La coopétition a-t-elle sa place dans les organismes de tourisme ?

Publié le 12 août 2022
5 min

Profitez, durant ce mois d’août, de rediffusion des billets écrits par les rédactrices et rédacteurs d’Etourisme.info tout au long de l’année.

Ce billet de Jean-Baptiste Soubaigné a été publié pour la première fois en septembre 2021.

Jusqu’où êtes-vous prêts à coopérer ? D’ailleurs êtes-vous plutôt du genre à partager gentiment, à collaborer, ou à carrément coopérer ? Feriez-vous cela avec un partenaire, un allié de confiance ? Le feriez-vous avec autant d’enthousiasme avec un partenaire, un allié « obligé » ? Le feriez-vous avec un concurrent direct ? Et si coopérer avec son concurrent direct était en fait une bonne idée ? Parlons de la notion de coopétition, à la croisée des chemins entre coopération et compétition. Comment la coopétition aurait ou n’aurait pas de sens dans les organismes de tourisme ?

La coopétition, une stratégie relationnelle et interorganisationnelle

La coopétition se caractérise comme une stratégie relationnelle interorganisationnelle activant simultanément coopération et compétition. Théorisés dans les années 90 par Nalebuff et Brandenburger (1995), puis Lado et al. (1997) ou encore Bengtsson et Kock (1999), vous retrouverez un peu de littérature sur la notion. Les derniers cités vulgarisent d’ailleurs la coopétition en miroir à la coopération, la compétition et la coexistence. Cette lecture s’établit aux travers deux facteurs pour une organisation : sa position sur son secteur et ses besoins en ressources extérieures pour avancer.

Ainsi la coopétition touche tous les secteurs d’activité.

  • Sony et Samsung se sont alliés pour développer la technologie LCD en 2004 en créant une troisième entité nommée S-LCD. Les deux entreprises sont ainsi devenues les deux principaux constructeurs de LCD en 2006.
  • L’Or et Nespresso, leader des machines à dosettes s’allient en 2019 pour le recyclage des capsules.
  • Canal+ s’associe à Netflix en 2019 pour garder des parts de marché.
  • La course aux vaccins est aussi un exemple avec à la fois une concurrence féroce,

scientifique, technologique, médiatique entre les « Big-Pharma », mais aussi des coopérations sur les chaines d’approvisionnement, le partage de données pour accélérer les process de productions et d’acheminement.

  • Dans le vin aussi, où, sur un terroir donné, des exploitations concurrentes créent des marques, se retrouvent derrière les appellations pour mieux se commercialiser et/ou protéger leur spécificité.
  • Dans le sport, le principe même d’une échappée en cyclisme pendant laquelle des concurrents coopèrent en pleine compétition est un exemple de coopétition.

Ces exemples éclairent surtout sur la liste (non exhaustive) des cas de figure stimulant ces stratégies coopétitives :

  • La complémentarité nécessaire dans les compétences mobilisables.
  • La création de standards sur un marché.
  • La normalisation de services et de produits.
  • La mutualisation de dépenses et de ressources.
  • La stratégie des alliés contre d’autres concurrents identifiés.
  • La stratégie de Recherche et Développement.
  • La complémentarité technologique.

Pour une structure, la coopétition trouve par exemple ses fondements dans la nécessité ou encore l’utilité ou une logique gagnant-gagnant ou simplement une démarche bienveillante entre concurrents qui se respectent (…)

Une relation paradoxale et utile pour passer des caps ?

La coopétition est une approche paradoxale car il s’agit d’avoir une nouvelle perception de son concurrent (à condition de l’avoir identifié ou de les avoir identifiés). C’est assez paradoxal car être dans la coopétition demande en fait d’être particulièrement ouvert à la coopération elle-même. Cette dernière est en effet poussée à l’extrême dans l’interrelation créée. La coopétition touche de ce fait à la fois à la confiance et aussi à l’opportunisme. L’opportunisme est inhérent à toute démarche coopérative mais prise avec d’autant plus de précaution quand cela implique son concurrent.

