Bornes interactives : est-ce que ça sert toujours à quelque chose ?

Publié le 7 mars 2022
9 min

J’échangeais dernièrement avec le maire d’une commune (dont je tairais le nom) qui m’annonçait fièrement qu’il allait investir dans deux bornes interactives à 15000 euros pièces. Vu les emplacements qu’il m’indiquait, à peu près dépourvus de flux touristique, je lui faisais remarquer qu’elles n’allaient pas servir à grand chose. « C’est pas grave, c’est pour faire de l’image, m’a répondu l’édile… ». 30 000 euros pour de l’image, joli budget, ai-je pensé!

La semaine suivante, un directeur d’Office de Tourisme me demandait si j’avais un argumentaire pour contester l’utilité en 2022 d’une borne numérique : « J’ai un petit combat local pour refuser une des 50 bornes numériques que veut nous imposer notre département sur notre territoire local « .
D’où l’idée de cet article pour éclairer un tout petit peu le sujet…

Après avoir promu l’accueil numérique, faut-il le clouer au pilori?

En parcourant les archives de ce blog, je retrouve quelques prise de position assez franches pour ces fameuses bornes. Ainsi, en 2009, montrant dans un article intitulé « l’agent d’accueil permanent » la toute nouvelle borne interactive de Barcelone, je posais la question « une destination peut-elle aujourd’hui se passer d’un tel équipement? »

Borne à Barcelone (2009)

Et 5 ans plus tard, Paul Fabing nous présentait les projets d’Offices de Tourisme de France sur les « points i-mobiles et les guides i-mobiles« .

Bref, pendant longtemps nous avons défendu le numérique à l’accueil. Alors qu’aujourd’hui, je militerais facilement dans l’autre sens si on me demande l’intérêt d’installer une borne interactive.

Et voilà l’argumentaire que j’ai servi à mon directeur d’Office de Tourisme ayant pris le maquis face à l’invasion bornesque départementale :

Lorsque 95% des 15-29 ans ont un smartphone (chiffre CREDOC), et que le territoire est bien équipé en téléphonie mobile, ça veut dire que toutes nos clientèles de demain auront le contenu de la borne sur leur téléphone. Donc, quel intérêt pour le visiteur de rester debout devant un écran qui fonctionne tant bien que mal pour avoir une information qu’il a déjà plus facilement sur son compagnon digital?

Alors que le même visiteur attend maintenant des pouvoirs publics qu’ils organisent leur service pour leur fournir du contact humain, de la rassurance, du conseil local, de l’expertise enracinée, de l’information permaculturée, du contenu de plein champ, du renseignement produit en circuit court, du bon plan biodynamique! Et donc des hommes et des femmes qui fassent ce que ne font pas les GAFAM : du conseil local à dimension humaine et humaniste…

Mais après enquête (merci pour vos nombreuses réactions sur les réseaux sociaux), je me rends compte que la réalité n’est pas si basique et qu’il faut aller un peu plus loin dans l’analyse.

Ceux pour qui ça ne marche pas

C’est la réalité : pas mal de responsables locaux d’Offices de tourisme remettent les bornes interactives en question. C’est par exemple Jérémie Hache directeur de l’Office de Tourisme d’Albret, en Lot-et-Garonne qui m’explique que l’OT a décidé de mettre en suspens le projet d’équiper nos antennes de nouvelles bornes. C’était fléché via le Sadi mais nous avons suspendu l’investissement (Très très cher). Surtout que les chiffres des deux bornes actuelles (des outils sympas au demeurant, nous dit Jérémie) ne plaide pas pour de nouveaux investissements : baisse de moitié d’utilisateurs en quelques années, pour un nombre finalement très confidentiel.

Idem sur les chiffres d’un Office de Tourisme du Gers : pour 23500 visiteurs dans le local de l’OT, la borne accessible directement au public en zone libre accès connait moins de 10 utilisations par mois en moyenne.

Certains ont donc tout bonnement enlevé les bornes interactives comme à Dinan ou Paimpol en Bretagne. A Biscarrosse, qui était pourtant un Office de Tourisme pionnier dans le numérique dès 2010, Sabine Boulic, responsable numérique nous explique « on a enlevé les bornes tactiles extérieures depuis plus de 2 ans, plus de numérique interactif accessible, statistiques trop faibles pour le coût et le temps demandé. Il reste uniquement des écrans d’informations 24/24H à l’intérieur des BIT« .

