Gestion de la crise sanitaire : l’expérience chinoise

Publié le 24 mars 2020
13 min

Note de la rédaction :
Durant la crise, les différents contributeurs au blog ne peuvent pas faire comme s’il n’y avait pas de #COVID_19. Nous nous sommes réunis (virtuellement !) pour vous apporter des réponses adaptées face au défi que notre société et notre secteur du tourisme affrontent. Nous vous proposons donc des billets de blog adaptés et plus nombreux, de nouveaux formats, des réflexions et des outils pour passer le temps du confinement sans le perdre. N’hésitez pas à nous faire vos propositions et retours.

Alors que nous commençons notre deuxième semaine de confinement, j’ai souhaité me tourner du côté de la Chine, premier pays à avoir fait face au virus, pour mieux comprendre le phénomène et savoir comment la crise sanitaire a été gérée chez eux. Pour cela j’ai décidé d’interroger une amie enseignante-chercheuse en tourisme dans une université chinoise, dont je préserverai l’anonymat.

Quelles ont été les étapes de l’annonce du coronavirus en Chine et les mesures prises en conséquences ?

Le premier cas a été identifié à Wuhan. Fin décembre les hôpitaux recevaient les premières personnes contaminées d’un virus inconnu, causant une grave pneumonie. La plupart des personnes infectées avaient fréquenté le même marché au centre ville.

Le premier janvier, le marché de Wuhan a été fermé, mais il n’y avait pas encore de mesures de sécurité car on ne savait pas si le virus se transmettait entre humains ou venait des animaux. Le gouvernement a envoyé des experts scientifiques à Wuhan pour étudier la situation.

On n’a pas pris de décisions tout de suite, et la population chinoise se plaignait d’ailleurs que le gouvernement ne disait pas toute la vérité. Le virus a circulé très rapidement et s’est propagé dans toute la population, exactement comme en Italie.

Le 20 janvier, ils ont annoncé que le virus se transmettait d’hommes à hommes et qu’il était très contagieux. Face à la gravité de la situation, le gouvernement a donc décidé de prendre des mesures. 

Prise de conscience

Le 23 janvier, la municipalité de Wuhan, qui compte 9 millions d’habitants, a été entièrement bloquée et totalement confinée. De gros moyens ont très vite été déployés. Par exemple, on a construit un hôpital en 10 jours pour recevoir les patients dans un état critique et ouvert 14 hôpitaux de campagne pour s’occuper des personnes avec des symptômes sans gravité.

La ville manquait de personnel soignant pour faire face à l’afflux de malades. Le gouvernement a donc envoyé en renfort dans la province 42 000 soignants venant de toute la Chine. Pour faire face aux besoins en masque, le gouvernement a demandé à des entreprises d’autres secteurs de se mettre à produire des masques, comme l’entreprise automobile Wuling. Nous avons aussi reçu de l’aide des pays étrangers, comme la France.

Dans un premier temps, les autres villes chinoises étaient restées ouvertes. La période était très mauvaise car c’était juste avant le nouvel an chinois, une période où les chinois circulent énormément dans le pays. De fait, l’épidémie s’est répandue très rapidement dans toute la Chine. Au moment du nouvel an, on parlait déjà de propagation mais on ne ne pensait pas que ça pouvait déjà être arrivé chez nous. Je me trouvais dans la province du Zhejiang et il n’y avait pas encore de cas annoncé dans ma ville, mais il y avait certainement déjà des personnes asymptomatiques contaminées.  

Le 26 janvier, l’interdiction de sortir est finalement tombée. Des contrôles ont été mis en place partout partout pour contrôler la température des gens. Une seule personne par foyer recevait une carte lui permettant de sortir au maximum une fois tous les deux jours, dans un périmètre restreint, seulement pour aller faire des courses. Pendant cette période les supermarchés sont restés ouverts, mais le port de masque était obligatoire pour toute sortie hors domicile. Tous les quartiers de la ville ont été délimités, bloqués et surveillés par un gardien. 

