Le voyage rural, un supplément d’âme
La littérature regorge de précieux conseils aux voyageurs d’aller se ressourcer ou s’inspirer auprès de la nature. Ce n’est pas la crise du Covid qui a inspiré Lamartine, “La nature est là qui t’invite et qui t’aime. Plonge-toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours” ou l’écrivain suisse Ramuz, “Allez souvent vous recueillir dans la nature ! Alors vous serez en état de comprendre les œuvres des hommes.” Le voyage vers la nature et les espaces ruraux a semblé, depuis toujours ou presque, répondre à une quête, celle décrite par Jean-Jacques Rousseau, “la nature a fait l’homme heureux et bon.” Si “la ville (où vivent près de 80% de nos citoyens contemporains) a une figure, la campagne a une âme.”
C’est sans doute ce supplément d’âme célébré par de nombreux auteurs que ressentent les adeptes du voyage rural. Pendant que le presse relate chaque année les méfaits du tourisme de masse qui sature les grandes destinations, le voyage rural entre champs, forêts, villages et fermes, offre bien entendu un autre rapport au temps et à l’espace, et incarne un système de valeurs nouvelles, qui propose de réinventer la relation entre l’habitant, le visiteur et le territoire.

Valeurs et expériences, le manifeste implicite du voyage rural
Le voyage rural porte en lui les valeurs intrinsèques de chaque territoire. Ces valeurs, en rupture avec un tourisme extractif et sur-consommateur, répondent ainsi aux attentes croissantes de voyageurs en quête de sens et d’engagement.
La “sobriété” oblige à limiter les déplacements motorisés, à consommer local et à réduire son empreinte. Le “temps long” incite à préférer un séjour prolongé à une succession rapide d’étapes. La “coopération” pousse tisser des liens réels et non artificiels entre acteurs locaux et visiteurs, à créer du commun et de la solidarité. La “transmission” implique d’apprendre et de partager des savoir-faire, des histoires, des recettes, des gestes. Le “bien-être collectif” veille à ce que l’activité touristique bénéficie à la communauté entière. Et notamment les habitants, longtemps restés à l’écart des modèles et des stratégies touristiques.
Ainsi, le voyage rural propose des expériences qui allient le besoin de découverte et un acte engagement volontaire. Les “séjours à la ferme” permettent de participer aux travaux agricoles, d’en prendre la mesure et la difficulté, et de cuisiner avec les produits récoltés directement au jardin. Les “itinérances douces” sont l’occasion de découvrir les paysages, les villages et ceux qui les habitent aux rythme choisi de la randonnée, du circuit à vélo ou de la navigation fluviale lente. Les arrêts sont fréquents. C’est l’occasion de pratiquer une “immersion culturelle”, tout en évitant leur folklorisation, des fêtes de village, des ateliers de musique ou de danse traditionnelle. Ainsi, le voyage rural n’est pas qu’un déplacement : c’est une immersion dans un mode de vie oublié pendant les croissances des Trente Glorieuses mais semblant redevenir en période de crises multiples d’une grande modernité.

Les retombées du voyage rural
Les bénéfices du voyage rural sont souvent visibles, même s’ils sont difficiles encore à mesurer malgré de nombreuses initiatives en ce sens. Les premières retombées du voyage rural sont d’abord celle vécues par les visiteurs. George Sand a écrit “le rêve de la vie champêtre a été de tout temps l’idéal des villes et même celui des cours.” Il nous semble que les compétences acquises lors de séjours prolongés dans les espaces ruraux dépassent largement le strict cadre du songe et contribuent à des prises de conscience, des évolutions personnelles, des engagements nouveaux.
La ruralité n’est pas un monolithe. C’est un espace vivant, dont les populations n’ont rien à envier aux autres, plus urbaines, en matière de compétences, de cultures ou de solidarités. Ce que montre par exemple le sociologue Benoit Coquard qui analysent les liens sociaux des jeunes habitants des campagnes françaises dans on ouvrage de référence, “Ceux qui restent”. Ces retombées sont difficilement quantifiables car elles s’inscrivent dans un temps long.
D’autres impacts sont évidents : sur l’économie locale par la stimulation des circuits courts, le soutien à l’artisanat et à l’agriculture paysanne, sur les différents types de patrimoines avec la restauration de bâtiments anciens et leur remise en fonction ou le remembrement dans des espaces agricoles, sur la vie sociale par des échanges interculturels et la dynamisation de villages qui refusent l’isolement et le déclin que des décennies d’exode avaient fini par rendre exsangues.

Vers une utopie rurale ?
Le voyage rural doit rester fidèle à ses valeurs. Les écueils peuvent être nombreux et il convient pour les acteurs de préserver l’authenticité en évitant la folklorisation et la sur-commercialisation, de gérer la capacité d’accueil en ne pas reproduire les excès du tourisme de masse et la politique du “toujours plus”, en formant les acteurs locaux par exemple à l’accueil, à la médiation culturelle ou la sensibilisation environnementale.
C’est ce que pratiquent par exemple les Parcs naturels régionaux (PNR), créés par décret du Général de Gaulle en 1967. Les 59 PNR existants à ce jour sont de cinq missions : le développement économique et social ; la protection du patrimoine naturel, historique et culturel, et du paysage ; la participation à un aménagement fin des territoires, notamment en participant à la cohérence de l’urbanisation ; l’accueil, l’information et l’éducation du public aux enjeux environnementaux et culturels ; l’expérimentation de nouvelles formes d’action publique et d’action collective. La marque récemment créée “Destination Parcs” a pour ambition de générer de nouvelles ressources en élargissant les potentiels visiteurs et d’optimiser l’effet destination nationale sur chacun des Parcs. Le côté humain et engagé des Parcs y est mis en avant : les Parcs sont des “espaces d’avenir où l’on rencontre des hommes et des femmes, acteurs du changement et de la transition écologique, où l’on découvre les terroirs et la culture au milieu d’une nature préservée et dans lesquels on peut prendre le temps de faire une pause et profiter de ce qui compte vraiment ». Ce positionnement s’appuie sur un concept, ”l’Utopie Rurale” : à la fois durable, slow, social et présentant des offres designées et modernisées.
