Tourisme 2030 : GenZ ou Game over

Publié le 4 septembre 2025
12 min

Un boomer qui écrit sur la GenZ, c’est comme si Michel Drucker tentait de présenter un live Twitch pour commenter des vlogs TikTok de vanlife au Ladakh. On n’est pas loin du malaise. Et pourtant, il faut s’y coller. Parce que comprendre la Gen Z aujourd’hui, c’est anticiper ce que sera le tourisme de demain – ou disparaître avec ses PowerPoint. Comprendre cette génération n’est plus une option, c’est une condition de survie.

Un poids économique qui explose d’ici 2030

Les Zoomers (nés ~1997-2012) ne sont plus des touristes en devenir. Ils sont déjà là, et en force. En France, ils forment près d’un quart de la population et représentent 23 % du tourisme international, soit 336 millions de voyageurs annuels .

D’ici 2030, leur poids économique pesera lourd : déjà 63 % d’entre eux ont acheté un produit touristique en 2024, et ils prévoient d’y consacrer encore plus cette année . Et on ne parle pas de cartes postales. Autrement dit, leur poids économique explose – possiblement autour d’un tiers du marché d’ici 2030 si la tendance se maintient.

Cette génération n’est donc pas qu’un futur lointain : elle voyage déjà maintenant. Plus de 80 % des 18–34 ans français sont partis en vacances au moins une fois l’an dernier, dont près de la moitié au moins 3 fois. En moyenne, les Gen Z font 3 voyages loisirs par an – autant (voire plus) que leurs aînés. Leur rôle dans les choix familiaux est également déterminant : 57 % des 18–34 ans préfèrent voyager en famille et, fait révélateur, 95 % des parents affirment privilégier le bonheur de leurs enfants dans le choix des vacances. Autrement dit, le « pester power » est réel : les Zoomers influencent fortement les destinations et activités retenues en famille. Ils ne se contentent plus de suivre – souvent, ils impulsent.

En clair : les enfants choisissent, les parents paient.

Comportements touristiques : avant, pendant, après – tout change

AVANT LE VOYAGE : La Gen Z s’inspire et organise ses séjours très différemment de ses aînés. Finis les guides papier ou les sites des OGDs : 53 % des jeunes consultent d’abord les réseaux sociaux pour des recommandations de voyage TikTok, Insta, YouTube… ces plateformes regorgent de conseils et de contenus UGC (User Generated Content) qui font mouche auprès d’eux. D’ailleurs, 70 % des Z ont choisi une destination après l’avoir vue dans un film, une série ou un post viral – les tendances culture pop et les reels de voyage deviennent des offices du tourisme d’un nouveau genre. À force de scroll, ils découvrent des spots émergents hors des sentiers battus. Spontanés, les Gen Z réservent souvent à la dernière minute (jusqu’à 30 % plus enclins à booker à moins de 2 semaines du départ que leurs aînés) et bricolent des itinéraires flexibles. Ils plébiscitent le do-it-yourself digital : comparateurs de vols, airbnb, et désormais ChatGPT pour planifier en autonomie. La voiture reste leur mode de transport favori pour partir (65 % citent la voiture, contre 54 % l’avion et 35 % le train) – sans doute un héritage culturel, mais qu’ils combinent volontiers avec du covoiturage ou des offres multimodales dénichées via des apps.

PENDANT LE VOYAGE : Ces digital natives voyagent avec le smartphone greffé à la main. Ils s’en servent autant pour naviguer que pour partager en temps réel. Stories Instagram du jour, vlog sur YouTube, et maintenant petits moments bruts sur BeReal – la Gen Z exhibe volontiers ses expériences en live. Le voyage est autant vécu que « storifié », dans une quête de partage et de validation sociale (juste histoire de donner le seum aux rageux coincés à la maison ;-)). Cela n’empêche pas une recherche sincère d’authenticité : 50 % des Z citent l’immersion dans la culture locale parmi leurs motivations clés. Ils veulent vivre le pays, manger local (47 % ont déjà organisé tout un voyage autour d’une expérience culinaire !), rencontrer des habitants.

