Carte blanche à Maïthé Levasseur

Publié le 10 février 2021
8 min

On rencontre parfois des personnes discrètes mais dont on se souvient toute la vie. Maïthé est de celles-ci. On est heureux de les connaître et de les savoir proches. Maïthé a été des ET4 aux Rencontres de l’etourisme. C’était à Pau en 2008. Depuis, elle nous a souvent rejoints et régulièrement nous sommes allés au Québec et l’avons eue pour hôte d’accueil. Aujourd’hui, c’est carte blanche à Maïthé Levasseur avant qu’elle prenne ses marques en tant qu’autrice au sein du blog, ce dont la rédaction se réjouit.

Maïthé, qui es-tu, quel est ton parcours pro dans le tourisme et depuis quand te connaît-on dans la francophonie de l’etourisme ?

Déjà 20 ans depuis mes débuts dans l’industrie touristique ! Après un passage de quelques années formatrice au sein d’une organisation pour le tourisme des jeunes et d’une firme de consultation, j’ai joint l’équipe du Réseau de veille de la Chaire de tourisme de l’Université du Québec à Montréal en 2007. Douze années fantastiques à faire de la veille stratégique, à être à l’affût des tendances et de l’évolution du tourisme avec une équipe allumée. J’ai rédigé quelque 250 articles dans le cadre de cet emploi, participé à divers mandats de recherche et donné plusieurs conférences.

C’est d’ailleurs à cette époque que j’ai participé à ma première expérience des Rencontres nationales du tourisme institutionnel en 2008 – qui se tenaient encore à Toulouse. Deux constats de ce premier contact :

  • Nos articles commençaient à être lus outre-mer et je ne participais pas en tant que pure inconnue comme je m’y attendais ;  
  • L’équipe du blogue e-tourisme.info était une bande de joyeux lurons très sympathiques.  

Ce fut le début de belles amitiés et collaborations. Quelles années plus tard, je participais à l’organisation de la toute première édition des Franco-Québécoises, aujourd’hui les Francophonies de l’innovation touristique.

Une collaboration au long cours

Photo : Dans cette première édition des Franco-Québécoises en 2011, aujourd’hui les Francophonies de l’innovation touristique, Maïthé est devant, au milieu, en bleu.

Deux appels m’ont fait prendre un virage professionnel en 2018 : celui d’une expérience professionnelle plus « terrain » et celui de mon installation au cœur de la forêt, près des activités de plein air, des sentiers et des chevreuils. J’ai ainsi occupé le poste de directrice adjointe développement et administration à Tourisme Laurentides (une région au nord de Montréal) pendant un peu plus d’un an. Belle aventure où j’étais notamment responsable des activités liées au développement de l’offre touristique et près des entreprises.

Peu de temps avant la pandémie, j’ai décidé de prendre mon envol et de tenter ma chance à mon compte en tant que « consultante en recherche spécialisée en tourisme » (en passant, vos suggestions de titre plus sympa sont bienvenues !). Bien que les perspectives étaient peu encourageantes au début, la dernière année a été riche en rebondissements et, finalement, bien remplie de mandats aussi diversifiés qu’intéressants. Le tout entrecoupé de courses en sentiers, de sorties de vélo et de ski et de projets de cuisine en tout genre.

Voilà pour mon parcours. Aujourd’hui, mon ambition professionnelle est de travailler avec des gens animés par des motivations stimulantes et contagieuses, des gens portés par le désir d’évoluer et d’être pertinents.

Quels sont les sujets qui t’intéressent particulièrement dans notre univers mondial brouillé et en particulier sur le tourisme de longue destination ?

Mon expérience et mes intérêts en tourisme sont transversaux, mais j’ai un faible pour tout ce qui touche le plein air. Ce thème m’interpelle, non seulement par intérêt personnel, mais parce que la nature est un atout majeur de la destination québécoise. Son accessibilité, sa préservation et sa mise en valeur de manière durable sont intimement liées à l’attractivité de notre belle province.

