
« Tu dois te faire une raison, tu es une PMR ! ». Cette phrase, c’est mon associé Denis Genevois qui l’a prononcée à mon attention, il y a quelques semaines. Et oui, c’est maintenant une évidence : depuis quelques années, mes difficultés pour me déplacer font de moi une PMR. Et si je profitais de ce statut pour faire le bilan de différentes expériences client vécues au cours de ces dernières années ? Comment en tant que PMR ai-je été accueillie ?
« Derrière ces trois lettres un peu froides – PMR – il y a des réalités très différentes. Dans mon cas, je marche, mais plus lentement, moins longtemps, avec quelques appréhensions sur certains terrains. La plupart du temps, ça ne se voit pas tout de suite. Jusqu’au moment où le trottoir est trop haut, où l’escalier est inévitable et où la distance à parcourir devient décourageante.
Depuis que mes déplacements sont devenus plus compliqués, je regarde le tourisme autrement. Chaque visite, chaque séjour, chaque déplacement devient une sorte de test grandeur nature de l’accessibilité, qu’elle soit physique, humaine ou organisationnelle. Et les résultats sont… très contrastés. » Je pourrais vous parler de nombreuses expériences, mais j’ai eu envie de m’arrêter sur deux situations.
Le malheur des tables hautes
Le label Tourisme & Handicap ou Access-I (en Belgique) valorise les entreprises touristiques qui s’engagent activement dans l’accueil des personnes en situation de handicap. Peut-être que votre structure fait déjà partie de ces établissements labellisés. Si c’est le cas, bravo! Mais j’aimerais vous demander : L’accueil de personnes handicapées est-il toujours intégré dans vos actions ? Qu’en est-il de vos événements pros ?
Au cours d’une année, de nombreux colloques et conférences sont organisés par et pour les acteurs pros. A chaque fois, un temps est consacré aux rencontres informelles autours de tables…généralement hautes. Cela peut vous sembler anecdotique, mais quand on est PMR, ce moment est souvent signe de difficultés et d’exclusion silencieuse. Impossible de s’assoir pour profiter du moment à la même hauteur que les autres, difficile de suivre les conversations. Et même si quelques chaises sont prévues, elles sont souvent inadaptées. Lorsqu’on a un problème de mobilité, il est compliqué, voire parfois dangereux, de s’y installer ou d’en descendre.
Ce type de situation, je l’ai vécu à de très nombreuses reprises au cours des deux dernières années. Je voulais la mettre en avant car je la trouve paradoxale avec le fait que lors de ces événements, on parle de qualité, d’écoute, d’inclusion et de l’importance d’accueillir tous les visiteurs. Mais sans doute que dans l’imaginaire des organisateurs, tous les socio-pros sont en pleine forme et donc ne demandent pas d’attention spécifique ?
Lors de votre prochain événement pro, demandez-vous comment vous pouvez transformer l’expérience de vos participants « moins en forme » : quelques tables basses et des chaises stables, un espace assis intégré dans la conception de l’événement. Il suffit souvent de quelques toutes petites choses.
L’attention humaine
L’accueil, la bienveillance, l’attention : voici les mots certainement les plus utilisés dans le tourisme. Il est probable que sur votre site web, dans votre communication, vous avez repris ces termes. Et je ne doute pas que ceux-ci sont au cœur de votre travail au quotidien. Mais parfois, entre les intentions et la réalité, l’écart est grand et il peut alors profondément impacter l’expérience du visiteur.
Cette situation, je l’ai vécue à plusieurs reprises lors de visites de sites touristiques, patrimoniaux… Le point commun entre ces expériences ? : nous étions en groupe et j’étais la seule à connaître des problèmes de mobilité. A chaque fois, le même constat : j’étais transparente.
Je me souviens très bien d’une visite de caves en Champagne. Durant la visite, impossible de m’assoir alors que la visite était plutôt statique. A aucun moment, la personne en charge de celle-ci ne m’a proposé de quoi m’assoir. Le clou du spectacle est arrivé à la dégustation. J’ai demandé une chaise. Réponse : « Désolée, il n’y en a pas. ». C’est mon associé qui est sorti sous la pluie pour aller chercher une chaise qui traînait dans la cour. A ce moment-là, j’avais juste besoin d’un peu d’attention et de bienveillance.

