Makatea, l’île d’un sous-tourisme assumé

Publié le 24 avril 2024
6 min
Février 2024, au milieu du Pacifique, dans l’archipel des Tuamotu. Peuplée par 65 habitants, l’île de Makatea est accessible uniquement par bateau. La question : quel développement touristique pour notre île ?

La Polynésie Française a choisi de s’appuyer sur les Comités du Tourisme (nom local pour les Offices de Tourisme) pour son développement touristique. Les Comités du tourisme sont des associations de bénévoles, regroupant les acteurs locaux. Certains sont situés dans des îles à forte activité touristique (Bora-Bora, Moorea) et d’autres dans des îles où l’activité touristique est embryonnaire, et où il peut y avoir des possibilités de développement afin de mieux répartir les flux touristiques.

J’ai eu la chance d’accompagner l’équipe de Tahiti Tourisme en charge de l’animation des Comités du Tourisme sur l’île de Makatea, un exemple d’île où le tourisme existe, mais de façon ténue. Après une semaine d’immersion sur place, je reviens avec autant de questions que de certitudes sur le niveau de développement souhaitable.

Une île jardin d’Eden

Makatea est accessible uniquement en bateau, depuis Rangiroa, dont elle est commune déléguée. Il faut 5 heures avec la navette communale ou 3 heures en bateau de pêche rapide (les poti marara) pour joindre les deux atolls distants de 150 km. Les collégiens de Makatea ne rentrent donc à la maison avec la navette communale que pour les vacances scolaires.

Cet éloignement limite par définition la fréquentation touristique de l’île : trajet cher, long, sur un océan pacifique qui ne l’est pas vraiment… Sur Makatea, deux pensions accueillent les visiteurs, et il peut donc y avoir. en même temps une cinquantaine de touristes en séjour, plus plusieurs catamarans qui mouillent près du port. Soit autant de touristes que d’habitants.

La particularité de Makatea est d’être un atoll surélevé. Un phénomène géologique qui a fait émerger l’île de 100 mètres au dessus du niveau de la mer. Makatea est donc aujourd’hui une montagne de corail, et de phosphate. En effet, le sol regorge de cette roche sédimentaire qui rentre dans la composition des engrais. L’île a été d’ailleurs exploitée pendant 60 ans, et 110 millions de tonnes ont été extraites. En 1966, les 3500 ouvriers sont partis quand l’activité s’est soudainement arrêtée, laissant des bâtiments vides et des milliers de trous dans les roches. Heureusement, 60 ans après, la nature a repris ses droits : il subsiste des trous, des ruines revégétalisées et une histoire passionnante.

Mais le phosphate est toujours là, et il suffit de jeter un citron dans un trou pour que deux ans après, une abondante récolte vous récompense. L’île est donc totalement autonome en fruits et légumes. Avec un océan qui regorge de thons, carangues, chinchards et autres succulents poissons, le terme « jardin d’eden » n’est pas usurpé.

Une vraie réalité touristique, même embryonnaire

Deux pensions de famille existent donc sur l’île, plus une activité d’escalade, la seule en Polynésie. Des guides accueillent les passagers des catamarans pour une visite guidée de l’île. Une table d’hôte existe, ainsi que quelques ateliers artisanaux. Il y a donc bien une activité touristique, et les quelques prestataires sont fort dynamiques, proposant des packages incluant le transfert en navette communale pour les vacances scolaires depuis l’île voisine de Rangiroa. La clientèle locale est au rendez-vous sur chaque séjour proposé.

Aussi, lorsqu’avec l’équipe de Tahiti Tourisme, nous organisons la première réunion publique (ici pas besoin de doodle, et de prévision d’agenda à deux mois, il suffit d’envoyer quelques SMS pour prévoir une réunion le jour même!), on se prend de suite à rêver de développement touristique : avec ces richesses agricoles et naturelles, ses vestiges industriels, son site d’escalade, ses grottes où l’on peut se baigner, Makatea regorge de richesses exploitables. Et cette envie semble partagée par les participants.

La via ferrata au dessus de la plaine côtière

Mais vive l’immersion longue !

