s’est dit qu’en fait, on pouvait faire des choses. Ça correspondait à une réorganisation des besoins de clientèle et au final, ça a marché parce que l’Office a tout de suite obtenu plus de 300% de fréquentation, des locaux, mais aussi des touristes. On parlait beaucoup de cette office de tourisme qui était aussi un lieu à visiter, qui se consommait. Du coup, ça nous a ouvert la voie sur tout un tas de projets. On était dans les premiers à partir sur des points d’accueil mobiles aussi. Là aussi, on est allé chercher des compétences qui étaient carrément en dehors de notre secteur, avec des filles qui faisaient l’école Boulle.

Comme tu l’évoquais, on a fait des repas partagés au bureau, et on pouvait venir déjeuner avec l’équipe de l’office de tourisme, dans la salle de réunion. L’équipe avait un peu peur au début. C’était des moments de rigolade parce qu’on avait une proximité avec les touristes. D’ailleurs, ils repassaient souvent dans la semaine pour venir voir l’équipe d’accueil. Au début, l’équipe était réticente, il y avait de la timidité et on passait un cap entre l’accueil professionnel, et l’intimité quelque part, parce que quand on est autour d’une table comme ça, on va forcément parler de nos enfants, de nos passions, autour de notre connaissance du territoire.

Tout ça nous a permis de gagner en maturité et donc de continuer de développer. Et on est passé de l’office de tourisme au tiers lieu. Ça partait d’une problématique, en fait. Comment on continue de faire vivre un point d’information touristique dans un petit village? Comment fait on peut lui donner une autre vie? En tout cas, une autre dimension,avec d’autres activités. Cela partait aussi d’un constat du village, d’une volonté des habitants et des élus de ce territoire. Et on s’est dit oui, pourquoi on n’aurait pas l’office de tourisme tiers lieux et que ça devienne un espace de coworking, un espace où, en fait, on y fait aussi d’autres choses que de consommer du tourisme ?

Et puis l’un des derniers bébés, c’était Garocamp. On accueillait dans notre petite ville un des plus grands festivals, Garorocks, on voulait développer l’accueil de startups dans des friches, créer un écosystème autour de tout ça. Et on s’est dit, on si on montait des rencontres professionnelles juste en amont pour parler des technos dans les festivals, en invitant les autres organisateurs, des fournisseurs de services, en échangeant sur cette thématique. C’était fou ça aussi !


Je découvre ton passé artistique dont tu ne parles pas souvent, mais du coup, qui est quand même cohérent par rapport à tout ce que tu as développer en terme de créativité. Et j’ai le sentiment qu’il y des points communs à tous ces projets que tu évoques, notamment d’aller toujours chercher des compétences à l’extérieur qui ne paraissent pas forcément évidentes. Tu parlait de Cap Sciences, de l’École Boulle, il y a aussi eu Ouishare.

C’était Jean-Luc à l’époque qui m’a mis en relation avec eux. On s’est rencontré et ça a tout de suite fonctionné et ça a collé sur notre façon de voir les choses. Notre façon de voir la Ville parce que Ouishare travaille beaucoup sur la notion de la notion de ville, d’espaces tiers, évidemment, mais de ville, de friches industrielles, de d’économie dans la ville. Samuel Roumeau, ça a été une belle rencontre, très enrichissante. Après notre maturation de l’office nouvelle génération, je me disais que ce serait intéressant de transformer un point d’information en espace tiers dans un village, parce que c’est cohérent avec une vie de village aussi avec eux. Du coup, plusieurs associations peuvent se l’approprier, réfléchir à comment on fait ce lieu.En fait, on a tendance à trop souvent se mettre à part. On ne va pas s’intégrer. Et ça m’a toujours beaucoup amusé de se dire, mais qu’est-ce qui nous interdit de mélanger les choses, ou les gens, on en tire forcément de la richesse !


Tu parles beaucoup de gens avec qui tu as travaillé, de rencontres, c’est cela qui te nourrit ou c’est aussi pour mieux te cacher ?

Vraiment, les rencontres, c’est ce qui m’a enrichi, fait progresser. Je crois beaucoup aux connexions, c’est un de mes mots favoris ça, connexion. Mon Directeur à Val de Garonne disait quelque chose que je me remémore souvent, « On ne peut pas avoir raison tout seul ». Ça me guide souvent.

En fait, je n’ai jamais aspiré à devenir directrice d’un office de tourisme. Je crois que ce n’était pas ma place. Je pense que je suis plus efficace à la place où j’étais la place que l’on m’a donnée. Et j’ai tout le temps formé des duos, des duos et avec un homme souvent. Sûrement parce que ça m’a mené une complémentarité. Donc, je leur laisse volontiers ce poste là. Et en même temps, c’est vrai que du coup, on ose moins se mettre en avant, se proposer, tu me disais souvent qu’il fallait que tu ailles chercher des intervenantes pour les #ET alors que plein d’ommes te sollicitait. 9a me rappelle l’intervention d’Amélie de Ronseray sur un 15mn chrono.

On parlait de Samuel tout à l’heure de Ouishare, il y aussi eu Bernard Favre de Cap Sciences, sur le tout premier projet. Et maintenant, Antoine Chotard, à l’ADI. Mais il y a plein de femmes que j’admire aussi. En ce moment, c’est Clarisse Crémer, l’un des skippeuses sur le Vendée Globe Challenge. Je trouve ça carrément surhumain comme défi, et j’ai beaucoup de respect pour ces personnes qui se lancent dans des aventures aussi dingues ! En général, j’aime bien les gens un peu dingues, un peu fous, comme aussi certains artistes qui étaient dans la provocation, Piero Manzoni, ou Marcel Duchamp.