La différence entre « accueillir » et « faire visiter » tient parfois à ce minuscule détail. Certes mon handicap n’est pas très visible. Mais le fait que je marche avec une canne ne devrait-il pas être un indice clair ? Peut-être que dans l’esprit de cet « accueillant », PMR = personne en chaise roulante. Je me souviens d’autant plus de cette visite que, quelques semaines plus tard, j’ai vécu une expérience exemplaire lors d’un séjour en Egypte. Dès mon arrivée sur le site, une personne s’est dirigée vers moi pour me demander si j’avais besoin d’aide pour franchir les quelques marches. Tout au long de la visite, on m’a régulièrement proposé une chaise pour faire une pause. Ce n’était pas grand-chose, mais ces petits gestes ont tout changé. L’humain était présent, attentif. J’avais ma place dans le groupe et dans la visite. J’ai vécu ce moment pleinement alors que quelques semaines avant, l’inconfort de la visite a fait que je n’ai rien écouté et je ne pensais qu’à une chose : quand cela va-t-il finir ?
Une bonne pratique pour s’inspirer : En Ecosse, certains sites patrimoniaux proposent aux visiteurs des sièges pliables en libre-service. Une attention efficace, bien pensée et non stigmatisante.
(Photo personnelle)
Bien communiquer, c’est aussi accueillir
Je préfère mille fois lire sur un site web « le site n’est pas adapté aux personnes ayant des difficultés pour se déplacer » plutôt que de le découvrir par moi-même, une fois sur place. Trop souvent, les destinations ou sites touristiques semblent ne pas oser dire la vérité sur leur limites d’accessibilité. La peur de faire fuir du public ?
Mais en réalité, c’est l’absence d’informations honnêtes et claires qui est à l’origine de la double peine pour le visiteur PMR : La déception (car on vient toujours avec l’espoir de vivre une expérience complète) et le sentiment de ne pas être considéré (comme si notre venue importait moins que celle des autres visiteurs).
Communiquer honnêtement, ce n’est pas décourager, c’est respecter. Cela nous permet de préparer notre visite en connaissance de cause, de trouver des solutions alternatives, de vous contacter pour en parler…Une information claire et transparente suffit à créer une relation de confiance et ce, même si le site n’est pas totalement accessible ! Ce qui est vécu comme une exclusion lorsque l’on découvre des obstacles imprévus peut devenir une marque de respect lorsque l’information est donnée à l’avance. En tourisme, comme ailleurs, la sincérité fait partie intégrante de l’accueil.
Un enjeu de société
Si j’ai eu envie de vous parler un peu de moi et de mes expériences, c’est surtout parce que celles-ci, qu’elles soient négatives ou positives, ne concernent pas que moi. Elles sont le reflet d’un enjeu de société. La population européenne vieillit. L’INSEE projette que d’ici 2060, les plus de 60 ans représenteront un tiers de la population (21% en 2024).
Cela signifie très concrètement que, dans les années à venir, une part croissante de vos visiteurs (mais aussi vos partenaires pros) aura des besoins spécifiques, qu’ils soient liés à l’âge, à une mobilité réduite ou à des limitations temporaires (béquilles, opération, fatigue…). Pour les professionnels du tourisme, se préparer à accueillir ces visiteurs, ce n’est pas seulement répondre à une obligation morale ou réglementaire, c’est surtout s’adapter à la clientèle de demain.
Ces visiteurs ont des attentes simples : se sentir accueillis et respectés. Ainsi, se préparer à cette évolution, ce n’est pas seulement installer des rampes ou prévoir des chaises, c’est aussi instaurer une culture de l’accueil spécifique et inclusif. Cela passe par une attention pour l’autre, la capacité de remarquer les difficultés sans les nommer, une information claire et honnête, une équipe sensibilisée et capable d’un petit geste qui change tout, des aménagements simples mais réfléchis pour que chacun trouve sa place.