Le confinement total a duré deux semaines chez nous. Progressivement les autorisations de sortir se sont assouplies, notamment pour que les gens puissent retourner travailler. Le gouvernement chinois a alors mis en place un système de QR code via l’application Alipay : après avoir rempli un formulaire en ligne, on se voit attribuer un QR code vert, orange ou rouge pour indiquer notre droit à sortir ou non. 

  • QR code rouge : indique qu’on n’a pas le droit de sortir pendant 14 jours. C’est le cas par exemple des personnes qui ont voyagé dans les zones à risque ou qui ont été malades. 
  • Orange : interdiction de sortir pendant 7 jours.
  • Vert : autorisation à sortir.
Légende du QR code d’Alipay

Les citoyens doivent s’engager sur l’honneur à dire toute la vérité, sans quoi ils sont passibles de sanctions pénales. 

Le QR est automatiquement actualisé, lorsqu’on va à l’hôpital ou qu’on se déplace par exemple.

QR code vert : la personne a le droit de circuler

Les enfants et les personnes âgées qui n’auraient pas de téléphone se voient délivrer par le concierge de leur résidence ou de leur quartier un QR code papier. Même les résidents étrangers doivent sortir en possession de leur QR code.

Où en est la situation en Chine à ce jour ? 

Dans le Zhejiang, le retour à la vie normale a été annoncé samedi dernier seulement. Dans les provinces où il n’y a plus de cas confirmés, les élèves en dernière année de collège ou de lycée ont pu reprendre les cours. Mais les universités sont toujours fermées. Pour les élèves des autres niveaux et les étudiants, nous devons faire des cours à distance.

Dans un premier temps on avait dû prolonger les vacances du nouvel an chinois (de 7 jours à 14 jours), pour allonger le confinement. Puis après deux semaines, chaque province avait mis en oeuvre des mesures différentes pour que les gens puissent reprendre le travail petit à petit. Parmi les mesures qui ont été prises, il y a par exemple :

    • Port du masque obligatoire même pendant les heures de travail. 
    • Une personne maximum par bureau et les autres en télétravail. 
    • Cantines et restaurant fermés, chacun doit amener sa propre nourriture au travail et ramener sa vaisselle sale à la maison. 
    • Climatisation et chauffage interdits (il faisait très froid dans les bureaux). 
    • Ceux qui étaient bloqués hors de leur province devaient attendre 14 jours avant de pouvoir réintégrer le lieu de travail.

Jusque là les restaurant n’avaient le droit que de faire des repas à emporter, et les restaurateurs devaient contrôler la température de leurs employés tous les jours. Depuis samedi, la plupart des restaurants commencent à rouvrir, avec des barrières sanitaires à respecter :  tables espacées, QR code à montrer,…

covid-19 securite cantine chine
Dans un lycée de la province du Liaoning, les professeurs testent les mesures de sécurité du réfectoire avant le retour des étudiants

Tout reprend très progressivement. Les transports intérieurs avaient été été très largement réduits et commencent à fonctionner à nouveau. Il y a toute une série de mesures barrières que nous devons continuer à suivre : 

  • Port du masque obligatoire dans les zones fermées (hôpitaux, supermarchés, transports en commun,…) 
  • Se laver les mains très régulièrement
  • Aérer les pièces pendant 15 minutes et 2 fois par jour minimum.. Les médecins chinois pensent que c’est la meilleure façon pour tuer le virus qui s’est introduit dans une pièce fermée.

Comment les mesures prises par le gouvernement ont-elles été reçues par la population chinoise ?

Au début les mesures n’ont pas été très bien reçues, car c’était en pleine période de nouvel an chinois et les gens se sont retrouvés bloqués alors qu’ils devaient partir retrouver leurs familles, qu’ils ne voient qu’une fois par an. 

Très vite ce sont plutôt les jeunes chinois qui ont compris l’importance et la gravité du virus, alors que les personnes plus âgées ne prenaient pas ça trop au sérieux.  Beaucoup disaient que c’était juste comme la grippe et avaient du mal à adopter les mesures de sécurité. Ce sont les jeunes qui ont dû sensibiliser les personnes âgées.

Mais comme nous avions vécu le SRAS en 2003, les gens étaient quand-même globalement sensibilisés à l’impact possible du virus. Donc dès qu’on a appris que le virus se transmettait entre humains, tout le monde a compris l’importance du risque et a appliqué les règles de sécurité à la lettre.

