Le regard de Pierre Bellerose sur le tourisme de demain

Publié le 15 septembre 2021
6 min

Mon ami Pierre Bellerose porte quelques chapeaux. Il a récemment retiré celui qui lui venait de Tourisme Montréal où il a occupé diverses fonctions liées à l’accueil, la recherche, l’innovation et le développement culturel durant près de 30 ans. Il revêt aujourd’hui ceux de consultant en gestion, développement des affaires et stratégie ainsi que de président de l’incubateur MT Lab. Il est également un des acteurs de la fondation des Francophonies de l’innovation touristique. Autres chapeaux qu’il porte à merveille : celui d’un amoureux de Montréal et du Québec, d’un pilier rassembleur de l’industrie touristique, d’un G.O. de soirées mémorables et d’un passionné d’art et d’histoire.

Je suis allée à la pêche de sa vision du tourisme de demain, de comment le tourisme se remettra et se transformera à travers cette pandémie qui affecte notre industrie comme rien ne l’avait fait depuis… depuis quand? Difficile à dire, mais au moins depuis la 2e guerre mondiale.

Bien qu’aucun secteur de l’industrie touristique n’ait été épargné, le tourisme urbain a été particulièrement touché. Il repose sur quatre principaux piliers qui ont été littéralement mis en pause pendant les 18 premiers mois de la pandémie, soit les voyages internationaux, le tourisme d’affaires, les événements culturels et, pour plusieurs villes comme Montréal, New York ou Berlin, le nightlife.

Fin des propos déprimants. Pierre est positif de nature: l’écosystème touristique est encore apte à répondre à la reprise des activités, grâce notamment à la résilience de ses acteurs et au soutien financier public qui a permis de limiter les dégâts. Certains y ont laissé des plumes ou ont dû fermer boutique, principalement des plus petits joueurs comme des restaurateurs ou des fournisseurs de congrès, mais nombreux sont ceux qui tiennent toujours le phare.

Pierre connaît bien l’exercice de proposer des tendances touristiques puisqu’il a fait l’exercice pendant sept années avec son ami Paul Arseneault. À ma demande, il se commet de nouveau ici. Voici quelques tendances entrevues par Pierre pour les 36 prochains mois.

Le retour des intermédiaires

Les agents de voyages – personnels et corporatifs – retrouveront un rôle qui était remis en question au cours des dernières années. Voyager s’avère plus compliqué qu’hier : les modalités nouvelles et changeantes, la question des assurances, le besoin de réassurance. Dans l’incertitude actuelle, et qui perdurera encore un bon moment, plusieurs (consommateurs et entreprises) souhaiteront être assistés dans ce dédale où chaque pays a ses règles en constante évolution. Les intermédiaires reprendront de l’ascendant et les OGD devront les considérer davantage.

De meilleures pratiques environnementales

On en parle depuis longtemps, on agit un peu plus, mais on n’est pas au bout de nos peines. Pierre me donne de l’espoir en parlant de la nouvelle pression que mettront les grandes compagnies d’assurances ou encore des compagnies boursières sur l’adoption de pratiques environnementales. Les changements climatiques génèrent des catastrophes qui leur coûtent cher. Leur intérêt est donc plus pécuniaire qu’autre chose, mais qu’à cela ne tienne si leur influence amène des changements positifs. Leurs voix se joindront ainsi à celles des consommateurs.

Le télétravail mondialisé

En plus du phénomène accentué des jeunes travailleurs nomades numériques, une grande partie de la population sera en télétravail partiel ou complet, du moins pour les prochains 24 à 36 mois. Ce mode de fonctionnement aura certainement un impact sur les voyages puisqu’il permet de travailler d’un peu n’importe où. Si l’on parle d’un moins grand nombre de voyages, il est fort probable qu’on observe une prolongation des séjours. Mon esprit imagine déjà des scénarios de travail ailleurs dans le monde… pas vous?

Sécurité et accessibilité : facteurs de choix des destinations

On se demande quelles destinations sortiront gagnantes de cette pandémie. Pierre Bellerose y répond par deux éléments principaux. D’abord, la sécurité. Cette sécurité est sanitaire, mais aussi physique dans le contexte de l’augmentation de l’insécurité dans plusieurs pays et des bouleversements écologiques. Notons aussi que des mesures sanitaires en place dans certaines destinations et affectant le niveau d’activité touristique pourraient aussi influencer le choix des destinations.