Pas facile d’ailleurs de recycler une borne interactive nous explique Sabine  » après avoir cherché plusieurs solutions, nous les avons fait démonter en petits morceaux pour être recyclés dans un centre qui récupère la ferraille. C’est la mairie qui s’en est gentiment occupé, car une vraie galère sinon le coût du transport était dingue…« 

Fréquentation des bornes de Biscarrosse

Ceux qui sont satisfaits et qui déploient de nouvelles bornes

Et il y aussi les satisfaits! Laura Petiot est directrice d’un Office de Tourisme rural, en Creuse et est plutôt enthousiaste : « Nous avons 7 bornes tactiles sur notre territoire, au Nord-Est de la Creuse (Creuse Confluence Tourisme) dont 4 au niveau de l’entrée de nos BIT et 3 sur des sites touristiques. Cela fonctionne plutôt bien, avec près de 25 000 pages consultées en 2021 (pour 12500 visiteurs sur 4 BIT), notamment les rubriques « manger », « visiter » et « bouger » avec le téléchargement des données GPX de nos circuits de randonnée. Nos bureaux sont fermés les après-midis de novembre à mars, cela permet aux visiteurs d’avoir un accès 7j/7 et 24h/24 aux infos touristiques.

En saison estivale, les personnes qui consultent les bornes entrent aussi régulièrement dans les BIT pour avoir un complément d’info, et puis il y a les « autonomes ». Ce concept est plutôt en adéquation avec les attentes d’une partie des visiteurs et pour le moment, de bons retours (même à Evaux les Bains avec une clientèle de curistes plutôt plus âgée que la moyenne). Après nous ne sommes qu’à la troisième année d’utilisation alors peu de recul... »

Borne tactile Creuse Confluence

A Médoc Atlantique, en Gironde, le bilan d’activité affiche les chiffres 2021. Emmeline Azra responsable du pôle attractivité, explique la stratégie :  » Nous avons 14 bornes sur la destination et 2 nouvelles vont être installées prochainement. Ces bornes sont un outil très stratégique afin de marquer la présence de l’OT sur tout le territoire. Et aussi un outil de promotion et de diffusion de la marque MAT sur l’ensemble du territoire, même là où nous n’avons pas la possibilité d’installer d’OT ou de faire se déplacer le personnel.« 

Concernant les chiffres de fréquentation, Emmeline trouve qu’il est intéressant de constater une stagnation dans les lieux où l’OT est présent physiquement avec des conseillers en séjour. Par contre, les consultations sont vraiment en hausse sur les lieux isolés. Ce qui dicte aussi notre stratégie d’implantation future.

Rapport d’activité 2021 OT Médoc Atlantique

Philippe Le Berre, PDG de Cartelmatic, avec qui je me suis entretenu constate lui aussi un développement des implantations un peu partout en France.

C’est donc un peu match nul entre les partisans des bornes et ceux qui en contestent l’utilité…

la borne, une solution trop chère ?

Clairement, l’installation de bornes interactives est souvent motivée par la fermeture d’un Bureau d’accueil, ou par sa limitation en heure d’ouverture, voire pour mailler un territoire. Un motif « politique » donc, plus souvent qu’un motif d’intérêt des clientèles. Le jeu en vaut-il la chandelle, lorsqu’on se rend compte que le nombre de pages consultées ne dépasse pas à l’année quelques milliers.

Amortie sur cinq ans, avec entretien et maintenance, une borne revient vite à 4000 ou 5000 euros par an. Si c’est uniquement pour obtenir 2000 ou 3000 consultations du site Internet de la destination, c’est effectivement très cher. Plusieurs directeurs d’Offices de Tourisme envisagent plutôt la solution QR Code, comme Jérémie à Nérac qui étudie « d’autres pistes qui s’appuieraient plus sur l’accès aux infos via les smartphones et les connexions internet des touristes (une affiche avec quelques QR code pertinents me semble faire le taff). »

C’est vrai que des QR codes soignés (je vous renvoie sur ce billet de Sébastien Gonzalez) bien mis en valeur, et renvoyant vers un site totalement responsive design peuvent faire le job. Il faut juste que le territoire soit bien équipé en réseau de téléphonie mobile.

