Transition(s) 2050 : une projection touristique

Publié le 5 janvier 2022
6 min

J’ai publié cet article le 13 décembre dernier et je l’ai complété dans cette version tant le sujet me paraît d’importance. La remarquable et récente publication de l’ADEME pour contribuer à la réduction drastique des gaz à effet de serre, en amont de la Stratégie Française Energie-Climat (SFEC) et avant l’élection présidentielle a eu les honneurs des media ces dernières semaines. Ce formidable travail collectif propose quatre scenarii types qui présentent de manière contrastée des options en matière de développement pour atteindre la neutralité carbone. Le S1 Génération Frugale porte parfaitement son nom, le 4 Pari Réparateur repose sur un optimisme technologique et entre les deux, le S2 Coopérations Territoriales et le S3 Technologies Vertes. Très modestement j’ai tenté une adaptation au secteur du tourisme que je vais vous présenter ici.

C’est dans ce monde de l’inconnu et de l’inquiétude qui happe des terriens, les Européens, jeunes en particulier, qu’il faut situer la complexité de ces travaux de projection et de prospective. Pour avoir participé durant un an à des travaux de prospective au sein du Commissariat Général au Plan, je sais combien il est nécessaire de recourir à des intrants variés pour les mettre sur la place, en écoutant les meilleurs spécialistes, puis en croisant et décroisant les matériaux disponibles. Je ne vais pas vous refaire l’article de l’ADEME, il est bien documenté et disponible. Les spécialistes de l’ADEME le rappellent fort justement « les quatre scénarii sont construits de façon à s’approcher d’une cible de neutralité carbone en 2050. Cette cible n’a de sens pour le climat qu’au niveau de la planète ». Et oui, c’est l’un des problèmes, la disparité des situations et ambitions politiques, démographiques et économiques qui contraignent fortement le succès des actions conduites ici et là. Le tableau de cadrage sur la démographie, le climat et l’économie conçu sur la prospective ADEME pose clairement le sujet pour la France.

L’Ined (Institut National d’Etudes Démographiques) a publié en octobre 2020 un étude titrée « Enjeux et perspectives démographiques ». Fortement documentée, cette somme pointe le poids réel de la France dans la démographie mondiale aujourd’hui et demain, son vieillissement et les migrations. Je vous invite à lire ce document pour bien comprendre que notre situation de rupture tient pour une part à l’explosion démographique : 1 milliard d’habitants en 1800 pour 8 milliards en 2020 et 10 milliards en 2050. Habitants qui se nourrissent, se logent, se chauffent, s’équipent, se déplacent. Cet impact de nous les humains sur les transitions urgentes à conduire est colossal. De même celui que nous avons eu et continuons à avoir concernant le monde vivant que pendant des siècles nous avons considéré comme étant à notre disposition. Maîtres de la vie et de la mort, nous sommes éminemment responsables de ce qui arrive à notre planète.

MES 4 scenarii pour des transitions touristiques en 2050

En matière de tourisme, qui est le sujet qui nous occupe ici, j’ai tenté d’apporter des éléments permettant de se projeter dans chacun des scenarii. A cet effet, j’ai repris la maquette de l’ADEME (merci à ses membres émérites) et consigné des visions tout à fait personnelles. Je propose 5 séquences touristiques (le parcours client, le voyage pour se rendre sur place, l’hébergement, les mobilités sur place, les activités, équipements structurants et gouvernance). Et j’organise des projections selon le schéma des 4 scénarii.

Le premier scénario dit S1, assume une projection assez radicale sur la conversion de notre univers touristique aux enjeux climatiques. Pour le dire clairement, le tourisme est extrêmement contraint. Les déplacements sont comptés, nos modes de vie ont changé. Les 30 glorieuses ont été disséquées et mal digérées, mais nous sommes passés à autre chose constatant combien nous avons exploité le monde en dépit de notre intérêt collectif.

