Un sac à dos, des champs, du temps et de la tarte aux fraises

Publié le 2 juin 2023
9 min
crédit : Pixabay

Revenant d’un séjour avec pour unique projet de rejoindre le Mont Saint Michel à pied (150 km) en partant de chez moi, je cherche à comprendre pourquoi cette façon de voyager qu’on qualifie de slow peine à se développer? Alors même que ce périple n’a rien eu à envier à un séjour exotique, pourquoi avons-nous individuellement  autant de résistances à engager cette bascule vers des voyages avec plus de lenteur ? 

Pour émettre quelques hypothèses, j’ai passé au tamis ce périple dans le regard de trois Nantais-es invitant dans leur livre  “Va T’faire vivre” à une rébellion joyeuse des jeunes (et de leurs parents paumés). 

Alors finalement qu’avons-nous a à gagner individuellement à changer de modèle de voyage? (au delà des enjeux  climatiques bien évidemment ). Quels sont les endroits de résistance de notre cerveau alors que les solutions existent ? Et enfin comment pouvons-nous hacker ces résistantes

L’ART DE L’ESSENTIEL

Pour changer de modèle, il est important quand on touche au sujet des vacances que notre cerveau perçoive du plaisir à engager cette nouvelle action. Alors quand je me replonge dans ce périple, j’y revois tous les moments en pagaille qui m’ont laissé un joli souvenir.

« Il y a l’euphorie du départ, mon sac à dos et mes premiers pas. Il y a ces écluses, ces pêcheurs de carpe, ces chalets de villégiature… Il y a ce moment où j’ai été touchée par la gentillesse d’un retraité m’offrant un café et l’instant d’après assaillie par ce sentiment d’impuissance face à ces enfants réfugiés qui dormiront dehors cette nuit sous la fenêtre de ma chambre d’hôtel . Il y a cette odeur d’essence entêtante à l’approche d’une quatre voies et ces odeurs réconfortantes d’un plat de lasagnes et d’une tarte aux fraises. Il y a ces moments de doute où je me demande pourquoi je suis là à marcher au milieu de nulle part et l’instant d’après où tout s’éclaire et que je comprends ce que j’étais venue chercher. Il y a la sueur, le rythme rapide et la performance de ce joggeur du dimanche venant percuter de plein fouet mes fragiles certitudes concernant les bienfaits de la lenteur et du juste effort. Il y a la solitude de ce temps long trop long avec soi même, embourbé dans un sentiment féroce d’ennui et il y a ce plaisir et cette confiance d’arriver à bon port. Il y a l’espérance de voir surgir derrière les fourrés le Mont Saint Michel et celle d’un bon matelas m’attendant chaque soir pour reposer mon corps endolori ».

Rien d’extraordinaire dans tout cela et pourtant les sensations étaient les mêmes qu’un séjour plus exotique. Alors pourquoi plongée au cœur de la nature en n’ayant rien d’autre à faire que d’avancer, d’observer, de se soucier de mon hébergement et de mes repas ce périple m’a apporté autant de satisfaction ? Dans leur livre « Va t’faire vivre », les auteurs suggèrent que dans nos actions à engager :

L’idée n’est justement pas de revenir à l’âge de pierre mais d’entrer dans l’âge de l’essentiel.
Mahault – Justine – Matthieu
Livre « VA T’FAIRE VIVRE »

les resistances

Alors même que cet art de l’essentiel semble à portée de main, pourquoi résistons nous à y entrer?

Les auteur-es du livre proposent de trouver une partie d’explications dans notre cerveau. Celui-ci a été en effet habitué à se nourrir de plaisirs rapides et pour les garantir, il va tout faire pour nous faire fuir les inconforts psychologiques (les inconforts psychologiques étant pour certains déclenchés par les peurs).

Alors quand tu dis à ton cerveau que tu vas faire le trajet pour le Mont Saint Michel à pied en 7 jours, il sait bien lui que d’y aller en voiture, cela prendrait deux petites heures, et qu’en plus cela serait tout confort, sans effort, avec accès direct à tous tes besoins (supermarché, toilettes, ….) . Dans ton cerveau obnubilé par la rapidité  et la facilité  à satisfaire ses besoins immédiatement, il n’a qu’une envie c’est d’arriver au plus vite au Mont Saint Michel pour pouvoir enchaîner ensuite d’autres visites incontournables. Cette option de lenteur n’est donc pour lui pas vraiment la bonne et il va falloir user de subterfuges pour lui faire entrevoir une autre réalité.

A cela s’ajoute son besoin de te maintenir en sécurité. Il va donc passer en revue tous les risques qu’il y a à changer d’habitudes. J’en ai fait un petit échantillon mais je pense que chacun est à même de compléter cette liste 🙂 . La peur des chiens, des vaches et des gens…. La peur de ne pas y arriver. La peur de devoir demander de l’aide si tu te perds ou si tu n’as plus rien à boire ou à manger. La peur d’être à la merci de la météo. Or c’est justement cet inconfort qui permet de s’ouvrir à la chaleur humaine qu’on cherche tant, au rapport à la nature qu’on fantasme tant et la sérénité dont on rêve tant . 