Si, avec l’équipe de Tahiti Tourisme, nous avions passé seulement deux jours sur l’île, nous serions repartis avec ce sentiment d’une envie collective des habitants de Makatea de développer le tourisme. Quoi de plus logique lorsque le potentiel est aussi généreux?

Mais nous avions choisi de rester 6 jours sur place, pour des questions de transport maritime, mais également pour mieux comprendre l’écosystème. Et entre, les conversations avec les habitants, les visites et les rencontres, nous avons en effet appris à mieux connaître Makatea et ses 65 habitants. Assez pour comprendre qu’à coté d’une envie de développement touristique, existe un souhait intense de préserver un mode de vie paisible et hyper qualitatif.

Papote de fin de journée…

Une liberté de travailler

Car nous avons vite vu qu’à Makatea, le lien vie/travail ne correspond pas du tout à nos standards. A part les quelques fonctionnaires, personne n’est vraiment salarié. Tout le monde travaille lorsqu’il en a besoin. Ce qui n’est pas difficile : on peut aller pêcher et revendre le poisson. L’exploitation du coprah (la pulpe de coco) est libre sur toute l’île, et la vente en est assurée : la goélette qui assure mensuellement le ravitaillement de Makatea récupère les sacs de coprah et le prix de vente est connu à l’avance. La même goélette pourra embarquer les caisses des fameux citrons locaux, ou quelques « caveus ». Le « caveu » est un crabe de cocotier, terrestre donc, qui a une belle couleur bleue et dont la chair est appréciée des restaurants de Tuamotu et de Papeete. Les habitants chassent tous le caveu, et peuvent compter sur ce revenu.

Comme les occasions de dépense sont limités sur l’île (juste deux petits magasins), les habitants ont surtout besoin de régler l’électricité et l’équilibre travail/revenu/temps de vivre est essentiel. Travailler oui, mais pourquoi faire plus si on a assez pour vivre ?

En témoigne cette rencontre avec Mata et Ruben, deux trentenaires qui se sont lancés dans le tourisme : lui guide et elle ateliers de bijoux et tables d’hôtes. Certes, ils aspirent à voir du monde sur l’île pour pouvoir travailler, mais jusqu’à une certaine mesure. Mata « je n’ai pas envie de faire le maha (repas) tous les jours pour des visiteurs, afin de ne pas me lasser ». Ruben « je veux pouvoir aller à la pêche le matin, ou à la chasse au crabe, et ne pas me bloquer sur un travail trop régulier ».

Alors, on développe ?

Après cette petite semaine sur Makatea, j’ai une seule certitude : le temps d’immersion doit être long, si on veut mieux comprendre un écosystème. Quant au développement touristique ? Cette île a un super potentiel. Du développement d’activités pemettrait de la repeupler, de maintenir l’école primaire (9 élèves actuellement), et d’apporter des revenus complémentaires aux habitants, c’est évident.

La « chance » de Makatea tient finalement à deux phénomènes : les difficultés d’accès, qui limite le nombre de touristes. Et le système de propriété foncière (toutes les terres quasiment, sont en indivision) qui empêche des investissements externes. Ce sera donc aux habitants et à leur famille (souvent installée à Papeete) de décider du rythme de développement.

Mais jusqu’où? comment maintenir ce rythme et cette qualité de vie? Comment préserver les ressources existantes tout en ouvrant cette richesse au plus grand nombre ? En clair, comment faire du développement touristique durable ?

Avant de partir, comme tous les clients de la pension Makatea, nous avons planté des arbres le long de la voie principale; ainsi, dans quelques années, le visiteur ou l’habitant qui traversera l’île pourra ramasser une mangue ou un corrossol et profiter de cette terre nourricière… C’est peut-être ça le plus important…

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Jean Luc Boulin est consultant en tourisme : Intervention auprès des élus et des prestataires touristiques, coaching, accompagnement des équipes et des directions sont ses principaux champs d'intervention. Avec deux exigences : se mettre à la place du client et oser l'innovation. Directeur de l’office de tourisme de l’Entre-deux-Mers (Gironde) et du pays d’accueil touristique du même nom pendant plus de dix ans, Jean Luc Boulin a dirigé la MONA [...]
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