Quand Marion s’emballe en évoquant l’art conceptuel de Piero Manzoni ou le ready-made de Marcel Duchamp !


Depuis deux ans, tu travailles à l’Agence de Développement et d’Innovation de la Nouvelle-Aquitaine. Raconte-nous un peu ton quotidien.

ADI, c’est une agence de développement et d’innovation à l’échelle de la nouvelle Aquitaine. On fait de l’accompagnement direct des entreprises sur leurs projets de développement, d’innovation et de l’accompagnement indirect. Là, on va influer sur tout l’écosystème. On s’adresse à toutes les entreprises, des startups aux grands groupes, en passant par les PME et les ETI.

On m’a confié le tourisme, la culture et le sport, et cette diversité d’acteurs me plaît et m’amuse beaucoup. Travailler sur des stades connectés, mais aussi sur des sites de visites, des entreprises. Parce qu’au final, en fait, le marché est le même. Ce sont souvent les mêmes problématiques avec des petites adaptations. Mais quand on parle de stade connecté et de jauge d’un site de visite, c’est exactement la même chose sur le fond et cette vision en silo que l’on a trop souvent est bloquante . Pour moi, l’innovation, c’est s’adapter, en fait. S’adapter à un marché, à une nouvelle clientèle, de nouvelles façons de consommer. En fait, elle est la même pour toutes. Ça m’amuse beaucoup de faire dialoguer les acteurs du monde sportif et les sites de visite ou les festivals parce que je trouve qu’ils ont beaucoup à apprendre les uns des autres.


Ton actu du moment, c’est le tout récent lancement du Tourisme Lab, après sa maturation avec les acteurs régionaux. Pas trop dur en ce moment, les gens gardent le moral ?

Moi, je suis revenue pleine d’énergie en septembre et on était tous à fond. C’est passionnant de monter des projets en fédérant tous les acteurs du secteur. On y travaille de concert avec les services de la Région, le CRT, la Mona, l’Umih, l’HPA, l’Agart, l’Unat, les technopoles, toutes les filières et tous les acteurs sont concernés et s’investissent. Et de façon presque surprenante, même les filières les plus touchées sont très présentes. Les restaurateurs, par exemple, que l’on peine souvent à toucher en office de tourisme, nous disent qu’en ce moment, à leur grand désarroi, ils ont du temps de dispo. Et certains ont découvert des solutions qui les aident maintenant au quotidien, sur de la vente à emporter par exemple. Ca peut paraître compliqué de parler d’innovation à des gens qui désespèrent d’être fermés, qui luttent pour maintenir leur business en vie, mais il y a une énergie positive autour de ce projet, qui j’espère va aider l’ensemble des secteur et des filières.


Pour conclure Marion, comment penses-tu que les Offices de Tourisme, leurs collaborateurs, peuvent ou doivent évoluer, à la faveur ou en dépit de cette période ?

Déjà, maintenant que je suis en dehors de ce réseau, j’ai envie de dire que c’est quand même difficile de travailler sur les territoires, avec l’ensemble des acteurs, les élus, il faut être solide ! Ce n’est pas toujours simple de garder le cap, de conserver ses valeurs, ses convictions. Et puis tous les territoires sont différents. Peut être que ce qu’on a fait à Val de Garonne, on n’aurait pas pu le faire ou en tout cas, différemment, sur un territoire qui n’avait pas la même configuration, qui aurait eu des richesses différentes.

Il y a quand même du mouvement en ce moment, je pense à La Tangente, dans le Nord, qui se positionne sur l’Innovation, j’ai entendu aussi Ludivine Seulin, d’Autour du Louvre Lens, avec de vraies stratégie différenciantes.

Et tout en respectant la place et le rôle de chacun, on doit se permettre de penser davantage, et de l’exprimer. De dire quand on n’est pas d’accord, simplement, posément. Je ne me suis jamais interdit de penser, de dire que j’avais sur le coeur. Ce que j’aimais bien dire à mes équipes, c’était de ne jamais s’interdire de penser. Pour moi, c’est primordial, en fait. De ne pas se dire là, j’ai pensé à un truc, mais mes amis, c’est interdit. Mais pourquoi c’est interdit ? Mais qui interdit ? Il faut se donner la chance d’argumenter ses idées, de convaincre.

L’artiste ne s’interdit pas de penser. Il passe pour un original, mais voilà, il laisse des traces aussi. Ce que j’aime bien d’ailleurs, ce sont les résidences d’artistes. Ce sont des sujets qui m’ont beaucoup passionnés. Et on en revient du coup à la connexion, au lien, qui favorisent la créativité et l’esprit libre.


Et sur cette belle conclusion, Marion s’est prêté sur le modèle de Brut à un Fast and Curious qui nous apprendra qu’elle aime bien boire en mangeant des tapas à Marmande ou Lacanau devant un match de rugby… ou pas ! Bon, la vignette de Marion est un peu petite, on fera mieux pour une prochaine.

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Ludovic a démarré sa carrière en Auvergne, à l’Agence Régionale de Développement, puis dans un cabinet conseil sur les stratégies TIC des collectivités locales. Il a rejoint en 2002 l’Ardesi Midi-Pyrénées (Agence du Numérique) et a plus particulièrement en charge le tourisme et la culture. C'est dans ce cadre qu'il lance les Rencontres Nationales du etourisme institutionnel dont il organisera les six premières éditions à Toulouse. À son compte depuis [...]
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