Mes prédictions stupéfiantes

Publié le 23 novembre 2020
6 min

Dans mon salon de grand devin international du tourisme, moi, François Prévoit, consulté par les plus célèbres mentors de la profession, je souhaite vous révéler que les grandes tendances touristiques que nous avons tous claironnées au cours des années passées doivent être reconsidérées. Là, ma clairvoyance aiguisée et ma perspicacité autoproclamée, viennent d’être saluées par tous. Mais quelle sagacité ! Mais d’où vient son art divinatoire ?

Vous n’obtiendrez rien par la flatterie. Je ne fournis que des prévisions argumentées, des prédictions fascinantes, des projections stupéfiantes ! Poursuivons. Grâce à mon prodigieux talent, directement inspiré par l’Ecole de Pierre Dac qui nous annonçait que « l’avenir, c’est du passé en préparation » je prédis en effet de nouvelles opportunités et de nouveaux comportements.

Bravo ! Mais lesquels O Grand Maître ?

#jysuisjyreste

Tout d’abord la staycation va connaître un développement fulgurant. Il faut dire que l’exemple vient d’en haut avec La Flammèche des Etats-Unis qui refuse de quitter son siège. Le #jysuisjyreste va s’imposer dans le tourisme fort naturellement. Qu’on en juge ! Un mouvement fort de position acquise et conservée est à l’oeuvre. Nous verrons bientôt des touristes rester plus longtemps que prévu dans leurs locations meublées, hôtels et campings. Les propriétaires et professionnels viendront agiter leurs contrats : « il faut y aller maintenant, votre séjour est terminé ». Basta, zou, passez votre chemin. Que nenni, #jysuisjyreste ! Nous verrons donc dans les statistiques exploser les séjours longs : autant dire que c’est la fin des courts séjours et autres citytours. Enfin, c’est ce que me dit ma boule de cristal en toc 🙂

Le marché émetteur turc

Très lointain petit héritier de Soliman le Magnifique, Erdogant (de boxe) ouvre des marchés touristiques d’un nouveau genre, les uns après les autres. Formidable dans son entreprise d’excursions avec son programme Recherche du temps et des vestiges perdus en Syrie, remarquablement inspiré dans ses Trekking en Lybie, opportuniste dans sa nouvelle série, Mes petites maisons dans les prairies du Haut-Karabakh, il nous émerveille par sa capacité d’inventions touristiques. Sa volonté d’ouverture au nom des voyages, fait de ce nouveau tour-opérateur un enjeu pour l’Europe. Disposant d’un nouvel aéroport flambant neuf, le plus grand au monde, inauguré en grandes pompes juste avant le confinement, il possède de solides arguments pour relancer un touriste hésitant. Le marché turc émetteur devrait occuper nos colonnes et modifier nos stratégies touristiques. Enfin, là aussi, c’est ma boule de cristal prise dans la brume qui me le dit.

François 1er et Soliman le Magnifique, l’intelligence en point de mire, peinture par Le Titien

Paradigmatique

Entendu 4 fois dans la bouche d’une brillante auteure en l’espace de 4 minutes alors qu’elle intervenait dans une émission télé des plus émérites, je me plais à rapporter cet étrange mot, paradimatique. Je le place désormais dans toutes mes consultations de grand devin du tourisme, en appuyant le regard pour conforter l’annonce de mes prévisions. Les jours de lyrisme, j’y accole le mot syntagmatique. Ainsi, le futur du tourisme, dont nous n’aurons qu’une révélation, de surcroît inaboutie, dans 4 ou 5 ans, relève du champ paradigmatique et syntagmatique. Ca vous stupéfait certainement. Moi aussi, j’avoue, parfois je m’éblouis comme le locataire américain adepte de la staycation. « Ah ! La belle chose que de savoir quelque chose ! ». Bref, vous l’avez compris désormais, il faut se méfier des prophéties et du langage impressionnant qui les accompagne.