J’ai également un faible pour le tourisme gourmand et l’agritourisme. Il existe, ici et ailleurs, des perles, des lieux de production ou de transformation qui nous ouvrent la porte des artisans de la terre, nous faisant découvrir des saveurs étonnantes et des gens passionnés. Pour moi, voyager passe autant par les papilles que par les autres sens. Ce secteur composé principalement de micro-entreprises a besoin des institutionnels pour sa mise en valeur et le soutien à la qualité de l’expérience.

Je m’intéresse aussi aux contacts avec les populations locales lors des voyages de longue destination. Je pense qu’il est difficile de les provoquer explicitement et de les encadrer, mais qu’il importe de mettre toutes les conditions possibles en place pour que ces rencontres « inattendues » surviennent. Elles deviennent bien souvent des souvenirs impérissables. Je n’oublierai jamais ce sympathique hôte d’un gîte de Saint-Jean-de-Luz et ses éditoriaux matinaux ! Aussi succulents que ses confitures !

Et j’aime les expériences en ligne fluides, efficaces et audacieuses ! Je m’intéresse donc à tout ce qui est en arrière-plan, la stratégie, la compréhension du comportement utilisateur, les modèles d’affaires innovants, etc.

En bref, je m’intéresse à l’expérience touristique, celle vécue sur le terrain autant que celle des phases préalables d’inspiration et de planification. On observe des cas d’expériences fluides, efficaces et sympathiques, mais je suis toujours étonnée que l’on puisse encore se trouver dans des situations compliquées, désagréables et peu authentiques, que ce soit dans des étapes de planification que lors de l’expérience comme telle.

Proximite et nomadisme

Entrevois-tu des tendances nouvelles qui se mettraient en place rapidement ? Autrement dit, ici en Europe on ne jure plus que par l’importance du fait local, des déplacements de relative proximité, plutôt en train ou auto, comment perçois-tu les choses en Amérique du Nord ?

Ici aussi, le tourisme de proximité (presque qu’exclusivement en voiture au Québec) est sur toutes les lèvres. Certaines régions en ont d’ailleurs plutôt bien profité au cours de l’été et il est bien de constater que les Québécois découvrent, avec ravissement, leur cour arrière. Un sondage de mes amis de la Chaire de tourisme spécifiait d’ailleurs que pour 42 % des Québécois ayant voyagé dans la province, leur expérience a eu un impact positif sur leur perception de la destination. Une bonne nouvelle sur laquelle il faudra continuer de tabler dans le futur.

Parmi les tendances qui prendront une importance particulière prochainement, j’entrevois de plus en plus d’hybridation des modèles d’affaires. La pandémie en a mis plus d’un au défi de se réinventer, de repenser sa proposition d’affaires. J’ai l’impression que cette tendance perdurera et s’intensifiera, chacun cherchant à être davantage préparé à de nouvelles situations difficiles et prêt à s’adapter à toutes éventualités.

Avant la pandémie, l’industrie touristique québécoise vivait une importante pénurie de main-d’œuvre. Bien sûr, tout ne se fait pas à distance (faire un lit par exemple !), mais les nouvelles habitudes de télétravail permettront probablement d’alléger partiellement cette pression une fois les activités reprises. Aussi, on prévoit que ces télétravailleurs constitueront une nouvelle clientèle de voyageurs. Je soutiens cette perspective ; on parle des travailleurs nomades depuis un moment, mais je pense que ça prendra une toute nouvelle ampleur. Et je me sens personnellement interpellée par cette forme de tourisme! Certains ont déjà abordé ce marché et on verra certainement encore plusieurs exemples d’adaptation de l’offre et des messages dans un avenir proche.