Le scénario dit S4 est celui qui est dans la continuité de notre lancée actuelle. Il repose davantage sur notre culture occidentale. La bible, document de référence au cours de l’histoire occidentale formule ainsi la vision du monde dans la genèse : « Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme. Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre ». On voit bien que la question de la finitude des ressources n’est pas acquise. Elle s’est posé au cours des siècles passés, notamment au moment de la révolution industrielle. Les ressources naturelles sont considérées comme illimitées et donc gratuites pour la majorité des économistes. Pour certains, l’amélioration des technologies (pari réparateur) se traduit par une baisse de la consommation des ressources. Pour d’autres non. Ce sujet fait toujours débat.

Les S2 et S3 sont les plus probables. Je relativise évidemment ce que je viens d’écrire : les plus probables dans leur esprit, par nos facultés d’adaptation. Pas dans les contenus que je propose qui relèvent de ma simple vision personnelle. Mais il me semble que si l’Europe aujourd’hui marque une sensibilité forte, bien plus que d’autres continents et surtout les immenses pays à la démographie puissante que sont la Chine, l’Inde, mais aussi l’Indonésie, le Nigéria et bien d’autres, ou encore la Russie et les Etats-Unis peu enclins à conduire des efforts radicaux, nos scénarii et nos efforts ne serviront à rien. Si le monde a globalisé son économie, il a également globalisé ses impacts. Mais il n’est pas prêt à ce stade à globaliser ses efforts.

CONTRE L’EPIDEMIE DE NARCISSISME

Plus prosaïquement, quand je lis que les grandes plateformes digitales s’engagent dans les métavers je me dis qu’on n’est pas tiré de l’ornière. Et franchement, notre monde du tourisme, serait bien inspiré de regarder cela avec distance. Car si les impacts de ces nouvelles directions sont inconnus, ils seront probablement immenses en termes de consommations électriques et numériques, de production de CO2. Et pire encore de production de repli sur soi, d’isolement accrue. Comme le disait Matthieu Ricard dans Le monde du 1er janvier 2022 : « L’époque vit une épidémie de narcissisme, il faut éviter la contagion ».

Transitions 2050 : projection touristique par François Perroy – 13 décembre 2021

Tout cela repose sur des parti-pris. Il manque notamment l’alimentation et la restauration, mais la place et le temps sont comptés pour produire ce genre de simulation. Vous lirez donc mes pensées et suppositions afin de tendre vers un tourisme meilleur dans tous les sens du terme. En intérêt et en impacts sur le climat et l’environnement. A la toute fin je m’interroge clairement dans le scénario 4 sur la persistance du tourisme. Le voyage d’accomplissement aurait capacité à persister, mais pas le voyage à de strictes fins de consommation. Propos déjà évoqués dans ce blog.

Je vous laisse faire vôtres ces projections, les compléter, les modifier, les jeter si bon vous semble. Dernier point, j’ai récemment lu qu’un touriste japonais était parti dans l’espace pour l’ISS. Freiner les activités touristiques d’ici bas pour développer celles de là-haut ne mérite certainement pas l’exercice auquel je me suis plongé avec intérêt. Libération a publié l’illustration suivante réalisée à partir de calculs de Roland Lehoucq et diffusés dans The Conversation. Un passager spatial pourrait polluer autant que 400 personnes au sol pendant un an ! Bref, la science nous aide, avec ses données du moment, mais ne peut tout sans la conscience. Comment des organisations aux intérêts contraires et dirigeant 10 milliards de Terriens pourraient-elles viser juste pour le bien commun ?

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François Perroy est aujourd’hui cofondateur d'Agitateurs de Destinations Numériques et directeur de l’agence Emotio Tourisme, spécialisée en marketing et en éditorial touristiques. Il a créé et animé de 1999 à 2005 l’agence un Air de Vacances.  Précédemment, il a occupé des fonctions de directeur marketing au sein de l’agence Haute Saison (DDB) et de journaliste en presse professionnelle du tourisme à L’Officiel des Terrains de Camping et pour l'Echo Touristique. Il [...]
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