Être mobile, êtres mobiles

Publié le 13 septembre 2023
18 min

Suite de la série d’articles consacrés aux mobilités avec Caroline Le Roy et Cédric Chabry

Sur l’identité touristique de la France

Il semble que la France recèle un certain nombre de caractéristiques qui lui sont propres, à commencer par son histoire millénaire ou sa position centrale sur le continent européen qui lui confère une géographie singulière, celle d’un espace de passage entre régions européennes septentrionales et méridionales, depuis l’époque de Jules César jusqu’aux flux touristiques contemporains. « Par-delà les frontières, le rôle pesant de l’Europe, qui nous presse, sculpte notre destin comme le sculpteur modèle, de son pouce, le bloc de glaise où il ébauche son œuvre. L’Europe est chez nous, comme le monde est chez nous » (Braudel, 1986). Pour autant, la France ressemble-t-elle au schéma qu’imaginait Fernand Braudel, une « France prise dans l’économie du vaste monde, représentée par une circonférence. Au centre, Paris, ce qui lui donne assurément du point de la géométrie un centre extravagant. Sur la circonférence, les grandes ports (Marseille, Bordeaux La Rochelle, Nantes, Saint-Malo, Rouen, Dunkerque) plus, au milieu des terres, des villes frontières (Lille, Strasbourg et surtout Lyon). Toutes ces villes sont attirées vers le dehors, à moitié attachées au-dedans de la France. Un tel schéma s’inscrit en faux par rapport aux schémas des économies-mondes, où les périphéries sont sous le signe du retard, de la pauvreté, de l’exploitation. Grâce à la périphérie, il y a soudure entre le national et l’international . La soudure entre le national et l’international existe bel et bien, comme l’imaginait Fernand Braudel, historien spécialiste de l’étagement des temporalités et de la longue durée. Plutôt que d’affirmer aujourd’hui que seules ses périphéries constituent cette jonction avec les régions étrangères, il apparaît que le territoire français a profondément changé en quelques décennies, une évolution rapide et radicale. La France s’est ouverte au monde, son économie s’est globalisée, nombre de ses entreprises sont devenues multinationales soit en investissant des marchés autres que le leur, soit en étant rachetées partiellement ou totalement par des entreprises étrangères.

Notre civilisation est celle de l’hypermobilité, les hommes si longtemps sédentaires ont retrouvé grâce notamment aux innovations technologiques et aux évolutions sociales le goût de la mobilité, une certaine forme de nomadisme, en lui confiant une place centrale dans leurs vies, un statut particulier dans leurs organisations, un rôle essentiel dans leurs stratégies sociales ou professionnelles. Cette mobilité, cette capacité à la liberté, cette inversion de l’histoire des peuplements fondée sur « une culture multiséculaire de la conquête » ont forgé une culture nouvelle, une approche globale du monde qui jamais n’a semblé si proche, si accessible, si consommable. La mobilité relie les hommes « là où les sociétés sédentaires se liaient entre elles par des croyances et des rituels partagés » selon Jean Viard. Le « transfert de sédentarité », produit en réalité des formes subtiles de mobilité. La plage fait effectivement partie des lieux privilégiés du repos qui prend ici facilement la figure de la sieste, temps et lieu d’une immobilité éphémère au moment où l’hypermobilité infuse le quotidien des élites mais pas uniquement.

La France est diverse, tant par sa population que par son paysage. « Cette diversité à nulle autre pareille » dont Braudel vantait la diversité en écrivant cependant que « les Français (en) font volontiers une caractéristique majeure de leur pays, mais qu’ils ont peut-être tort de juger sans égale à travers le monde », a constitué et constitue toujours l’un des pouvoirs d’attraction – voire de séduction – séculaire du pays d’abord auprès de ses voisins européens immédiats et a contribué à façonner une part de son identité particulière, celle qui fait de cette France depuis l’Antiquité un carrefour européen et depuis cinquante ans environ une destination touristique à vocation mondiale.

