Taxe de séjour et meublés : changement de destinations ?

Publié le 11 décembre 2023
9 min

La taxe de séjour, les moyens publics attribués au développement du tourisme et les politiques restrictives à l’égard des meublés de tourisme, sont des sujets plus liés qu’il n’y paraît. Ils font l’actualité et ils concernent toutes les professions du tourisme. Et si vous êtes pressé, ça peut arriver, allez directement au dernier paragraphe de conclusion.

Le 15 novembre 2023, le gouvernement de la Communauté de Valence en Espagne a supprimé la taxe de séjour. Autorisée voilà à peine un an, cette taxe d’un montant compris entre 0,5 et 2 euros par jour, pour un gain estimé de 30 millions d’euros, a été supprimée à la suite des dernières élections régionales de mai dernier. Le secteur du tourisme pèse 200 000 emplois et 15% du PIB dans la Communauté valencienne. La profession, réunie au sein de la fédération régionale Hosbec, a applaudi à cette décision, arguant du fait que la taxe de séjour qui s’appliquait aux hébergements marchands allait inciter les touristes à recourir davantage à l’économie souterraine du tourisme.

Simultanément, l’Espagne vient d’annoncer avoir accueilli 75 millions de touristes étrangers entre janvier et octobre 2023 soit 18,2% de plus qu’au cours de la même période en 2022 (71,6 millions de touristes étrangers reçus sur l’ensemble de l’année 2022). Et selon les portails publics des statistiques espagnoles, les dépenses ont augmenté de 24,2% sur les neuf premiers mois de 2023… Les principaux marchés émetteurs au cours de la période ont été le Royaume-Uni, avec près de 15,5 millions de touristes et une augmentation annuelle de 14,3%, la France, avec près de 10,4 millions de touristes et une augmentation de 17%, et l’Allemagne, avec plus de 9,6 millions de voyageurs, soit, 9,4% de plus sur un an. Dans le cas présent, il n’y a pas de lien entre la suppression toute récente d’une taxe de séjour et le succès du tourisme espagnol, notamment auprès des marchés émetteurs traditionnels, dont la France, devenue en peu de temps son deuxième pourvoyeur de touristes.

Dans le même temps, la CAT, Confédération des Acteurs du Tourisme, organisme français, a publié le 23 novembre un communiqué manifestant son opposition à la surtaxe de séjour en Ile-de-France « qui pèse sur le pouvoir d’achat des Français et sur notre compétitivité touristique ». La CAT déplore l’adoption à l’Assemblée nationale, sans concertation avec les professionnels, d’une augmentation de 200% de la taxe de séjour à Paris et en Ile-de-France. Et de souligner « le réveil préoccupant de notre principal concurrent l’Espagne, tant en termes de performances commerciales que de fréquentation touristique cette année ».

Photo The New York Public Library – Unsplash

AUGMENTATION DE LA TAXE DE SEJOUR

Ce ne sont pas tant les montants finaux de la taxe de séjour qui posent problème, mais ils s’ajoutent à l’inflation, aux contraintes pesant sur les plus modestes et aux professionnels en nécessité d’explication à leurs clients sur ces évolutions de la taxe de séjour. Ce qui n’est jamais agréable. L’Etat publie les données clefs de compréhension et de niveaux de la taxe de séjour sur ce site, très facile d’accès.

Pour leur part, les voyageurs ou contribuables français peuvent comparer le montant de la taxe de séjour d’une commune à l’autre : encore faut-il qu’ils y pensent et qu’ils découvrent cet autre site.

La comparaison du barème applicable entre 2023 et 2024 indique clairement ce qu’il en est avec un taux d’augmentation de 6% autorisé par l’Etat pour 2024, correspondant peu ou prou à l’inflation. Ainsi pour un palace, le tarif plancher est à 0,70 centimes par jour et par personne en 2024, pour un tarif plafond à 4,60 euros. En 2023, les tarifs de la taxe de séjour de cette catégorie étaient respectivement compris entre 0,70 et 4,30 euros. Pour les campings classés en 3, 4 et 5 étoiles, le barème est compris entre 0,20 et 0,60 euros en 2024, identique à 2023. Jusque-là tout va bien. Mais s’ajoutent des taxes additionnelles, départementale et régionale. Près des deux tiers des départements appliquent une taxe additionnelle. La taxe additionnelle départementale (TAD) a un taux de 10%. Il n’est pas possible pour Département de fixer un taux différent. 