Est-ce une tendance ou un espoir, mais ne sent-on pas une sensibilisation et un engagement accrus vers un développement plus durable du tourisme ? On dirait bien que oui et c’est sans aucun doute à suivre de près. Peut-être que ce que l’on vit présentement nous amènera à voyager moins, mais « mieux » ? Du moins, je le souhaite.

En matière d’innovation digitale appliquée au tourisme, des pratiques nouvelles surgies par chez toi ?

Ici comme ailleurs, on teste divers moyens de réinventer les événements et rencontres d’affaires. Martin Lessard du MT Lab présentait récemment cet exemple de la startup 1point6 qui développe la plateforme virtualB. Tout en mode virtuel, elle permettra de créer un kiosque dans un espace d’exposition et de tenir des rencontres sur ces lieux de rendez-vous. C’est un exemple, mais l’ampleur de l’impact de la pandémie sur ce secteur touristique sera source de multiples nouvelles applications. L’innovation digitale ne sera pas la seule avenue, mais sera certainement aux premières loges.

Je suis curieuse également de suivre comment les technologies de l’information et les objets connectés, présents dans notre univers touristique depuis plusieurs années, joueront un rôle plus important dans les voyages de demain. Pandémie éradiquée ou pas, nous garderons bien des traces de ces mesures de distanciation sociale et d’hygiène. Plusieurs solutions technologiques nous aideront certainement dans cette reprise des voyages.

L’appropriation de nouvelles solutions numériques par les clientèles sera probablement plus rapide encore, motivés que nous serons à reprendre les voyages et contraints à respecter diverses règles.

UNe fan du plein air

Les activités de pleine nature sont l’une de tes passions, peux-tu nous en dire plus sur leurs forces présentes et à venir à l’issue de cette pandémie et aussi sur leur mise en avant digitale par les OGD ?

Populaires comme jamais avec les mesures de sécurité sanitaires réduisant le champ des activités possibles, les lieux de pratique d’activités de plein air ont été littéralement pris d’assaut dans la dernière année, tout comme les boutiques spécialisées ont été dévalisées.

C’est généralement une très bonne nouvelle ! D’un côté, je crois aux bienfaits physiques et mentaux du plein air, mais aussi je pense que ce rapprochement de la nature est susceptible de sensibiliser de plus en plus de gens à sa fragilité et à l’importance de la préserver.

Cette fréquentation accrue a néanmoins quelques revers, notamment en périphérie de Montréal. Certains lieux de pratique près de chez moi sont saturés et n’acceptent que les locaux durant les week-ends. J’observe aussi qu’avec les nouvelles applications qui référencent des sentiers et suggèrent des itinéraires, les secrets bien gardés le sont de moins en moins…

Je ne connais pas bien la situation ailleurs, mais, au Québec, de nombreux sentiers empruntent des terres privées. C’est un enjeu important, puisque plusieurs accès ont été retirés et des espaces sont transformés par le développement urbain. Alors que la popularité est croissante, des lieux de pratiques disparaissent ou sont morcelés et des sentiers reliant des sites sont coupés. Heureusement, on voit aussi beaucoup d’initiatives de municipalités pour acquérir des terres et des droits de passage afin de pérenniser ces sites.

Bref, si les sites de pratique d’activité de plein air sont gérés de façon durable, leur avenir m’apparaît radieux considérant l’intérêt renouvelé.

Voilà ! Je suis ravie de reprendre la plume, de vous partager mes observations et mes réflexions sur le tourisme d’aujourd’hui, ébranlé, mais plus précieux que jamais.

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François Perroy est aujourd’hui cofondateur d'Agitateurs de Destinations Numériques et directeur de l’agence Emotio Tourisme, spécialisée en marketing et en éditorial touristiques. Il a créé et animé de 1999 à 2005 l’agence un Air de Vacances.  Précédemment, il a occupé des fonctions de directeur marketing au sein de l’agence Haute Saison (DDB) et de journaliste en presse professionnelle du tourisme à L’Officiel des Terrains de Camping et pour l'Echo Touristique. Il [...]
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