Brève esquisse des sociétés mobiles

Lorsque la première série de cartes Michelin au 1/200.000ème paraît en 1913, la France compte 39,5 millions d’habitants. La majorité d’entre eux, près de 55%, vivent encore dans un monde rural que la Révolution industrielle engagée un siècle auparavant bouleverse profondément. Le chemin de fer, l’un des emblèmes de la 3ème République, est entré dans chaque village ou presque. Les Français découvrent au rythme de la vapeur la mobilité. Une nouvelle manière de se déplacer s’impose à eux : prendre le train pour joindre le chef-lieu de département, pour visiter le dimanche la famille ou pour changer de vie et s’installer nombreux dans des bourgs et des villes qui prospèrent. Ces nouveaux espaces de vie sont de taille encore modeste, le plus souvent des ensembles de 500 à 5.000 habitants. Les grandes villes atteignent des seuils de population record, Paris compte alors plus de 2,8 millions d’habitants, Marseille et Lyon plus de 500.000. Avoir été mobile a signifié toute autre chose pendant des centaines d’années, voire des millénaires. Les habitants des massifs montagneux se rendaient au fond de leurs vallées pour vendre les produits de leurs récoltes, échanger des nouvelles, acheter du bétail et des denrées de premières nécessités. Certains d’entre eux avaient parfois connu d’autres paysages, souvent à l’occasion de campagnes militaires auxquelles ils ne pouvaient guère échapper. Les pèlerinages et les croisades, les récits des grandes découvertes et des conquêtes coloniales avaient par le passé développé pour quelques-uns un appétit de l’ailleurs, d’un monde lointain que beaucoup continuaient à ignorer quelques années auparavant.

Les premières cartes Michelin

Et voilà que des cartes routières sortent en série pour accompagner les voyageurs qui empruntent les routes, dorment dans les auberges et font vrombir les moteurs de leurs voitures de tourisme que la poussière ne tarde pas à recouvrir. Quelques milliers de véhicules (on parle d’une production de 45.000 véhicules en 1913) parcourent désormais le pays que commencent à jalonner des bornes et une signalisation particulière indiquant les villes et les villages, la distance à parcourir pour s’y rendre. Un nouveau décor apparaît, celui d’une France mobile, d’un pays qui fait découvrir peu à peu ses richesses naturelles et historiques à ses premiers visiteurs « ambulants ». Des pompes sont installées le long des routes pour remplir les réservoirs des bolides qui filent parfois à plus de 100 km/h. Cette France mobile se penche bientôt sur la notion de patrimoines, lorsque durant la nuit du réveillon de 1913, les députés adoptent la loi de protection des monuments historiques qui ouvre, au moins d’un point de vue législatif, la grande passion française du XXe siècle pour le patrimoine. La loi relative aux monuments historiques est promulguée le 31 décembre 1913 par Raymond Poincaré, président de la République. Bien sûr, la Grande Guerre brise net cet élan, les longs mois – presque interminables – de sacrifices dans les tranchées prises par la boue, infestées de cafards et de rats, puant la mort qui rôde, bombardées par les forces ennemies, allemandes, les « boches », les « chleuhs » qui jamais ne réussiront à franchir les portes de Paris. Et pourtant, cette guerre, marquée par l’immobilité terrestre, l’enfoncement dans la terre, marque le début d’une nouvelle ère. Les combattants viennent du monde entier se battre et souvent mourir sur les terres du nord de la France. Ils viennent par milliers, bientôt par millions d’Europe bien sûr, des Empires coloniaux, puis d’Amérique ou d’Océanie. La Guerre mondiale porte bien son nom.

Au lendemain de l’Armistice, pendant que « les souvenirs se lèvent sous chaque pas » posé sur la terre (Genevoix, 1949), pendant que l’Europe découvre les Années folles, un besoin de consommer voit le jour. On consomme de tout, partout, avec frénésie. La distance moyenne parcourue par un voyageur sur le PLM en région lyonnaise passe de 48 km en 1901 à 58 km en 1925, le nombre d’adhérents au Club Alpin Français dans sa section lyonnaise de 900 en 1906 à près de 2900 en 1926, ceux de la section locale du Touring Club de France de 2.600 à plus de 5.700 durant la même période (Fontaines, 2000). La loi du 24 septembre 1919 élargit les compétences de l’Office national du tourisme. Le premier Bureau du tourisme français voit le jour à Londres en 1920, ainsi qu’un bureau d’information touristique « Maison de la France » situé aux Champs-Elysées, à Paris. C’est durant la décennie des « années folles » que la France devient la première destination touristique mondiale et que l’Etat prend conscience de l’intérêt de développer l’activité touristique. Pendant la période d’entre-deux-guerres, sont créés notamment le crédit hôtelier qui permet le développement des hébergements touristiques et la taxe de séjour dans les villes touristiques. Le pays est en pleine mue. Le XXème siècle entraine l’humanité à pas de géant : la richesse produite sera multipliée par dix, la durée de la vie augmentera de 40% – tout au moins dans les pays développés, les kilomètres parcourus seront presque décuplés. C’est le temps de l’avènement des « sociétés mobiles » comme l’écrit Jean Viard.