A mon sens, le covid-19 a été encore plus grave que le SRAS car à l’époque les gens étaient beaucoup moins mobiles, donc seules quelques zones de Chine avaient été très touchées.

La Chine connaît-elle un climat d’inquiétude quant à l’épidémie mondiale ?

Oui au début il y avait un climat d’inquiétude car on ne connaissait pas le virus et on ne savait pas du tout à quoi s’attendre. Mais maintenant qu’on sait que le taux de mortalité est beaucoup plus faible que pour le SRAS, on est rassurés. S’il y a autant de morts en Italie c’est sûrement car la population est généralement plus âgée. 

Aujourd’hui la Chine est encore plus rassurée quand elle compare sa situation à celle des autres pays. Nous avons davantage confiance en notre pays et en ses capacités. L’échec des autres a souligné la réussite des chinois. 

Bien sûr, pour ne pas se laisser gagner par la peur il est important de ne pas regarder les informations tous les jours car c’est particulièrement anxiogène. Il faut rester chez soi, appliquer les mesures de sécurité, et attendre.

Quelle est la perception en Chine de la façon dont l’épidémie est gérée par les Européens ?

En Chine on est stupéfaits par la gestion de la crise en Europe et particulièrement en France. Depuis une semaine je reçois des appels des parents de mes étudiants qui sont actuellement en France, s’indignant que leurs enfants ne puissent pas porter de masque : au départ parce que c’était mal perçu de porter un masque, qu’ils étaient pris pour des malades et devenaient victimes de discrimination, et maintenant parce qu’ils sont réservés au personnel médical. Or nous savons pertinemment qu’il faut absolument porter un masque pour éviter la propagation du virus. Les parents trouvent que c’est très dangereux. Ils nous réclament le rapatriement de leurs enfants en Chine. 

Publicité pour des masques médicaux vue en France stigmatisant les asiatiques

Tous les Européens (italiens, espagnols, français) ont trop tardé à prendre des mesures. Les médias chinois disent que l’exemple de la Chine a montré qu’il fallait faire très vite pour prendre des mesures et endiguer le virus. La Chine a déjà payé cher sa réaction tardive, les autres pays auraient dû apprendre de cette erreur et s’organiser pour agir plus rapidement que nous. Au final, ils ont été encore plus lents. Les gouvernements européens ont négligé l’importance du virus. 

Penses-tu que cela vient du regard faussé qu’ont les européens sur le niveau de développement de la Chine ? 

Certaines critiques disent que les européens n’ont pas pris les choses au sérieux,  que les européens ont dénigré les chinois. 

Personnellement, il me semble que les européens voient encore la Chine comme un pays en voie de développement et sa population comme des extraterrestres qui mangent n’importe quoi. Ils pensent qu’ils sont plus avancés que nous en terme d’équipements, etc. et s’imaginaient ainsi qu’ils pourraient gérer les choses mieux que nous. Mais les faits ont montré que les mesures mises en place par les chinois ont été plus efficaces. 

Contrôle de la température et du QR code des passagers à la gare de Shanghai

A l’instar des Européens, les chinois perçoivent-ils cette crise mondiale comme “une alerte” sur les limites du système économique actuel et les problèmes environnementaux à venir ? 

A ma connaissance, les chinois ne font aucun lien entre cette crise sanitaire et les enjeux environnementaux. Pour les chinois, avoir un bon salaire c’est l’essentiel. Notre vie s’améliore considérablement depuis plusieurs années, donc on pense qu’il ne faut pas se plaindre, au contraire, qu’il faut être heureux de l’amélioration des conditions de vie permise par le développement et le système actuel. 

On ne remet pas en question le système économique internationalisé car de toutes façons la plus grande partie de la production est faite chez nous, donc nous ne manquons de rien. Avant l’épidémie, la Chine réalisait la moitié de la production de masques à l’échelle mondiale, alors que les entreprises françaises ont fait dû faire des commandes à la Chine pour en importer. 

Pour nous le coronavirus est vécu comme une catastrophe naturelle, au même titre qu’un tsunami. On ne fait pas une comparaison par rapport aux dangers de la pollution par exemple. Selon moi il s’agit de deux choses totalement différentes qu’il faut traiter différemment. 