Certes, comme le dit Philippe Le Berre de Cartelmatic, il est plus facile d’appuyer sur un écran tactile, surtout si celui-ci est attractif que de sortir son téléphone pour prendre en photo un QR Code.

D’accord, mais le coût contact d’une borne limitant son contenu à la consultation du site Internet de la destination est très élevé.

Exemple (belge) de QR Code tourisme

Tout miser sur le contenu ?

Stéphane Tripot (Ardèche Secrète) apporte un avis personnel franc et direct dans les échanges sur Facebook : « La question des bornes a (presque) toujours été abordée sous l’angle de l’équipement, et (presque) jamais sous l’angle du contenu. D’ailleurs, dans beaucoup de projets, l’essentiel du budget passait dans le matos. Résultat : ces machins qui ont coûté une fortune finissent par afficher un site web accessible à chacun par son smartphone.

Et quand on demande à un OT si ça marche, il répond (presque) toujours « oui, ça marche, on a eu x milliers de connexions ». Ce qui ne nous dit absolument pas si les x milles personnes sont reparties en se disant « génial ce truc » ou « quelle m....e ce truc ».J’aimerais savoir quelles bornes interactives ont déjà proposé un contenu pertinent au regard des objectifs d’un tel investissement.« 

Même réflexion de la part de Philippe Le Berre, directeur de Cartelmatic, pour qui la question du contenu est essentielle, pour apporter une valeur ajoutée.

Donc oui, c’est tout à fait évident, mais encore faut-il le faire : proposer un contenu apportant quelque chose de plus au visiteur!

J’illustrerai par le projet de Michael Shellard, directeur de l’Office de Tourisme des Baronnies en Drôme Provençale qui souhaite équiper son territoire de bornes interactives, mais avec une vraie stratégie construite :

  • premier objectf : la randonnée. «  ces bornes sont orientées RANDO, avec la visualisation des parcours sur fond 3D, ‘comme si on y était’. ma problématique est qu’à l’issue de cette consultation, le parcours choisi puisse être accessible selon le support préféré de l’usager : tracé gpx, pdf via Mail, lien vers Cirkwi/site, ou application compagnon, ce dernier étant développé pour reprendre le parcours avec géolocalisation« .
  • deuxième objectif : en faire des outils de médiation. « Les bornes seront d’abord installées dans 3 BIT, et seront des outils de médiation. C’est positivement concluant sur cet usage par les conseillers en séjour, basé sur le retour d’expérience positif de l OT de La Chapelle en Vercors, qui s’est approprié l’outil. »
  • Troisième objectif : accompagner la transformation de deux BIT, qui vont être fermés et remplacé par des relais d’information avec du personnel non OT. « Les bornes font partie de l’arsenal ! Il s’agit aussi de combattre la désertification en milieu rural, et de répondre à une demande forte de randonnée sur les territoires concernés« 

Le projet consiste donc à mettre en place des solutions personnalisées par territoire : borne, écrans, et surtout contenu dédié principalement autour de la randonnée. L’intérêt : approche globale et stratégique de l’équipement numérique du territoire, pensée dans le cadre d’un SADI.

Alors docteur, le diagnostic ?

Diagnostic simple : le coût contact d’une borne interactive est onéreux. Si c’est pour dupliquer le site web de l’OT, un QR Code, même peint à la main par un artiste local ou fabriqué en porcelaine sera toujours moins cher et aussi efficace
Si par contre, l’installation de bornes accompagne un SADI et la fermeture de certains Bureaux, il faut développer une vraie stratégie de contenu et d’accroche visuelle.

Enfin, la borne comme outil de médiation utilisé par les conseillers en séjour me semble aussi intéressant. J’y reviendrai dans un prochain billet avec des illustrations.

En attendant, preneur de vos commentaires.

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Jean Luc Boulin est consultant en tourisme : Intervention auprès des élus et des prestataires touristiques, coaching, accompagnement des équipes et des directions sont ses principaux champs d'intervention. Avec deux exigences : se mettre à la place du client et oser l'innovation. Directeur de l’office de tourisme de l’Entre-deux-Mers (Gironde) et du pays d’accueil touristique du même nom pendant plus de dix ans, Jean Luc Boulin a dirigé la MONA [...]
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