Dessin de Michel Cambon publié le 24 mai dans Le Journal des Arts : https://www.lejournaldesarts.fr/actualites/au-musee-du-confinement-du-xxie-siecle-149384

Reprenons notre sérieux

Plus sérieusement, vous l’avez compris, nous avons tous fondé nos observations et recommandations de développement, énoncées avec autorité voilà encore un an, sur des principes touristiques anciens. Ils doivent désormais être remis en question. Et pour tout dire, depuis le début de cette histoire du musellement et du confinement, je n’ai de cesse de dire que je ne sais pas. Mais il m’arrive de recevoir encore des demandes dans lesquelles on attend l’élaboration d’un plan d’action à 5 ans. Voire à 10 ans ! Certes, certes, il faut avancer, mais parfois la lampe tempête éclairant la boule de cristal ne suffit pas. Alors pour gagner du temps dans nos échanges futurs, sur l’avenir, voilà les remises en question touristique dont je suis à peu près certain et que je vous propose de considérer.

– Une croissance exponentielle du tourisme : de 680 millions de touristes internationaux en 2000 à 1,4 milliard qui étaient attendus en 2020… On ne peut plus dire que le tourisme traverse les crises sans se mouiller. Ca, c’était une idée de l’ancien temps.

– Emergence de nouvelles destinations : oui, ben il va falloir attendre un bout de temps avant que le tourisme domestique ne ressorte de sa niche pour se transformer en tourisme explorateur d’espaces et de temps en friches.

– Tourisme des quatre saisons : oui, mais en fonction des stop and go imposés par la pandémie, des entreprises touristiques et de transports, genoux, puis bassins et poitrines à terre. Les survivants parmi les entreprises, puis les touristes, iront à l’essentiel. Il n’est pas interdit de penser que le contrôle des coûts imposera des périodes d’ouverture réduite.

– Fragmentation des temps de vacances, raccourcissement de la DMS : pas gagné, au contraire la staycation ou l’accomplissement surgissant dans un temps long de voyage, tel un cheminement à la Sylvain Tesson ou à la manière de bien d’autres explorateurs talentueux, pourrait nous étonner par leur vigueur.

– Des clients volatiles, indéterminés, opportunistes : oui, mais ça c’était avant, quand l’offre était abondante. Aujourd’hui la sécurité, l’espace, la qualité et la recherche de relations humaines chaleureuses et locales sont des valeurs refuge. Elles rebattent les cartes au profit d’un tourisme reconfiguré, plus relationnel et moins consumériste.

– Des concurrents internationaux surpuissants comme Airbnb et Cie : oui, mais on observe aussi un intérêt marqué pour les petits campings qui offrent discrétion, charme, espace, des relations amicales reposant sur des prestations simples, ainsi que pour les échanges de maisons entre propriétaires. Tout n’est pas perdu sur le terrain de la réinvention sociale. Et les Offices de Tourisme, nouvelles Maisons pour Tous, ont une place à réinventer.

– Un goût retrouvé pour les transports et voyages dès que possible : on peut y penser, mais on observe aujourd’hui un repli assumé des voyageurs urbains sur les transports en commun. Dans son Observatoire de la Mobilité 2020, les grands opérateurs français (Ratp, SNCF, Transdev, Keolis…) notent que 30% des citadins prévoient de se détourner des transports en commun une fois la crise sanitaire passée. Place à la marche (trop négligée en termes d’équipement sécurisé dans les métropoles), au vélo, et surtout à l’auto (oui vous avez bien lu). On imagine le flop des investissements publics en matière de transports en commun, conjugué à la croissance des visios en lieu et place des déplacements. Rien n’est écrit, mais il faut prendre avec prudence nos projections personnelles. Ce sont les citoyens qui décideront.

En conséquence, sortir sa boule de cristal, lancer des séminaires prospectifs, imaginer demain, certes, mais avec une humilité profonde, car en toute honnêteté et malgré nos brillantes capacités partagées (et le soutien de notre boule de cristal, enrhumée en ce moment), personne n’en sait rien. Et merci à feu Jean Gabin de nous l’avoir rappelé, il y a déjà fort longtemps.

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François Perroy est aujourd’hui cofondateur d'Agitateurs de Destinations Numériques et directeur de l’agence Emotio Tourisme, spécialisée en marketing et en éditorial touristiques. Il a créé et animé de 1999 à 2005 l’agence un Air de Vacances.  Précédemment, il a occupé des fonctions de directeur marketing au sein de l’agence Haute Saison (DDB) et de journaliste en presse professionnelle du tourisme à L’Officiel des Terrains de Camping et pour l'Echo Touristique. Il [...]
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