La notion contemporaine de mobilité

La définition de la mobilité n’est pas uniforme. La mobilité est d’abord synonyme des mobilités, tant les comportements humains peuvent se distinguer. Elle peut être définie par le nombre moyen de déplacements effectués par une personne ou par ménage. Elle peut désigner également l’ensemble des déplacements réalisés au cours de la journée. Elle se distingue alors du simple déplacement comme de la seule circulation motorisée. Elle peut signifier aussi en termes économiques la réalisation optimisée d’un programme d’activités, quotidiennes ou irrégulières. Elle est caractérisée par une durée (temps), une distance (espace), une fréquence (habitude). Que son approche soit statistique ou économique, que sa description soit spatiale ou modale, la mobilité repose d’abord sur cette notion essentielle du mouvement, de ce qui peut être mû, dont on peut changer la place ou la position. C’est d’ailleurs le sens de son origine latine, « mobilis », dérivée de « movere » (« mouvoir »). Le substantif et l’adjectif apparaissent dans la langue française au XIVème siècle, on l’associe à ce qu’on assemble et qu’on peut ensuite désassembler. Le mot accompagne ensuite les découvertes scientifiques et les révolutions philosophiques. Diderot écrit en 1767 que « la mobilité convient à l’atome et le repos au monde ». Le mouvement (scientifique, philosophique ou littéraire) préfigure des mouvements politiques ou religieux, des contestations contre les régimes et les équilibres établis. La mobilité ne signifie-t-elle pas « se déplacer facilement » ou « qui n’est pas fixe, qui se déplace souvent » mais aussi « dont l’apparence change sans cesse » ou « ce qui fournit une impulsion » ? Mobile est un élément qui détermine un ensemble de mots techniques, passés dans la langue courante. Hippomobile, locomobile, automobile. La mobilité est elle-même devenue un mobile, le mobile de la mobilité, le motif de la liberté absolue. Pour preuve, les téléphones sont mobiles, parce que non reliés à une machine ou infrastructure, les communications peuvent être passées du toit du monde – ou presque. Quelle avancée pour l’homme ! L’immobilité n’est que rarement évoquée. L’immobilité est un facteur d’exclusion, souvent inversement proportionnelle à la taille des villes (22% d’immobilité à la campagne, 17% dans les plus petites villes, 9% dans l’agglomération parisienne), et fortement liée au cycle de vie (plus de la moitié des personnes de 80 ans et plus sont immobiles).

Un dernier élément mérite d’être souligné. La Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) – déjà mentionnée – affirme dans son article 13 le principe de liberté de circulation des personnes, qui s’avère être un droit vital pour notre civilisation, équivalent à la circulation sanguine ou à la circulation de l’influx nerveux entre neurones pour un être vivant. L’homme libre se définit par le fait qu’il a le droit d’aller où il le souhaite, pour y faire ce qu’il souhaite. Ce droit fondamental se heurte à l’exercice d’autres droits. Le droit à la mobilité implique par exemple la construction d’infrastructures, qui nécessite la prise en compte du droit à la propriété ; le juge de l’expropriation intervient alors pour dire la balance entre les droits. Le droit de la planète à un équilibre écologique est également un droit fondamental. La mobilité apparait donc comme un droit fondamental dans un environnement contraint.

