Ce billet a été publié sur le blog etourisme.info le 05 juillet 2024. Voici donc une republication estivale…
La question du premier point d’intérêt d’un territoire touristique se pose des milliers de fois par jour. Et pourtant, délivre-t-on une réponse immédiatement consommable ? Tant à l’Office de Tourisme, que sur un site web ou dans un guide ? A Saint-Emilion, c’est simple, l’église monolithe est une évidence. A l’Isle sur la Sorgue c’est moins clair alors que le secteur regorge de richesses. Cependant, il y a bien toujours un antiquaire ouvert. A Limoges, on offre de nombreuses possibilités, mais à Strasbourg, la cathédrale vous saute aux yeux tant elle s’impose. Il est souvent difficile pour les OGD de choisir la pièce unique à mettre en avant au niveau local.
Pourtant, quand vous entrez dans une boulangerie, vous avez toujours soit à la vue, soit en tête, le premier produit, le plus accessible, le plus connu, le moins cher, à la forme identifiable… (non, pas la chocolatine, quoique pour les sudouestiens…), la baguette ! Dans un camping, c’est l’emplacement nu. A l’hôtel, c’est la chambre standard. Au niveau d’un prestataire d’activité de loisirs de pleine nature on trouvera la première formule de location d’un vélo à la demi-journée ou d’une semaine de stage pour poser les rudiments du surf. Chez le coiffeur, c’est la coupe basique. La coloration, le lissage, les chignons, la barbe… apparaissent comme des niveaux supérieurs. Chez la vigneronne qui vous accueille au caveau, il y a toujours le premier vin qui pose la structure du terroir avant une progression dans la dégustation. Et dans un restaurant qui tient son rang, chacun doit disposer de la spécialité maison et (surtout s’il est en Belgique ou dans le Nord), de l’incontournable plat ou assiette de frites. A l’office de tourisme de Dunkerque, c’est clair et sans chichi, on vous invite à vous faire une baraque à frites.
Definition d’un produit de base
Sans évoquer la liste des produits de première nécessité il en va de même dans le tourisme : on devrait avoir accès partout au produit de base touristique. Mais le sujet, pour simple qu’il apparaisse n’est pas toujours facile tant les parties prenantes d’un office de tourisme sont nombreuses, tant on peut avoir du mal avec les clichés ou bien que l’on cherche à élever l’attention des visiteurs vers de nouvelles sources de découverte. L’idée de cet article est née d’une discussion avec mon collègue consultant et ami Jean Lafond-Grellety avec lequel je collabore souvent sur des missions patrimoniales.
Jean, tu développes l’idée du produit de base dans le secteur du patrimoine touristique : c’est quoi un produit de base (définition du produit de base : composition, fréquence d’utilisation, publics ciblés, tarif, mode de commercialisation…) ?
« Le concept de produit de base est en fait l’exigence première que doivent s’imposer les « culturels » pour répondre aux exigences des « marketeurs ». Et implicitement il peut devenir un terrain de rencontre nécessaire entre le patrimoine et le tourisme. L’idée est simple dans sa traduction : tout site patrimonial doit pouvoir offrir, à toutes ses périodes d’ouverture une visite normalisée : un parcours de médiation ou une visite guidée, un temps de visite, un prix,… bref une prestation qui soit toujours la même, de qualité constante, facilement compréhensible et communicable.
Poser cette exigence (a priori évidente) vise avant tout à éviter les sites qui sont en « animation perpétuelle », c’est-à-dire qui ne fonctionnent que sur des évènements, des calendriers de rencontre, des prestations temporaires, la disponibilité de tel ou tel médiateur,… L’enjeu est de promouvoir la qualité d’un produit constant et fiable, ce qui constitue la seule manière de s’inscrire efficacement dans la concurrence d’un marché qui est le marché touristique.
Dans le monde des sites patrimoniaux, des musées, etc… on rencontre ainsi plusieurs exemples, en particulier dans les petits sites ou les sites émergents, des prestations qu’on découvre en arrivant. « Que voulez-vous faire ? ». « Aujourd’hui nous ne faisons que tel type de visite ». « Si vous revenez demain, vous pourrez visiter telle salle ». Etc. etc… ces approches sont contre-productives : elles brouillent le positionnement du site, compliquent sa communication, génèrent de la frustration chez les visiteurs (même s’il en faut toujours un peu), créent un aléa qui est toujours dommageable auprès de certains opérateurs (comme les autocaristes par exemple),…
Le produit de base n’exclut pas le « produit plus ». Une visite conférence, une animation pour les enfants, une découverte nocturne,… viennent enrichir l’offre de propositions et peuvent être promues. Mais dans tous les cas, le produit de base continue à structurer la base de l’offre, le socle immuable (et si possible qualitatif) accessible à tous, l’incarnation de la promesse tenue ».