Cette génération alterne volontiers entre les incontournables touristiques et des plans alternatifs recommandés sur le fil d’un influenceur ou d’un guide local. Autre trait marquant : malgré leur image de zappeurs solitaires, ils apprécient le voyage en groupe proche : près de 42 % voyagent pour passer du temps avec famille ou amis. Les vacances restent un lien intergénérationnel : nombreux sont les Z qui reproduisent les habitudes de voyages de leurs parents70 % d’entre eux ne critiquent pas le style de vacances familial et 31 % y adhèrent même complètement. Par exemple, ceux qui allaient enfant à la mer continuent de plébisciter le littoral à l’âge adulte (51 % envisagent encore la mer comme destination privilégiée). On est loin du rejet total : le road-trip estival en famille a encore de beaux jours avec eux.

APRÈS LE VOYAGE : Pas question d’enterrer les souvenirs dans un album poussiéreux. La Gen Z va partager massivement ses retours d’expérience en ligne : posts Insta récap, thread X (Twitter) “bons plans”, vidéo TikTok « POV: je reviens de La Rochelle et voilà ce que j’ai appris… ». Leurs avis et contenus deviennent à leur tour des sources d’inspiration pour la communauté. Ce phénomène d’UGC viral boucle la boucle : la story de l’un devient la bucket list de l’autre. À noter que 45 % des Gen Z font confiance aux recommandations d’influenceurs qu’ils suivent – ils accordent donc un vrai crédit à ces retours personnels (parfois plus qu’aux notes TripAdvisor ou sites officiels). Le bouche-à-oreille 2.0 est leur norme. Les destinations doivent en tenir compte, car un voyageur Z satisfait (ou déçu) peut toucher instantanément des centaines d’autres via ses partages.

En somme, les Zoomers forment une génération tribale hyper-connectée : le voyage se vit collectivement en ligne, avant, pendant, après. Ignorer cette réalité communautaire serait une erreur fatale pour l’industrie.

IA, réseaux, influence : ce que les destinations n’ont PEUT-ÊTRE pas encore compris !

Ultra-connectée, la Gen Z adopte tous les outils numériques pour voyager plus intelligemment (et fun). Réseaux sociaux en tête : 88 % des Zoomers suivent au moins un travel influenceur sur TikTok, et on a vu qu’une majorité s’en inspire directement pour choisir une destination. Le format court vidéo cartonne : challenges, tendances virales (#TravelTok), vlogs rythmés… Leur consommation média fragmentée pousse les destinations à produire du contenu snackable et percutant. Exit les longs discours institutionnels, place aux reels inspirants de 30 secondes. Même l’authenticité de BeReal les séduit, loin des filtres polissés d’Instagram : une opportunité pour les acteurs du tourisme de montrer les coulisses bruts, plus crédibles à leurs yeux.

@danapg_

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Côté technologies émergentes, l’IA générative s’impose comme le nouvel allié du voyageur Z. Planifier un trip en discutant avec une IA ? C’est désormais possible : de plus en plus de jeunes utilisent ChatGPT pour des suggestions d’itinéraire le week-end « hors des sentiers battus », un mail de réclamation bien tourné pour leur vol retardé, ou encore des suggestions de restos vegan à proximité. Les 18–34 ans sont de loin les plus gros utilisateurs de ce genre d’outils pour préparer un voyage (loin devant leurs parents boomers). Et l’industrie s’y met aussi : Expedia vient de lancer Trip Matching, un service qui permet d’envoyer à l’IA un Reels Instagram voyage repéré et de recevoir instantanément une itinéraire complet réservé sur Expedia ! En phase de beta, cette fonctionnalité convertit un contenu social en voyage réel, prête à réserver d’un clic. On le voit, les frontières entre l’inspiration et la réservation s’estompent grâce à l’IA.

Pour les acteurs touristiques, l’IA est une arme à double tranchant : menace pour les intermédiaires traditionnels, mais opportunité pour se réinventer. Des startups comme Cocohop l’ont compris : cette jeune plateforme française met l’IA au service des agences et voyageurs pour concocter du sur-mesure à la volée. 50 millions de points d’intérêts, agents virtuels, planificateur d’itinéraire intelligent… Cocohop intègre notamment l’IA Gemini de Google pour optimiser les recommandations et même suggérer des alternatives plus éco-responsables.

