La créativité peut-elle supplanter l’identité d’une destination ?

Publié le 22 août 2018
3 min

Cet article a été initialement publié en janvier 2018

Porto Moniz. Nord Ouest de l’île de Madère. Tripadvisor nous vendait des bassins pour se baigner à proximité immédiate de l’Océan. Une vraie expérience !

Dans le restaurant de l’hôtel, les propositions atypiques de plats de viande et de poisson s’enchaînent. On se met à douter de l’intégrité psychique du Chef. C’est comme s’il se disait : « J’ai du poulet. J’ai des crevettes. J’ai des fruits de la passion. Et si je faisais du poulet aux crevettes avec une sauce Maracuja».

Si ce n’était que ce menu, que ce restaurant, ça n’aurait pas été le sujet de ce billet. Dans tous les restaurants de cette station côtière mais aussi dans d’autres villes et villages de l’île, on retrouve ces propositions excentriques, entre paresse intellectuelle et manque d’expertise et de créativité. Ce n’est pas uniquement sur la cuisine mais aussi sur les infrastructures touristiques comme ces piscines « naturelles » à Porto Moniz, ces sentiers pavés en altitude ou cet héliport jamais utilisé.

Ma réflexion à travers cette histoire est : « Sur quoi se base-t-on pour inventer des recettes au sein d’une destination touristique ? » Sur un terroir ? Sur des chefs de renom ? Sur des formations réalisées par des experts du tourisme internationale validé par l’Organisation Mondiale du Tourisme ? Sur une tradition culinaire des habitants ? 

Ici, on a le sentiment qu’il n’y a pas ce socle commun, cet ADN partagé par l’ensemble des professionnels du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration pour enchanter la destination. Mais Madère, c’est quoi au final ? Un bout autonome du Portugal ? La patrie d’un certain Cristiano Ronaldo alias CR7 ? Une île-montagne aux paysages dignes de l’imagination de James Cameron dans Avatar ? Une végétation luxuriante tout au long de l’année ?

Or, en voyageant à travers ce territoire, on parcourt avant tout une destination qui a été construite sur des attentes passéistes de visiteurs. On a construit historiquement cette destination pour les voyageurs qui avaient une certaine vision du voyage (et a qui on a imposé cette vision). Or, tout ceci a bien vieilli. Les stylos estampillés du prénom de sa bien-aimée, les dés à coudre à l’effigie de Madeira, etc. sont toujours en vente sur les étales des boutiques de souvenirs depuis dix ans ou plus. Et ça prend la poussière…

Mais alors, une destination qui n’a pas réussi à valider ce socle commun, cette identité partagée par tous, est-elle vouée à décrépir à petit feu à coup d’offres soldées sur Booking et sur Expedia pour attirer le vieux voyageur aux attentes passéistes ? Comment peut-on fidéliser des voyageurs dans ce cadre-là ? Après avoir gratté l’Île de Funchal sur sa Scratch Map, pourquoi vouloir revenir ?  Pour vivre quelle expérience ?

Alors oui, les marques de destination, là, elles ont une vraie utilité ! Non pas pour inventer un nouveau slogan et refaire le logo avec une nouvelle fleur ou avec le buste de CR7 mais pour insuffler ce socle commun aux habitants, aux professionnels, à l’ensemble des acteurs de l’île. Car oui… les habitants, on s’est même posé la question de savoir où ils étaient sur l’île. Or, en prenant les bus locaux et en allant déguster la poncha à la fête eucharistique Santa Amaro à Santa Cruz ou dans les bars des villages en altitude, on les a bien vu, à vivre, à rigoler, à discuter.

Et c’est bien eux la richesse de l’île, son avenir économique et touristique. Or, si les habitants restent à l’extérieur de cette économie touristique, si le territoire ne fusionne pas avec la destination, Madère continuera à subir les effets du temps et donc ne pourra pas répondre aux attentes de ces nouveaux voyageurs en quête de sincérité, de rencontres, d’apprentissage, d’inspirations. Car demain nous ne voyagerons pas uniquement pour faire des photos instagrammables mais bien pour rencontrer Luis, Juan, Anita qui nous apprendront à faire de Bola de Caco, à cultiver le vin de Madère ou encore à surfer en hiver sur les vagues de Porto Moniz… Et si les autorités locales ne prennent pas conscience de cela, Airbnb se frotte déjà les mains pour imaginer Experiences, Rencontres & Partage.

Vous sentez vous visés à travers cet article ? Pensez-vous que votre destination cherche à être créatif sans réellement y parvenir ? La solution passera sûrement par la meilleure écoute des habitants et leur prise en compte réelle.

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Hey! Moi, c'est Guillaume Cromer, je pilote ID-Tourism, cabinet d'ingénierie sur le marketing du tourisme. Historiquement, je suis bien impliqué sur les questions de tourisme durable mais depuis quelques temps, je m'intéresse beaucoup à la question de la prospective du tourisme pour bien comprendre comment vont évoluer les attentes des voyageurs et de quelle manière il va falloir adapter les organisations publiques et privées du tourisme. Hyper curieux et de [...]
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