UN PrEtEXTE A INNOVATION
Peux-tu nous donner deux exemples différents d’un produit de base dans un grand site et dans un site de moindre importance ?
« Si on regarde le site internet du château de Versailles, on constate que le produit de base est en fait l’accès. Il ne s’agit pas d’une visite, mais d’une possibilité de déambuler soit dans le château (21 euros), soit dans tout le domaine (32 euros), soit dans le seul domaine de Trianon (12 euros). Toutes sortes de déclinaisons sont possibles à partir de là, pour des produits « plus » (visites guidées par exemple), ou des tarifications adaptées (mais qui ne changent rien au produit de base). C’est clair et compréhensible. Pour des raisons sans doute d’observation des comportements des visiteurs, le produit de base est l’accès, et non l’outil de médiation (visite guidée ou visite libre).
Dans le registre des « petits sites », on me permettra de citer une expérience vécue récemment, que je propose de décrire sans la citer explicitement, pour ne pénaliser personne. Il s’agit d’un site prestigieux, éminemment culturel, qui souhaite développer sa fréquentation en mettant en avant ses atouts patrimoniaux, mais aussi la qualité de ses contenus artistiques. Nous avons conçu un projet de visite, à la hauteur des exigences du lieu : créative, innovante, décalée, surprenante. Une sorte de découverte évènement, sans équivalent ailleurs, destinée au grand public. Ce projet un peu manifeste se voulait la démonstration qu’un autre regard était possible sur un monument historique, en rupture avec les visites classiques, une sorte de fusion entre exigence artistique et découverte patrimoniale. Suite à des changements en interne et à une inflexion des choix, cette visite a changé de statut : elle n’est plus maintenue comme le « produit de base », mais ramenée à une fonction d’animation ponctuelle du lieu. De fait, la démarche change structurellement de nature : des évènements culturels de qualité dans les monuments, il en existe plein ; mais une visite de base radicalement différente, surprenante et décalée, c’est beaucoup plus rare. La presse s’est intéressée au projet, la démarche a suscité enthousiasme et surprise. Mais désormais, le visiteur attiré par cette démarche, pourra tomber dessus, ou ne pas tomber dessus, selon le calendrier des animations. Tout le positionnement du site, son image, son attractivité en sont modifiés. Et de fait, l’impact économique de ce projet innovant en sera fortement relativisé.
Cette anecdote raconte que le « produit de base » n’est pas forcément « basique » ; il peut au contraire constituer un terrain d’expérimentation et d’innovation. L’enjeu d’une mise en valeur patrimoniale performante est de concevoir un produit de base qualitatif, accessible à tous,… Ce qu’on retrouve dans n’importe quelle démarche commerciale éthiquement défendable : vendre un produit de qualité au plus grand nombre. Dans l’évolution dommageable décrite dans l’exemple précédente, le produit qualitatif ne concerne que le cercle des « happy few », ceux uniquement concernés par une démarche d’animation culturelle du lieu. L’intention initiale est hélas galvaudée ».
Mais à la fin, on peut se demander si cette notion trouve sa place au-delà des producteurs de tourisme et de patrimoine que sont les offices de tourisme et gestionnaires de sites. La commercialisation des activités et visites par les nombreuses plateformes digitales ne modifie-t-il elle pas la donne ? Elloha, Welogin, Regiondo, Patrivia… sont des outils qui disposent de leur propre formatage, mais que dire des centaines de canaux de distribution d’activités et de visites, à commencer par Booking, GetYourGuide ou Viator ? Bien difficile de saisir le produit de base de chaque site, y compris emblématique comme l’Acropole à Athènes vendue par de nombreuses plateformes qui ont toutes intérêt à pousser des combos plus rémunérateurs que le produit de base. En conclusion, on devrait toujours commencer par déterminer son produit de base, garanti ouvert, facile d’accès et en capacité d’attraper le chaland avant de lui vendre autre chose.