Les taxes additionnelles régionales sont apparues en 2019, en Ile-de-France, en 2023, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, en 2024, en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie. Elles sont instaurées par loi de finances et peuvent entrer en vigueur dans des délais très courts. 4 régions, dont les 3 du Sud, appliquent une taxe additionnelle sur une partie de leur territoire. Les taxes additionnelles régionales (TAR) ont des taux différents. Il est à 15% en Ile-de-France pour 34% en Provence-Alpes-Côte d’Azur, en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie.

Concernant la taxe additionnelle de 200%, non seulement elle alourdira la facture pour le client, mais elle va diminuer la part relative de la recette qui restera à la commune. C’est donc au final, le développement touristique local qui risque d’être pénalisé par une réduction des moyens. La société spécialisée Nouveaux Territoires explique très bien le sujet sur son site.

Photo Adam-Winger – Unsplash

developpement touristique territorial

Autre sujet touristique qui attire l’attention, le projet de loi, dite trans-partisane, qui vise à réorganiser la fiscalité des meublés avec, en ligne de mire, la niche fiscale dont bénéficient les propriétaires de logements de type Airbnb. Les loueurs de meublés touristiques classés profitent d’un abattement forfaitaire de 71 % sur les loyers perçus, contre 50 % pour les meublés classiques, et seulement 30 % pour les locations classiques vides. On estime qu’un million de logements ont quitté le marché de la location de longue durée ces dernières années pour alimenter celui des meublés de tourisme. Les conséquences de cette flambée du nombre de meublés touristiques s’avèrent difficiles dans bon nombre de villes et destinations touristiques : difficulté, voire impossibilité pour les résidents de se loger, ballet des valises à roulettes jour et nuit, métiers de bouche disparaissant des centres villes…

A titre d’exemple, la Communauté d’Agglomération du Pays basque a ouvert le bal en 2022 en visant les locations meublées de courte durée. 11 000 résidences secondaires étaient ainsi visées pour les diriger, potentiellement, vers le marché de la location à l’année. 24 communes littorales et rétro-littorale sont concernées. Depuis le 1er mars 2023 l’autorisation de changement d’usage d’un local d’habitation en meublé de tourisme repose sur un principe de compensation. A savoir, la transformation en logement de locaux non initialement dévolus à l’habitation afin de reconstituer la perte de logements par la création de nouveaux logements. Les nouveaux logements devant être de surface au moins équivalente à ceux faisant l’objet d’une location saisonnière. En outre, ils doivent être situés dans la même commune.

Ce règlement s’adresse aux personnes physiques et morales. Toutefois des autorisations temporaires sont délivrées aux personnes physiques sans compensation dans deux cas :

  • Les locations dites « mixtes » : location étudiante (9 mois minimum) et location en meublés de tourisme (3 mois). Cette autorisation est délivrée pour un an (renouvelable) ;
  • Les meublés de tourisme associés à la résidence principale. Cette autorisation est délivrée pour une durée de deux ans dans la limite d’un logement par propriétaire.

Par ailleurs :

  • Les résidences principales mises en location pour une durée cumulée inférieure à 120 jours ne sont pas soumises à la demande de changement d’usage ;
  • Les autorisations déjà délivrées dans le cadre du précédent règlement (autorisations temporaires de 3 ans) restent valables jusqu’à l’expiration de la date de validité prévue dans le cadre de l’arrêté correspondant, le règlement n’ayant pas d’effet rétroactif.

ESSAI DE MESURE D’IMPACTS ECONOMIQUES LOCAUX

Les effets peuvent ne pas être indolores pour un Office de Tourisme. Nous avons pris pour exemple la saison 2023 dans la belle commune d’Arcangues pour fonder un cas hypothétique et mesurer les effets sur le tourisme local. Ainsi, un meublé de tourisme classé 3 étoiles, accueillant en moyenne 2 adultes et 2 enfants par semaine, sur la base de 100 euros la nuit, pendant 182 jours d’occupation pour 728 nuitées, soit la période d’avril à septembre, a généré une taxe de séjour de 469 euros. Ce montant a été établi via le simulateur en ligne de la Communauté d’Agglomération du Pays Basque. La taxe additionnelle de 34% n’étant pas encore appliquée à ce stade. Selon la volonté des élus pour réinjecter des meublés touristiques dans le marché de la location de longue durée, l’hypothèse de la disparition de 1000 meublés de ce type, se traduirait par une perte sèche de 469 000 euros de taxe de séjour. Soit autant de moins affecté au budget de l’Office de Tourisme du Pays basque. Pour 10 000 meublés de tourisme en moins, plus de 4,6 millions d’euros de perte de taxe de séjour. Ce qui n’est pas anodin pour le fonctionnement et les actions promotionnelles de l’Office de Tourisme.