La coopétition serait-elle plus performante ? Il s’agit en tout cas de bénéficier à la fois des avantages de la coopération (ouverture, partage, but commun, espace-temps commun, …) et de ceux de la compétition (recherche, investissement, entrainement, objectif, dépassement, …). Par cette dualité, la coopétition se veut plus performante. Elle oblige notamment à poser son écosystème avec ses concurrents, ses alliés, ses avantages concurrentiels, ses valeurs, sa proposition de valeur, ses objectifs de développement ou de fonctionnement.

La coopétition favorise-t-elle la mutation des organisations ? Par la coopétition, il s’agit notamment de transférer ou/et bénéficier de compétences, d’expertises de ressources complémentaires. Il s’agit aussi de savoir si le cycle de développement de son organisation doit passer ou pas par de la coopération avec son concurrent. Pas simple comme questionnement. Cependant avec des organisations questionnées sur leur modèle, leur relation client, leur relation partenaires, leur chaîne de valeur, leurs outils technologiques, tout en devant se mettre à un fonctionnement plus durable, plus éthique, baigné de RSE, toute stratégie de coopération, qu’elle soit concurrentielle ou pas, doit pouvoir s’explorer.

Source : unsplash

Et dans le secteur du tourisme

Sur l’emploi dans le tourisme, notamment des saisonniers, une stratégie coopétitive pourrait apporter des solutions pour traiter de la pénurie de main d’œuvre et d’attrait du secteur. Campagnes de recrutement partagées, conditions de rémunération cohérentes sur une même destination, co-financement par les employeurs de solutions mutualisées d’hébergements sont des exemples de coopération rassemblant des établissements concurrents pour atteindre un but commun.  

Sur le tourisme d’affaires, les prestataires souvent concurrents qui coopèreraient à mettre en place des standards élevés de service et de qualité permettraient de positionner l’offre globale face à d’autres territoires concurrents sur cette filière.

Sur une destination, les hôteliers qui mènent des actions commerciales collectives pour être plus attractifs est un exemple de coopétition car leur investissement partagé bénéficie aussi aux concurrents.

Dans les organismes de tourisme, les années de regroupements et de fusions ont mis l’accent sur la complémentarité plutôt que sur la notion de concurrence. Cependant, avec toujours autant de mal à définir ce que représentent clairement « les destinations » d’un territoire touristique, il est fort à parier que des territoires voisins se retrouvent aussi bien concurrents qu’alliés selon les cibles de clients ou de prospects. Cette coopétition de fait peut alors se retrouver concrètement dans la production de contenus et la diffusion des outils et supports de communication, la formation des salariés, les argumentaires de conseil-vente, la promotion, l’animation de réseaux sociaux, etc

Autre exemple, le cas de figure de l’accompagnement et le classement des meublés. Il amène des offices de tourisme à se retrouver en concurrence avec le niveau départemental, et vice-versa. En se plaçant du côté du bénéficiaire, qu’aurait-il à y gagner si la démarche de coopération s’activait sur cette action concurrentielle ? Identification d’un interlocuteur/guichet unique, réduction de coût et de délai, service intégré avec juridique, classement, home-staging, etc, appuyé sur un ensemble de compétences organisées et mobilisables.  Qu’aurait à y gagner les partenaires institutionnels à aller dans cette voie ? Partage de la compétence, service normé et standardisé donc dupplicable, gain de temps, cadrage du partage de la valeur du service…

Sur l’accompagnement des entreprises du tourisme plus largement, la stratégie de coopétition permettrait d’aller sur des services que n’aurait jamais proposé un organisme seul. Clairement annoncée, la coopétition permettrait certainement de mettre sur la table les sujets plus sensibles tels que les partenariats extra-territoriaux, l’animation et le portage délégué de services, la mise en cohérence de prix entre territoires voisins ou territoires de compétences superposés.

Et vous, un avis sur la coopétition dans nos organismes de tourisme ou des exemples à partager ?

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Stimuler, écouter, conseiller, animer, former, partager, apprendre... est mon quotidien professionnel appliqué au secteur de la formation et du tourisme. Il s'agit de favoriser l'adaptation des compétences, des missions et des organisations en perpétuelle transition. Depuis 2009 au sein de la Mission des Offices de tourisme de Nouvelle-Aquitaine (MONA), son directeur depuis 2020, les secteurs d'interventions et d'exploration évoluent continuellement : transition managériale, transition numérique, transition durable, marketing de services, [...]
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