Le tourisme entre dans le game

Publié le 23 octobre 2025
6 min

Val d’Isère spawne cet hiver dans le jeu mobile Grand Mountain Adventure. Au-delà du coup marketing, c’est une stratégie silencieuse et redoutable : la station ne se contente plus seulement de parler à ses clientèles, elle rentre dans leurs univers.

Gamification, nouvelles générations, nouveaux imaginaires touristiques… Le tourisme de demain pourrait aussi se jouer sur un écran pour atteindre les GenZ, ce mirage du tourisme institutionnel, souvent désiré, jamais vraiment séduit.

TourMag a relayé l’annonce : Val d’Isère sera la première station française intégrée dans Grand Mountain Adventure, un jeu mobile téléchargé plus de 25 millions de fois. Mais au-delà du simple décor, ce partenariat raconte un tournant stratégique. Pour la première fois, une destination institutionnelle se glisse au cœur d’un univers vidéoludique existant, sans passer par l’influence, le placement publicitaire ou même un développement from scratch. La montagne devient un espace jouable. Littéralement.

Un défi générationnel 

Les jeunes publics se détachent des pratiques emblématiques du tourisme alpin, pour des raisons de coût, d’accessibilité, d’écologie ou d’un manque de transmission de la pratique dès le plus jeune âge. La communication à la papa dans le métro n’y changera rien. On ne convainc plus ces générations par le discours, mais par l’émotion et la curiosité, directement dans leur poche.

« Je ne veux plus parler aux jeunes via des influenceurs, je veux être dans leurs usages », explique Christophe Lavaut, directeur de Val d’Isère Tourisme, rencontré après sa publication virale sur LinkedIn

Il faut tout de même ici nuancer le discours sur le profil des joueurs qui ne sont pas seulement des enfants ou des adolescents en fin de puberté, bien au contraire. Le monde du jeu vidéo se féminise avec 49 % de gameuses (19,5 millions) et même une majorité féminine chez les 16-30 ans (55 %). On joue à tous les âges puisque 92 % des 10-17 ans jouent, et les adultes représentent désormais 88 % des joueurs. L’âge moyen des joueurs se stabilise à 40 ans. Source : Étude SELL/Médiamétrie « Les Français et le jeu vidéo » 2025

D’autant que le jeu vidéo ne date pas d’hier. La première console de jeu jamais créée est la Magnavox Odyssey, sortie en 1972. Elle a été inventée par Ralph Baer, considéré comme le « père des jeux vidéo ». La console qui a profondément marqué l’histoire du jeu vidéo est la Nintendo Entertainment System (NES), sortie en 1985 (1983 au Japon sous le nom de Famicom). Elle a relancé l’industrie du jeu vidéo et popularisé des franchises emblématiques comme Super Mario Bros et The Legend of Zelda.

L’idée à Val d’Isère est néanmoins limpide : cesser de louer une audience pour entrer dans la culture des publics. Le partenariat avec les trois frères suédois, fondateurs et développeurs du jeu Grand Moutain Adventure à leurs heures perdues, repose sur un troc intelligent :

  • Val d’Isère a recyclé à coût zéro ses données 3D utilisées pour le damage des pistes ;
  • Eux ont modélisé la mythique face de Bellevarde et le front de neige jusqu’au moindre télésiège.

« Je les ai fait venir à Val d’Isère une semaine complète pour qu’ils sentent le lieu, la lumière, les volumes. Ils ont tout scanné, tout photographié. Aujourd’hui, chaque bâtiment, chaque virage existe aussi dans le jeu », raconte Christophe L.

L’opération n’a presque rien coûté à la station, mais lui offre une visibilité internationale inédite. Et, surtout, un contact direct avec des joueurs plus jeunes, un public que les campagnes classiques ne touchent plus ou de manière classique via les réseaux sociaux ou les influenceurs.

Le joueur n’est plus spectateur d’un message publicitaire, c’est déjà du marketing expérientiel en offrant une immersion au cœur de la station. Le directeur de l’OT de Val Thorens qualifie la simulation comme bluffante dans les sensations de glisse, le joueur ressent la neige sous les doigts, il associe inconsciemment les sensations au nom de la station.

Démo gameplay de Grand Moutain Adventure – Val d’Isère

Avant on faisait des salons, aujourd’hui on s’invite dans chaque salon

La gamification n’est plus un gadget promotionnel. Elle façonne de nouvelles manières d’entrer en relation avec les territoires. Des campagnes comme Play NZ (Nouvelle-Zélande) ou l’extension « Visit Finland » du jeu Cities : Skylines l’ont démontré : les destinations s’emparent désormais des langages du jeu vidéo pour inspirer le voyage. Même les JO 2024 ont investi Fortnite, où les joueurs pouvaient « visiter » les arènes olympiques avant l’heure.