La Déclaration universelle 1948

La mobilité, un paradigme mobile

Les hommes sont donc mobiles. La mobilité est bien le caractère de ce qui peut être déplacé ou de ce qui se déplace par rapport à un lieu, à une position. Dès 1921, Paul Vidal de la Blache note que « l’homme a pu circuler à peu près partout sur le globe. Mais par grandes masses, cela n’est possible que là où il dispose de puissants moyens de transport. » On parle également de mobilité pour caractériser une impression de vivacité, une aptitude à passer rapidement d’un état à un autre. La philosophie prône, depuis Héraclite, le « mobilisme », le caractère de ce qui varie, de ce qui est en mouvement. Pour Bergson, « l’existence est mouvement ou plus généralement, changement ». La mobilité caractérise donc la vie. L’usage du mot a d’ailleurs évolué au cours des siècles, depuis son origine latine, « mobilitas », « mobilité, facilité à se mouvoir; inconstance, humeur changeante », jusqu’à son usage social, par Pitrim Sorokin, en 1927, avec son ouvrage fondateur « Social mobility ».

Quelques critères macro et microéconomiques fondamentaux influent sur le niveau de mobilité dans le monde, et plus particulièrement sur la mobilité urbaine. Le niveau de développement économique en est le premier. La mobilité évolue rapidement lorsque le revenu par habitant croît pour dépasser 10.000 $ par an. L’accès à la civilisation contemporaine et à l’indépendance économique reposent souvent sur la capacité que les hommes ont à pouvoir organiser, choisir et multiplier leurs déplacements. La démographie et la sociologie des individus en est le deuxième. Une différence notable entre hommes et femmes est observée dans les villes des pays émergents, les femmes s’y déplaçant moins, souvent pour des raisons économiques, mais aussi sociales (niveaux d’éducation) ou culturelles (statut de la femme). La troisième condition dépend de l’offre et du coût du transport. La place de la voiture apparaît dès lors comme centrale, ou primordiale, et l’un des enjeux repose sur l’alternative à l’automobile. Le dernier critère influant est défini par les facteurs culturels et urbains, facteurs pouvant dépendre de la forme et de la structure urbaine, du développement des loisirs ou des difficultés à se déplacer (histoire du territoire urbain, contraintes topographiques ou géologiques, modes successives de l’urbanisme, phénomène de métropolisation des villes, système de transport, définition d’une stratégie de déplacements à long terme). La mobilité se distingue également des mouvements collectifs, réguliers ou épisodiques. On parle alors de « migrations alternantes » ou de « mouvements pendulaires ».

trois types de mobilites

Dans les travaux menés depuis de nombreuses années, trois types principaux de mobilités humaines sont communément distingués : mobilité quotidienne, mobilité exceptionnelle et mobilité résidentielle.

La mobilité « quotidienne » caractérise l’ensemble des déplacements effectués dans le cadre de la vie « normale » (pour ne pas dire banale ou répétitive) des citoyens. Les déplacements domicile – travail dominent encore aujourd’hui cette mobilité quotidienne, mais on peut aussi la caractériser par l’ensemble des déplacements réguliers. C’est cette mobilité quotidienne qui illustre les fréquents allers-retours entre le domicile et les différents lieux de vie ou de socialisation (école, lycée, université, centre sportif, stade, musée, cinéma, conservatoire, etc.). C’est elle également qui pousse le consommateur mobile et fier de l’être, en soirée – souvent le jeudi, pour cause d’ouverture nocturne jusqu’à 22 heures – ou le week-end, vers les centres commerciaux des périphéries urbaines où un horizon de dizaines de caisses et les marges-arrières de la grande distribution l’attendent. La mobilité dépend donc de pratiques plus individualisées dans les rythmes et de l’utilisation de l’ensemble des modes de transport. Les évolutions du temps de travail ont eu d’ailleurs comme principales incidences, en France, sur les consommations de mobilité quotidienne un étalement tout au long de la journée (le sacro-saint créneau 8h-18h étant devenu obsolète pour analyser simplement les mobilités), une variété des échanges entre les territoires (les frontières de l’urbain, du périurbain et du rural sont moins tangibles qu’autrefois, elles deviennent plus minces et subtiles, et ne font plus obstacle aux déplacements des populations) et une diversification des motifs, des modes et des distances parcourues (voiture personnelle, voiture de location, auto-partage, tramway, bus, car, vélo, vélo en location, etc.).