En clair, l’outil automatise les tâches pénibles (recherche d’hébergements, intégration d’API multiples) afin de générer un carnet de voyage en quelques secondes, tout en laissant la main à l’humain pour la touche finale. On est sur du phygital collaboratif : le voyageur co-construit son séjour avec l’IA et l’expertise de l’agent. Ce genre de solution émergente montre comment la Gen Z, avide d’instantanéité et de personnalisation, pousse l’industrie à innover vite et bien. Dans le sillage de ChatGPT, on voit déjà poindre des travel planners virtuels intégrés aux OTAs, des chatbots concierge dans l’hôtellerie, ou encore des traducteurs IA en temps réel pour négocier avec un hébergeur à l’étranger. Demain, l’IA sera bien du voyage – discrète mais partout, au service d’une expérience plus fluide pour ces digital natives.

Bien sûr, tout n’est pas techno : la Gen Z reste sensible à l’humain et aux valeurs. Elle zappe les pubs trop corporate au profit des avis de ses pairs, fuit les formats trop longs, et attend des marques qu’elles s’engagent (environnement, inclusion…). Mais entre leurs mains, chaque nouvel outil – du dernier réseau social au chatbot – devient un accélérateur de voyage. Aux destinations de parler le même langage digital si elles veulent capter cette audience volatile.

OGD : adapt or die

Face à ces attentes, les organismes de gestion de destination (OGD) accusent souvent un sérieux retard. Soyons clairs : brochures PDF, sites web institutionnels ou encore compte facebook ne font plus rêver la Gen Z. Guillaume Cromer le soulignait avec malice dans un article précédent : « on fait surtout du marketing d’influence sur les réseaux de cette génération… Est-ce suffisant ? ». La réponse est non : Pas vraiment. Liker quelques TikToks ou lancer une campagne avec un influenceur ponctuel ne suffit pas pour fidéliser une génération qui cherche de l’interaction, de la reconnaissance, et une vraie place dans le jeu.

Pour espérer capter durablement l’attention des Gen Z, les OGD doivent changer de paradigme : passer d’une communication descendante à une logique participative, immédiate et authentique. Autrement dit, faire AVEC eux, pas juste POUR eux.

Premier défi : adopter les codes des Zoomers.

Ça implique des contenus beaucoup plus visuels, participatifs et instantanés. Certains s’y attellent : par exemple, le Comité Régional du Tourisme Nouvelle-Aquitaine a fait voyager des influenceurs à travers la région pour promouvoir le slow tourisme auprès des jeunes publics internationaux.

Plus récemment, Bourges Berry Tourisme prépare déjà l’après-Jeux Olympiques, avec un plan d’action ambitieux jusqu’en 2028. Pour rajeunir son image et attirer de nouveaux publics, l’office a fait appel en mai 2024 à Elouen Rolland, alias Elouen la Baleine (126 000 abonnés sur TikTok), figure montante des contenus culturels et humoristiques. L’objectif ? Créer une série de vidéos courtes sur le patrimoine local, pensées pour TikTok et Instagram, et adaptées aux codes de la Gen Z. Ces pratiques montrent qu’il est possible pour des destinations de parler aux Gen Z avec leur ton (authentique, fun, engagé). Mais soyons honnêtes, beaucoup d’OGD n’y sont pas…

Deuxième défi : impliquer directement les jeunes dans la conception de l’offre.


La Génération Z veut être actrice du tourisme, pas simple consommatrice. Pourtant, trop peu d’OGD leur donnent aujourd’hui l’occasion de s’exprimer ou de co-créer.

Une piste concrète ? Développer des partenariats avec des écoles et formations en tourisme, pour impliquer les étudiants dans des projets de terrain, des hackathons, des tests d’outils numériques ou des campagnes ciblées. Cela permet de capter en temps réel leurs usages, leurs attentes, leurs codes.