Penses-tu que l’épidémie mondiale aura des répercussions de long-terme sur l’économie touristique ? Si oui, lesquelles ?

Le monde du tourisme est le secteur le plus touché par le virus. Il va falloir du temps pour que l’activité reprenne. Certains scientifiques disent que l’épidémie ne sera toujours pas terminée cet été.

Au moment du nouvel an, les chinois voyagent beaucoup. Les hôtels ont normalement un taux de remplissage très élevé à cette période, ce qui n’a évidemment pas été le cas cette année. Encore aujourd’hui tous les hôtels et restaurants sont fermés. C’est catastrophique pour le secteur.

Les agences de voyages ont interdiction d’organiser des séjours à l’étranger jusqu’à nouvel ordre. Quelques agences de voyage se mettent à proposer des circuits à l’intérieur de la ville. Mais les habitants n’ont pas besoin d’une agence pour visiter leur propre ville. Les offices de tourisme mettent en place des campagnes de communications tournées vers les habitants.

Les sites de visite recommencent à accueillir des touristes locaux, avec quelques restrictions. Il faut réserver ses places en avance sur internet en répondant à un questionnaire et les entrées sont limitées. 

Je pense que les petites entreprises du secteur touristique vont avoir du mal à reprendre leur activité. Mais les gouvernements locaux vont leur accorder des aides et des subventions. 

A mon avis, il va y avoir un grand changement structurel dans les entreprises du tourisme. Après la crise, les gens vont sans-doute recommencer à voyager comme avant mais il me semble que les entreprises vont changer leur stratégie. Ils vont probablement diversifier leurs activités pour éviter les pertes lorsque ce type de catastrophe arrive. Ils vont peut-être se tourner davantage vers les loisirs pour les locaux. 

Par contre les hôtels et les restaurants n’auront pas d’autre choix que de reprendre la continuité de leurs activités. Quant aux institutions touristiques chinoises, rares sont celles qui font de la promotion à l’international. Même avant le virus, ce n’était pas la priorité de la Chine. Donc je ne pense pas que l’épidémie va beaucoup changer les choses….

D’autres témoignages…

D’autres amis chinois m’ont également rapporté l’image de la France actuellement véhiculée sur les médias et réseaux sociaux : 

  • La colère quant au fait que les européens n’ont pas pris le problème au sérieux alors même que la Chine a essuyé beaucoup de malades et de morts
  • L’indignation quant au non-port de masque par la population et à la stigmatisation de ceux qui en portent. 
  • L’incompréhension du discours européen disant que le port du masque est inutile alors que c’est ce qui a permis à la Chine de sortir de la crise
  • L’ahurissement face au non-respect des consignes du gouvernement par les citoyens.
  • L’étonnement face au manque de moyens : manque de personnel médical, manque de lits dans les hôpitaux, manque de masques,…
  • Un point positif : l’esprit convivial maintenu pendant la crise et la reconnaissance portée au personnel médical par les applaudissements et les musiciens sur les balcons

On m’a également rapporté d’autres mesures encore en vigueur actuellement pour empêcher le virus d’être réintroduit en Chine. Par exemple, chaque province a mis en place une équipe dans ses aéroports pour transporter les passagers à leur destination finale de façon extrêmement sécurisée. Des équipes s’occupent de réceptionner les passagers à l’aéroport et de les répartir dans des bus ou trains isolés qui les emmèneront à destination, où ils devront d’abord passer 14 jours en quarantaine dans une chambre d’hôtel désinfectée.

Pour finir cet article je vous recommande cette vidéo sur l’expérience du confinement à Wuhan :

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Diplômée de l’ESTHUA de l'Université d'Angers en conduite de projets touristiques, Amélie Perrin a d'abord été chargée de promotion pour l'Agence Touristique de la Touraine Côté Sud à Loches. Elle est ensuite partie en Inde s'occuper d'une association humanitaire, et a vécu deux ans en Chine où elle était lectrice de français à la Faculté de Tourisme de l'Université de Ningbo. Après une expérience de directrice d'office de tourisme dans [...]
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