Le rond point : métaphore de nos mobilités

La mobilité « exceptionnelle » (plus longues distances, plusieurs jours) caractérise notamment les déplacements occasionnels, rares, précieux. Ce sont les déplacements de plusieurs jours, voire plusieurs semaines, héritiers des voyages qui prenaient, jadis, le temps d’une vie. Elle sort du cadre quotidien de vie. Cette mobilité n’est pas régulière ou si elle l’est, sa fréquence n’excède pas le trimestre, le semestre, l’année, voire davantage. Son caractère occasionnel en souligne la rareté (en terme économique, la rareté d’un bien ou d’un service est rencontrée lorsque la disponibilité des ressources est limitée, son prix en fixe naturellement le déséquilibre entre l’offre et la demande). La mobilité exceptionnelle relève plutôt de voyages longs mais sûrs à travers le monde, affranchis des distances et fuseaux horaires, lors des saisons touristiques. Elle caractérise bien évidemment les déplacements liés au tourisme. Sa limite première et évidente est financière. Mais d’autres sont raisonnablement envisageables, notamment du point de vue énergétique ou géopolitique. 

La mobilité « résidentielle » (changement de logement) est extrêmement rare (bien plus encore que la précédente), puisqu’elle signifie un changement parfois définitif d’habitation, une migration vers un nouveau bassin d’emplois, un déplacement dû à une situation nouvelle familiale ou sociale. Elle caractérise une rupture ou évolution dans la vie même des individus, sauf pour quelques-uns, mobiles par vocation ou choix de vie, que la moindre sédentarité effraie, la stabilité étant pour eux presque synonyme « d’une petite mort ».  

L’intermodalité touristique dans les territoires

L’intermodalité correspond à la coordination des modes de transports sur un territoire afin d’accroitre leur performance globale et faciliter leur utilisation. L’intermodalité correspond à l’utilisation successive de plusieurs modes de transport pour un même déplacement, la multimodalité à la possibilité d’utiliser alternativement plusieurs modes de transport sur une même liaison. On appelle parfois cette dernière intermodalité alternative, fondée principalement sur le choix du consommateur. L’une des complexités de l’intermodalité consiste à relier des réseaux différents entre eux et harmoniser les pratiques d’autorité organisatrices indépendantes, animées de logiques parfois contradictoires, les politiques tarifaires voire les éléments liés aux titres de transport. Près de la moitié des clientèles ferroviaires françaises quotidiennes utilisent d’autres réseaux de transports collectifs, notamment urbains, durant leurs déplacements. Il n’existe pas raison que le consommateur occasionnel, touriste français ou étranger, ne puisse pas bénéficier d’une telle possibilité. Ce concept d’intermodalité touristique doit être compris comme une adaptation aux exigences circulatoires de l’hyper modernité. La mobilité dans la société hyper moderne « se débride, s’éparpille, la mobilité revendique, la mobilité décloisonne » et « les récurrences d’hier laissent place à une mobilité zigzagante, labile ». La société hypermoderne est sur-mobile (ou hypermobile), à l’image de la mondialisation des échanges et des systèmes de production. Ses exigences circulatoires ne se limitent pas au local, elles demandent un branchement immatériel et physique à l’Europe et au monde.

La question d’interconnexion n’est pas nouvelle, puisqu’elle remonte à l’époque de Tcheng, premier empereur de Chine au IIIème siècle avant J.-C. L’empereur, féru de cosmogonie, souhaita en effet procéder à une normalisation administrative autour du chiffre 6. Les moyeux et attelages des chariots furent prévus pour six chevaux, standardisant de facto l’écartement des ornières sur les chemins de tout l’empire, facilitant ainsi les flux transfrontaliers, les échanges entre régions. La connectivité a été inventée au Moyen-Âge par les pèlerins en route vers Saint-Jacques-de-Compostelle, qui modifient leurs itinéraires en fonction de l’état et de la sécurité des chemins. De manière plus formalisée, elle émerge des réflexions d’Abraham Chappe, inventeur avec ses frères du sémaphore optique, qui dans un mémoire de 1829 suggère de créer une ligne Bordeaux-Avignon pour transmettre non plus seulement en ligne directe mais en passant par le Sud-Ouest des dépêches entre Paris et Toulon (cette liaison est alors surchargée et, parfois, coupée par les brouillards). L’idée de circuit alternatif, donc de réseau, est formalisée.