Ensuite, il ne faut pas négliger la question de la disponibilité des vols aériens. Les compagnies aériennes reprendront leurs activités en se basant sur leurs valeurs sûres, leurs liaisons classiques. Et nos voyages aussi! L’élargissement de l’éventail de nouvelles destinations, tel qu’il était avant la crise, reviendra plus tard (par exemple, le vol Montréal-Tokyo).

Source: Unsplash

L’innovation en réponse à l’incertitude et à la pénurie de main-d’œuvre

Pierre fait le constat que nous devrons nous faire à l’idée que l’ombre de cette pandémie nous poursuivra encore longtemps… avec l’incertitude qui l’accompagnera.

Ce monde d’incertitude est plus que jamais propice à la gestion du changement et à l’innovation. Cela est encore plus vrai pour la question des ressources humaines.

Le manque d’employés en tourisme (et dans de nombreuses autres industries) est tel au Québec que plusieurs entreprises touristiques ferment ou n’ouvrent que quelques jours par semaine. Cet enjeu est sur toutes les lèvres et encore plus marqué dans les régions qu’à Montréal qui comptera sur davantage d’étudiants internationaux et d’immigration. C’est un enjeu qui semble aussi très important en France et dans plusieurs pays occidentaux. Les enjeux démographiques et l’impact de la Covid affecteront de manière durable notre gestion des RH.

Pierre fait observer que cette situation amènera davantage de services à la carte (par exemple, l’entretien ménager quotidien d’hôtel pourrait devenir une option payante). Il insiste surtout sur la place accrue que jouera l’innovation et la technologie pour retrouver un équilibre. Si les contacts humains demeurent essentiels, d’autres fonctions opérationnelles ou transactionnelles d’arrière-plan seront automatisées. Il s’agit d’un virage majeur à prendre qui nécessitera une bonne gestion du changement.

Le tourisme d’affaires plus concurrentiel que jamais

Il s’agit d’un univers en pleine transformation qui pourrait être décortiqué plus en détail, évidemment. Par exemple, les touristes d’affaires choisiront, au début de la reprise, d’assister à un seul congrès plutôt que deux ou trois. Leurs choix seront motivés notamment par les contenus pertinents, mais aussi par la destination: attrayante, accessible et sécuritaire. Les offices de tourisme urbains se livreront une rude bataille au cours des trois prochaines années pour attirer des événements d’affaires, à coups d’indicatifs financiers et d’actions de commercialisation.

Pierre Bellerose propose une séquence de reprise des activités du tourisme d’affaires. Cette reprise s’effectue dans un contexte où les intermédiaires jouent un rôle plus important, tel que mentionné précédemment, et la vitesse varie d’une destination à l’autre. En premier lieu, les déplacements individuels reprennent timidement, mais sûrement depuis quelques mois. Les prochains en liste sont les rencontres corporatives ou associatives de petits groupes. Par la suite, reprendra progressivement la tenue de congrès. Le dernier segment à se remettre en piste sera celui des voyages de motivations.

Source: Pexels

Autres méditations « bellerosiennes »

  • Pierre croit que cette crise, qui fut – et est encore – difficile sur le plan psychologique, contribuera à la poursuite de la croissance du tourisme de bien-être et spirituel. Entrevoyez-vous d’autres impacts touristiques de la fragilité et la détresse en croissance des individus?
  • Voyages internationaux ou domestiques à l’hiver prochain? Si les destinations soleil se révèlent accessibles et sécuritaires, nous verrons une recrudescence de l’intérêt pour les forfaits tout inclus. Rassurés et accompagnés par un agent de voyage, nous pourrions bien pencher vers ces forfaits, encore plus structurés qu’avant.
  • Les géants du Web, ou GAFA, soulèvent toujours plus de débats sur les valeurs éthiques et la confidentialité des données personnelles. Les gouvernements en ajoutent une couche avec diverses nouvelles mesures de contrôle liées à notre santé. Pierre Bellerose perçoit une grande inquiétude au sein de l’industrie canadienne, quant à notre traçabilité numérique. C’est un grand enjeu des prochaines années. Quel est l’état d’esprit outre-Atlantique?

Voilà un chouette tour d’horizon qui porte à réflexion, n’est-ce pas? Alors regardons vers l’avant et jouons les cartes de l’innovation et de la collaboration parce que « nous passerons au travers? », dit-il.

Je vous invite à poursuivre la conversation avec nous ici, ou encore mieux, en personne avec Pierre qui sera présent aux Rencontres Nationales du etourisme à Pau dans moins d’un mois.

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