« Avant, on faisait des salons pour parler à des cinquantenaires. Maintenant, je préfère que les jeunes découvrent Val d’Isère dans un jeu qu’ils adorent. C’est plus naturel, plus sensoriel, plus sincère », confie C. Lavaut. Le jeu devient un espace d’appropriation émotionnelle du territoire : on ne « vend » plus la montagne, on la fait ressentir.

Des imaginaires touristiques à la fabrique des mondes

Depuis toujours, le tourisme s’appuie sur des représentations : cartes postales, cinéma, séries. Le jeu vidéo s’ajoute aujourd’hui à cette fabrique d’imaginaires. De Skyrim à Red Dead Redemption 2, de Flight Simulator à Zelda BOTW, il offre des paysages si crédibles qu’ils inspirent des envies de voyage réelles. L’espace ludique devient un prolongement symbolique du monde. Les consoles nouvelles générations offrent aujourd’hui des performances incroyables, où les « mondes ouverts » offrent une liberté de mouvement et de découvertes sans limites. Certains jeux se focalisent même sur l’exploration pure comme Eastshade (2019) : un jeu où l’on incarne un peintre voyageant à travers une île, avec pour seul objectif de peindre des paysages et de découvrir l’histoire des lieux. Et si demain cette île était La Réunion ?

Pour Val d’Isère, cette immersion n’est pas qu’un coup de communication. Le joueur qui glisse virtuellement sur Bellevarde ancre son expérience dans sa mémoire à longs termes. Dans dix ans, ce souvenir ludique pourrait ressurgir au moment de choisir ses vacances d’hiver. Comme une Madeleine de Proust version GenZ.

Vers des partenariats structurants tourisme × gaming ?

Évidemment, on peut toujours conclure des partenariats directement avec des éditeurs comme La Route des Villes d’Eaux du Massif Central qui a imaginé un dispositif de gamification des patrimoines des villes d’eaux déployé sur Gaya World, un moteur de création de jeux qui se joue sur smartphone en complète autonomie. Au-delà des coûts de développement, il faut mobiliser un budget important pour sortir dans les stores pour un jeu qui se pratique seulement en séjour, et donc un coût au contact très élevé.

On peut aussi parier sur l’effet d’opportunité par exemple quand un studio Bordelais décide de son propre chef de développer un jeu (sublime) qui fait la promotion de la Dordogne et du marché de Sarlat. Malheureusement ce n’est pas tous les jours Noël et cet effet d’aubaine bienvenue pour la destination ne fait pas vraiment partie d’une stratégie volontaire.

L’exemple de Val d’Isère pourrait faire école avec un modèle différent, où le territoire s’insère dans un jeu ou une communauté existante, réduisant considérablement les budgets de marketing et communication, comme l’éditeur s’en charge déjà. D’autres territoires disposent déjà d’atouts pour devenir « jouables » : le col de l’Iseran dans Zwift, les plages d’Occitanie dans un simulateur de surf, ou encore un archipel ultramarin dans un jeu d’exploration océanique. On peut imaginer des coopérations public-privé autour de la modélisation des paysages, de la data environnementale ou de la médiation patrimoniale.

Du pixel au voyage

Val d’Isère n’a pas seulement signé une opération originale : elle a ouvert une brèche entre tourisme et culture numérique. En entrant dans un jeu, elle se connecte à une génération qui voyage d’abord par l’imaginaire. Le jeu vidéo devient un média d’attractivité, un outil de transmission et un terrain d’expérimentation sensorielle.

Si demain, les destinations, les parcs naturels, les musées travaillaient directement avec les studios de création pour bâtir des mondes jouables partagés. Les acteurs du tourisme y trouveraient un nouvel espace d’innovation, les développeurs un matériau narratif infini, et les voyageurs un nouveau type de rencontre : celle d’un territoire réel traversé d’émotions virtuelles.

Ces alliances posent aussi la question du modèle économique : échange de visibilité ? Licence ? Co-production ? Le tourisme pourrait y trouver une nouvelle voie de diversification, en devenant fournisseur de contenus autant que de séjours. Le jeu, lui, y gagne en réalisme et en storytelling. Un partenariat vertueux, à condition que chacun garde le contrôle sur le sens.

Val d’Isère ne « parle » plus seulement aux jeunes : elle joue avec eux.

Et si c’était cela, la prochaine révolution touristique : du pixel à la piste, du virtuel au voyage ?

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Mathieu Bruc est aujourd'hui le directeur de l'office de tourisme Beaune & Pays Beaunois en Bourgogne. Il a débuté à la chambre de commerce et d'industrie Alès Cévennes pour la mise en place d'une place de marché touristique sur quatre départements. Il rejoint ensuite le comité régional du tourisme Auvergne-Rhône-Alpes pour mener des projets numériques collectifs, avant de devenir directeur marketing et communication à l'office de tourisme Clermont Auvergne Volcans.
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