Le réseau touristique en France ne peut pas être différent des réseaux préexistants. Il doit optimiser dans la mesure du possible l’offre de mobilités sur l’ensemble des territoires et veiller essentiellement à éviter les discontinuités, à la fois spatiales ou temporelles. Le réseau est un treillis, permettent de multiples parcours pour aller de chaque point à chaque point, et non arbre, qui impose un trajet contraint et unique d’un point à un autre : il passe inévitablement par tel ou tel sommet, et par la hiérarchie des sommets. Pour paraphraser le titre d’un célèbre ouvrage de Christopher Alexander, publié en 1965, on pourrait ici que « le tourisme français n’est pas arbre » en référence aux réseaux urbains viaires hiérarchisés débouchant nécessairement sur des cul-de-sac (Alexander, 1965). Un réseau nécessite des circulations, des flux, un maillage, un entrelacement. Poser la question d’un réseau intermodal touristique français revient à réfléchir à une l’équité socio-spatiale et l’une universalité des services. On semble encore en France penser ne peut y avoir universalité sans maillage. La réalité est évidemment tout autre.

L’intermodalité touristique : un défi pour chaque territoire

Le tourisme en réseau, ou réticulaire, exigerait une coordination et articulation entre les différents réseaux. Cela soulève des questions de choix collectifs, de valeurs, de débat contradictoire, d’affrontement entre des intérêts divers, d’intérêt général (même situé), de légitimité, de politique. Le pilotage des systèmes techniques a toujours contribué la gestion des territoires. L’émergence des nouvelles technologies laisse penser à beaucoup de collectivité que les réseaux vont générer de nouveaux comportements. La « smart mobility » (ou mobilité intelligente, connectée, parcimonieuse) est ainsi au cœur de projets urbains. C’est un terrain de conflits potentiels, entre collectivités et entreprises organisées en réseaux, parfois à l’échelle du monde. Ces multinationales sont devenues de nouvelles institutions, bien plus puissantes que les collectivités, bien plus réactives que les traditionnelles rigidités administratives. Les usages touristiques pourraient être un terrain d’étude passionnant, redéfinissant l’histoire à venir des territoires français, un peu comme si l’on comparait l’esprit du village gaulois et la mondialisation galopante, le minitel conte Google ou Apple.

  • Afin de renforcer la « chaîne de mobilité » touristique à l’échelle de chaque territoire, il conviendrait d’en fluidifier le fonctionnement. La question de l’organisation politique au service de la mobilité touristique qui nécessite de concevoir collectivement des outils d’évaluation et d’anticipation des besoins des touristes et de créer une instance de coordination pérenne entre les acteurs de la chaine de mobilité au niveau du territoire l afin que soit pris en considération les touristes dans les politiques et les choix d’infrastructures et équipements de transports nouveaux.
  • Le renforcement du potentiel de la destination de mobilité pour accroître l’attractivité touristique qui implique l’amélioration de l’accessibilité et de la desserte des sites touristiques et d’affaires, la fluidification de la circulation des taxis et l’amélioration de la qualité de prise en charge des usagers touristes, l’organisation de conditions de stationnement acceptables pour les autocars de touristes, la valorisation de mobilité mal connues comme le transport fluvial ou bien encore la généralisation des mobilités douces.
  • La mise en place de services de mobilité innovants pour répondre aux nouveaux besoins des touristes en intégrant des solutions technologiques innovantes pour améliorer le quotidien des touristes (notamment grâce à l’IA) mais aussi par exemple l’ensemble des mobilités « empêchées » des personnes handicapées ou générées par le vieillissement attendu des populations locales comme visiteuses.
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Brice Duthion est président - fondateur de la société "Les nouveaux voyages extraordinaires", agence spécialisée en conseil, conférences et communication. Il intervient auprès de nombreux acteurs publics et privés dans ses domaines d'expertise : le tourisme, la culture et le développement territorial. Acteur engagé et passionné, membre du comité d'experts tourisme et développement territorial du CNFPT et de l'INSET de Dunkerque, il fait partie de l'équipe des blogueurs du site [...]
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