Bref, vous l’aurez compris, les résistances sont nombreuses et aussi variées que nous avons de vécus différents. Alors même que notre cerveau a conscience des choix éthiques qu’il serait bon de prendre, il nous fait préférer des choix courts-termistes (aucun jugement là dedans, je pense qu’une majorité d’entre nous en sommes là) pour nous maintenir en sécurité et nous garantir des plaisirs rapides. Alors commencer à regarder de quoi notre cerveau veut nous protéger est un pas pour pouvoir prendre des décisions plus éclairées. 

HACKER SON CERVEAU

Alors on peut choisir d’attendre que ces nouveaux types de voyage deviennent la normalité et ainsi laisser doucement nos cerveaux s’habituer à cette nouvelle réalité et c’est ok comme cela. On peut aussi participer dès maintenant à cette bascule en prenant conscience comme le proposent dans leur livre les trois Nantais-es qu’

il va falloir nous déconditionner la cervelle pour arriver à trouver du plaisir plus près de chez vous ou alors prendre le temps d’aller loin
Mahault – Justine – Matthieu
Livre « VA T’FAIRE VIVRE »

Se déconditionner la cervelle comme ils le crient si fort, c’est pouvoir offrir à son cerveau un imaginaire sexy de ces périples plus slow. C’est modifier cette image parfois un peu old school qui colle à la peau de ces voyages (même si ça tend petit à petit à changer) pour que demain “ ce carré d’herbe chaude puisse valoir toutes les plages de la méditerranée” comme le décrit Julien Charles dans son livre Compostelle Thérapy. C’est réussir à avoir des étoiles dans les yeux quand tu te projettes à l’idée de partir à pied et à ton retour de n’avoir qu’une seule envie celle de repartir.

Se déconditionner la cervelle, c’est accepter que la lenteur devienne une nouvelle évidence. Le premier conseil que tu reçois quand tu prépares un périple long à pied et probablement le plus précieux, c’est que tu as toute la journée pour faire ces 20 à 25 km. Le plus dur est donc de changer la fréquence de ton cerveau en passant d’un mode « comment je fais pour faire le plus rapidement possibles ces 20 Km » à un mode « comment je m’injecte petit à petit une dose de patience ». Ralentir, ce n’est pas rien faire. Marcher, observer les champs, ressentir les villages, entrer en lien avec les personnes, prendre soin de ses repas, de son corps, de son état d’esprit… ce n’est pas rien faire. Les journées sont bien remplies quand tu prends le temps d’être vraiment là où tu es. Ralentir, c’est commencer à accorder une attention plus forte à toutes les choses qu’on fait sans s’en rendre compte. Ralentir, c’est offrir à son cerveau un espace vide pour qu’il puisse digérer, trier, ranger, classer, tout ce qu’on lui a fait ingurgiter pendant ces mois précédents. C’est s’offrir de la clarté pour savoir où aller sereinement au retour et ça ce n’est pas rien.

Pour finir

Une hypothèse serait donc de revenir à l’art de nos essentiels en regardant droit dans les yeux nos résistances pour ne pas nous laisser embobiner par ces plaisirs faciles qui nous éloignent de nos choix éthiques. Il y aura un peu d’effort à faire au début mais le plaisir de l’exploration, de la découverte, de l’apprentissage pour créer son propre style de voyage remplacera vite les anciens réflexes. 

Alors farfouillons, osons encore plus fort émettre des hypothèses, n’ayons pas peur d’expérimenter et d’emprunter de mauvais chemins, à partir du moment où ils viennent des tripes. Soyons les fiers acteurs de ce type de voyage pour qu’il y ait encore plus de pionniers qui fassent cette bascule tant attendue. Engageons des conversations dans nos équipes, avec nos partenaires… pas directement sur les solutions à mettre en place même si effectivement c’est la finalité mais prenons les chemins de traverse pour oser aller converser autour de nos résistances.

Créons d’autres imaginaires, avec cette belle promesse que :

Demain, sera fait de gens qui aiment prendre le temps d’observer, de réfléchir, de rêver…puis de concrétiser.
Mahault – Justine – Matthieu
Livre « VA T’FAIRE VIVRE »

Ressources :

Va T’Faire Vivre, surmonter le 21ème siècle avec des potes, des bières et des idées – Mahault – Justine – Matthieu – Hachette 2021

Compostelle Therapy – Julien Charles – Larousse 2021

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Experte en approches humaines innovantes, j'accompagne les destinations touristiques à engager leurs équipes sur les sujets qui leur tiennent à cœur. J'utilise la facilitation en intelligence collective pour accompagner ces projets et ces conduites de changement. J'étais, jusqu'en avril 2019, Directrice de l’Office de Tourisme du Pays d’Ancenis -Val de Loire, où j’avais notamment en charge les missions traditionnelles concernant le management d’équipe, les stratégies de communication, l'ingénierie de projet, [...]
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