Par ailleurs, une dépense de 99,20 euros par jour et par personne séjournant en hébergement marchand est indiquée comme une référence par l’Office de Tourisme du Pays basque dans un support de 2020. Soit sur la base de 2 adultes séjournant pendant 182 jours (six mois d’activité), une dépense sur place de 36 102 euros générée par l’occupation de ce même meublé (hébergement et dépenses de vie) et de 36 millions d’euros de volume d’affaires touristiques en moins pour 1000 meublés disparaissant du marché pendant cette période de six mois… La démonstration fonctionne également avec les meublés non classés, taxés sur un forfait de 1 à 5% par commune. Nous voyons donc que les effets sur l’activité touristique réceptive peuvent être significatifs.

DE POSSIBLES CHANGEMENTS DE CLIENTELES

Le sujet est d’importance car le tourisme génère des ressources d’animation, d’observation, d’information et de promotion touristique à l’échelle locale. Réduire l’activité touristique, c’est réduire aussi, ou tout au moins redéployer l’économie locale. Pourtant la question du logement permanent n’a pas surgi brutalement, les maires étant les acteurs clefs en matière de délivrance de permis de construire. D’ailleurs, au Pays basque, ce sujet est abordé depuis fort longtemps comme une préoccupation majeure. Partout en France, on constate que l’on n’a pas assez construit de logements et notamment sociaux. La Fondation Abbé Pierre vient de produire une note étayée sur le sujet. « Sur 1 031 communes soumises à la loi SRU, 659 n’ont pas atteint leurs objectifs 2020-2022, soit 64 % des communes, alors qu’elles n’étaient que 47 % dans ce cas-là trois ans plus tôt. Au total, alors que les objectifs agrégés de production Hlm étaient de 278 177 logements, seuls 186 124 ont été produits dans la période (40 000 de moins qu’en 2017-2019) ».

Par ailleurs, une partie des professionnels du tourisme critique les augmentations de taxe de séjour, mais la flambée des prix, notamment dans l’hôtellerie parisienne, n’a pas heurté ces mêmes acteurs. Mon ami et collègue Mark Watkins a récemment souligné les fortes hausses de prix dans l’hôtellerie parisienne.

Se loger à Paris ou dans certaines grandes villes de France lors de l’été et de l’automne dernier a été ruineux : des prix habituellement voisins de 120 à 150 euros la nuit, sont allègrement passés à 300 euros la nuit. Qui peut suivre ? L’augmentation des taxes additionnelles est donc un sujet à ne pas négliger, mais elle ne doit pas masquer les fortes augmentations tarifaires des hébergeurs français, les campings ayant également augmenté leurs prix à l’hiver 2022-23 pour finaliser enclencher des promotions en juin et juillet 2023.

Pour beaucoup d’habitants de ce pays, qui ont du mal à joindre les deux bouts et pour des élus en recherche de solutions, notamment depuis la disparition de la taxe d’habitation, taper sur le tourisme et les touristes est un moindre mal. Il suffit de parcourir les commentaires des articles de la presse régionale, y compris là où le sujet n’existe pas, pour lire l’utilisation en masse du mot surtourisme. La plupart des communes iront donc augmenter la taxe de séjour au plafond autorisé par l’Etat. La taxe de séjour et ses taxes additionnelles continueront à augmenter alors que par endroits, on voudra réduire la pression des plateformes touristiques de locations meublées, diminuant par là-même l’apport de la taxe de séjour et des dépenses sur place pour l’activité touristique et commerciale. Idem pour la surtaxe pouvant aller jusqu’à 60% pour les résidences secondaires.

En conclusion, il est fort probable que les destinations françaises vont devenir plus chères, qu’un changement de clientèle va s’opérer, que l’Espagne attirera de plus en plus de Français, Britanniques et Allemands. Il faudra donc inventer de nouvelles solutions marketing pour les destinations et leurs offices de tourisme en recherche de repositionnements stratégiques sur des marchés à plus forte contribution. Tout cela alors que le mois de juillet 2024 verra un reflux des Franciliens vers les destinations touristiques pour éviter les contraintes en matière de déplacement, liées aux JO.

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François Perroy est aujourd’hui cofondateur d'Agitateurs de Destinations Numériques et directeur de l’agence Emotio Tourisme, spécialisée en marketing et en éditorial touristiques. Il a créé et animé de 1999 à 2005 l’agence un Air de Vacances.  Précédemment, il a occupé des fonctions de directeur marketing au sein de l’agence Haute Saison (DDB) et de journaliste en presse professionnelle du tourisme à L’Officiel des Terrains de Camping et pour l'Echo Touristique. Il [...]
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