
« Respect et robustesse ! » pouvait-on entendre dans Astérix Mission Cléopâtre de l’excellent Alain Chabat. Mais ce n’est pas de cinéma que nous allons traiter aussi mais bien de tourisme, évidemment !
Depuis quelques années, le mot « résilience » s’est imposé dans nos discours. Résilience face aux crises sanitaires, aux aléas climatiques, aux mutations économiques et sociales, à l’impact du digital et j’en passe. Mais derrière cette résilience, qui suppose et espère un retour « à la normale », ne cachons-nous pas une certaine fragilité ? Et si plutôt que la résilience, nous adoptions ce que l’on nomme dans la nature la robustesse ?
Dans le cadre de la préparation d’un événement en Wallonie, j’ai eu l’occasion de prendre connaissance des travaux du biologiste Olivier Hamant (de l’Institut Michel Serres et chercheur au laboratoire de reproduction et développement des plantes – École Normale Supérieure de Lyon). Il propose un changement de regard inspiré par ses recherches : plutôt que de viser l’efficacité maximale et la performance, il nous invite à penser « robustesse ».
Dans le vivant, la robustesse n’est pas synonyme de force brute, mais de capacité à durer, à travers la diversité, la confiance, la lenteur et l’humilité. Autant de notions qui peuvent trouver écho dans le tourisme.
Le tourisme, un secteur fragile comme un écosystème naturel
Le tourisme dépend d’une multitude de facteurs que nous ne pouvons pas tous maîtriser. La météo, les pandémies, l’évolution des modes de consommation, la mobilité : autant d’éléments qui peuvent fragiliser nos destinations et nos stratégies.
Nous concentrons nos efforts sur quelques produits « locomotives », quelques clientèles clés, quelques stratégies marketing diverses et coûteuses. Nous recherchons en permanence la « performance » en monitorant régulièrement des indicateurs qui nous poussent à faire toujours mieux, toujours plus. Résultat : quand les résultats ne sont pas là, la pyramide s’ébranle. On cherche les causes, on procède à des changements parfois tragiques en conséquences humaines, on se laisse tenter par les sirènes des solutions toutes faites, de ce qui semble marcher ailleurs sans être forcément transposable chez nous…
QUe serait un tourisme « robuste » ?
Si on suit le discours et les concepts avancés par Olivier Hamant, appliquer les principes du vivant au tourisme, c’est d’abord accepter d’ouvrir le jeu, de changer de regard, à commencer par notre obsession pour la performance. Bien sûr, sans forcément être conscients de s’inscrire dans la robustesse, certaines destinations ont déjà adopté ce changement de paradigme qui repose sur les éléments-clés suivants :
- Redondance : ne pas tout miser sur un seul produit ou une seule saison. Une offre bien variée permet de maintenir une activité, même en cas de crise.
- Diversité : valoriser l’ensemble du territoire, soutenir des acteurs différents, du grand site patrimonial au petit producteur local. Casser aussi les « silos » traditionnels du tourisme en intégrant dans l’offre des acteurs économiques différents des socio-pros habituels mais au potentiel de mise en tourisme certain.
- Lenteur : parvenir à susciter l’envie pour des séjours plus longs, des mobilités douces, un tourisme moins pressé. Le sacro-saint slow-tourisme, déjà bien intégré dans nos pratiques va dans ce sens.
- Sobriété : privilégier la qualité plutôt que la quantité, mieux répartir les flux au lieu de chercher à les augmenter. Il s’agit aussi de changer notre regard sur la performance et ses indicateurs tradtionnels.
- Humilité : accepter de ne pas tout contrôler, écouter les habitants mais également les acteurs économiques hors tourisme.
OK mais on fait quoi alors ?
Concrètement, cela peut se traduire tout d’abord par une révision de nos indicateurs de performance pour intégrer des critères plus qualitatifs et humains (satisfaction des habitants, retombées locales positives, empreinte environnementale, …). Pour ce point, je renvoie à l’excellent article de l’amie Caroline de décembre dernier dans lequel elle liste de manière très complète les indicateurs à privilégier.
C’est aussi par exemple intégrer une culture de développement de « plans B » et d’offres alternatives pour éviter la saturation.
Ou encore entretenir et valoriser l’offre et le patrimoine existants au lieu de miser uniquement sur l’innovation permanente, particulièrement si elle est focalisé presque systématiquement sur la technologie.
D’un point de vue RH, c’est former nos équipes à gérer l’incertitude, à travailler avec la complexité plutôt que de chercher des modèles figés et des solutions toutes faites.
Un tourisme robuste n’est pas un tourisme faible. C’est un tourisme capable d’encaisser les chocs, d’évoluer, de durer.
C’est une attractivité qui se pense dans le temps long, au service des territoires et des habitants autant que des visiteurs.
Sommes-nous prêts à franchir ce cap ? À ne plus chercher seulement à être performants mais à être robustes comme la nature nous l’enseigne ?