Et au-delà des partenariats ponctuels, une évolution structurelle s’impose : recruter des Zoomers dans les équipes des OGD. Ne serait-ce que pour leur confier la gestion de certains formats sociaux (TikTok, Reels, BeReal…), les intégrer aux campagnes de promotion, ou recueillir leur regard neuf sur les contenus diffusés. On parle ici d’intelligence générationnelle – aussi précieuse que l’expertise métier.

En résumé : parler de la Gen Z, c’est bien. Leur parler, c’est mieux. Travailler avec eux, c’est indispensable.

Troisième défi : tirer parti de la puissance des nouvelles technos sans déshumaniser.

Chatbots, IA, data… Un équilibre est à trouver entre innovation et humain augmenté. Certaines destinations françaises montrent la voie. Provence Tourisme a été pionnier avec MIA, un assistant conversationnel intégré à son site, capable d’orienter les visiteurs via l’IA tout en valorisant l’offre locale. Charentes Tourisme, avec son projet ICIA, pousse plus loin l’approche responsable : l’assistant croise des données mobilité, vélo, événements et hébergements pour encourager des choix durables. Des innovations utiles, à condition de garder une place centrale à l’humain dans la relation.

Enfin, n’oublions pas la fidélisation. Les Z de 2030 seront peut-être de jeunes parents… qui transmettront à leur tour des habitudes de voyage. Les destinations ont donc intérêt à séduire tôt ces futurs voyageurs pour qu’ils reviennent toute leur vie. Comme le souligne une étude de l’Alliance France Tourisme, il faut attirer les jeunes « le plus tôt possible, y compris avec leurs parents, afin de les fidéliser une fois qu’ils seront devenus consommateurs indépendants ». En clair, c’est maintenant, quand ils ont 15–25 ans, qu’il faut gagner leur cœur – pas quand ils auront 40 ans et qu’on aura « perdu » deux décennies de relation.

Et surtout, arrêter de penser qu’ils sont à éduquer. Ce sont eux qui nous rééduquent !

Conclusion : LA JEUNESSE N’est pas seulement l’avenir du tourisme, elle en est dÉja le present

La Gen Z n’attendra pas que le secteur se réveille. Ils voyagent déjà, réservent autrement, influencent les autres, et zappent ce qui ne leur parle pas. Ce sont les consommateurs de demain ET d’aujourd’hui. Vouloir les séduire avec un site internet ou une newsletter mensuelle en Arial 12, c’est comme vouloir draguer sur Tinder avec un fax.

La Gen Z est exigeante, lucide, ultra-connectée.
Mais elle est aussi prête à s’engager – à condition qu’on lui parle vrai, qu’on la respecte, et surtout, qu’on lui donne sa place.

La jeunesse n’est pas seulement l’avenir du tourisme. Elle en est déjà le présent — curieux, exigeant, créatif.
Investir dans la jeunesse, c’est faire le pari d’un tourisme vivant, en mouvement, qui s’explore, se transforme, se partage — à hauteur de celles et ceux qui l’inventent déjà autrement.

« Chaque génération se croit vouée à refaire le monde », écrivait Camus.

Donnons leur les clés !

Sources

  1. « Génération Z et tourisme : briser les clichés »
  2. « Les IA traveler organisent leurs voyages avec une IA, et c’est diaboliquement efficace » – L’ADN
  3. Travelperk : 30+ Gen Z travel statistics and trends [2025 update]
  4. Étude Expedia – Trends & Predictions 2024
  5. Étude Booking.com – Sustainable Travel Report 2023
  6. Podcast Charentes Tourisme – Génération Z
  7. « Trip Matching » par Expedia
  8. Cocohop
  9. Étude ObSoCo – 2023
  10. Étude Generations & Co – Generation Z, 2023

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Gallic GUYOT est Directeur exécutif de Charentes Tourisme. Titulaire d’une Maîtrise de mathématiques pures et ingénieur en technologie de l’information et de la communication, Gallic est passionné d’innovation, de nouveaux modèles, d’opérationnel, de projets plein de sens, d’approches collaboratives, d’efficience, d’agilité…. « Encouragez l'innovation. Le changement est notre force vitale, la stagnation notre glas. »
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