Les Offices de Tourisme face aux crises climatiques

Publié le 29 août 2022
7 min
Bonjour la saison touristique 2022 : sècheresses, incendies gigantesques, orages dévastateurs… Du littoral Atlantique à la Corse, les zones touristiques ont pris cher, avec leurs cortèges d’évacuation de campings, d’interdiction de baignade en rivière ou de balade en forêt, de fermetures d’activités, etc. Comment les Organismes de Gestion de la Destination sont-il armés pour gérer ces crises estivales ?

J’ai vécu deux expériences sur ce sujet cet été.

En juillet, je travaillais sur une destination touristique du quart Sud-Est, à la rencontre de prestataires de tourisme, en pleine période de sécheresse. Les rivières, atouts majeurs de la destination étaient à niveau très bas, de fin d’été, et les activités nautiques (canoë) de plus en plus compliquées. Je me suis alors rendu compte du cruel déficit d’information existant : personne, dans les campings ou les hébergements, n’était vraiment au courant de ce qui était permis ou interdit en terme de baignade, et évidemment des rumeurs se propageaient : « la préfecture va tout ferme à partir de lundi », « tel maire aurait pris un arrêté pour interdire la baignade, etc. ».

En debriefant de cette situation avec les Offices de Tourisme de la destination, il s’avère qu’eux non plus n’avaient pas plus d’informations précises, et qu’en outre, ils n’avaient pas intégré de système de veille, de permanence, d’alerte face à ce que qui se tramait comme une vraie crise sécheresse pour le mois d’août, avec l’insatisfaction client que cela pouvait générer. Non, les Offices de Tourisme étaient comme spectateurs d’un phénomène, et poursuivaient leur vie normale estivale, entre accueil dans les BIT et hors les murs, saisonniers, et gestion des congés des permanents…

Ce mois d’août, j’ai échangé avec Rémi Planton, le directeur de l’Office de Tourisme de Bisca Grands Lacs dans les Landes, qui prenaient quelques jours de repos après un mois de juillet de folie : durant les méga-incendies de Gironde, la station de Biscarrosse Plage était à la limite de l’évacuation totale. Le directeur s’est donc retrouvé H24 en cellule de crise avec mairie, pompiers, etc. dans le cadre du Plan Communal de Sauvegarde. Il avait notamment mission de chiffrer le nombre exact de touristes présents à l’instant T sur la commune, en cas d’évacuation. « Une expérience traumatisante, mais très riche sur le plan humain » me confiait Rémi.

J’imagine votre réaction en lisant ce biller : « Alors quoi, j’ai fait des études de tourisme où on me parlait marketing et croissance, je suis aujourd’hui directeur/rice d’une destination sympa, où je pourrais me croire au club Méditerranée, et d’un coup, d’un seul, on me la joue film catastrophe !« 

Considérons plutôt que c’est dorénavant le quotidien des Organismes de Gestion de Destination : gérer des crises, et notamment des crises liées au climat. Et si on réfléchit bien, ça fait maintenant pas mal d’années que ça dure, et que les Offices de Tourisme s’adaptent aux situations plutôt que de les prévoir.

La communication à adapter, mais comment ?

En m’intéressant au sujet, je suis allé visiter les pages Facebook des Offices de Tourisme de Corse, pour voir comment ils avaient pu participer à l’information après les orages dévastateurs qui se sont produits le 18 août, en pleine saison touristique.

La première certitude, c’est que les community manager des Offices de Tourisme font bien leur boulot : de nombreux posts idylliques, mettant en avant une superbe nature ou des photos de vacances, étaient programmés pour le jeudi 18 août, et on été publiés. Mais peu de posts concernant directement les orages, si ce ne sont des republications d’alertes de la préfecture ou de la mairie, ou quelques annulations d’évènements. Mais pas de message d’informations précises, de soutien aux établissements perturbés,

Si on scrolle la page sur le mois d’août, on a globalement une impression de belles vacances, comme s’il ne s’était rien passé.

La situation n’est pas uniforme partout, en terme de communication. Ainsi, sur la page Facebook de l’Office de Tourisme de La Teste de Buch en Gironde, très impacté par les incendies, avec évacuation de la population, les informations de la mairie étaient systématiquement traduites à destination des touristes étrangers.

Mais communiquer sur les réseaux sociaux n’est pas simple. Ainsi, dans les Gorges du Tarn, Margot Dumas, qui est en charge des réseaux sociaux, m’expliquait qu’il était déjà très compliqué d’avoir les bonnes infos sur les zones ouvertes, fermées, la qualité de l’eau, etc. Les Offices de Tourisme ne sont pas dans les circuits officiels d’information aujourd’hui. Et puis, communiquer sur la limitation d’une activité économique essentielle (comme dans ce cas précis baignade ou canoë) provoque évidemment de nombreux commentaires et donc un travail de modération. Sans compter les interventions des prestataires touristiques!
On peut donc imaginer (et réagissez dans les commentaires) que nombre d’OT se sont posés la question de leur communication sur les réseaux cet été!

Les Offices de Tourisme, oubliés des dispositifs.

Je suis allé regarder en quoi consistait un PCS, un Plan Communal de Sauvegarde. Existant depuis 2004, ce plan est obligatoire dans les communes concernés par des risques naturels, et facultatif dans les autres.

En cherchant ce qui est relatif au tourisme dans le « guide pratique d’élaboration d’un plan communal de sauvegarde » rédigé par le ministère de l’intérieur, je n’ai trouvé qu’une mention. En effet, il est conseillé, dans le chapitre « recensement des enjeux humains », de s’adresser à l’office de tourisme ou la CCI pour identifier la population totale dans certaines périodes particulières (la saison). L’Office de Tourisme n’est pas plus concerné que cela, alors qu’il est en lien direct avec les professionnels du tourisme et possède malgré tout des compétences et outils d’accueil et d’information.

De l’adaptabilité des OGD

Si les acteurs locaux du tourisme, comme les OT, ne sont pas forcément organisés pour gérer des crises subites, en pleine saison de surcroit, on peut reconnaître qu’ils s’adaptent très vite, et avec agilité. Je me souviens des images de l’Office de Tourisme Menton Riviera et Merveilles, territoire où la tempête Alex avait détruit plusieurs vallées du haut pays en octobre 2020. Quelques heures après, l’Office de Tourisme était réorganisé pour gérer les dons des particuliers aux sinistrés.

Durant les incendies de Gironde, l’équipe du Domaine départemental d’Hostens s’est transformée pour accueillir et restaurer jusqu’à 1000 pompiers par jour, dans cet espace touristique transformé en gigantesque base de secours!

Ca peut aussi nous arriver !

Comment s’adapter à cette conséquence majeure du changement climatique que sont les crises ? C’est d’abord une question selon moi d’état d’esprit et de prise de conscience : il n’y a plus de zone « safe », où le tourisme ne serait jamais impacté par une catastrophe naturelle. Tout organisme de gestion de la destination peut d’ores et déjà se préparer à être impacté un jour ou l’autre sur son territoire, en saison, comme hors-saison.

Il y a donc une « culture générale de la crise » à acquérir en interne. Les réseaux professionnels, au niveau départemental et régional, peuvent jouer un rôle important, en privilégiant des journées techniques sur ce thème, avec retour d’expériences, témoignages, etc.

La deuxième initiative serait selon moi de prévoir une « permanence climat » dans chaque organisation, ou à une échelle plus large (un bon sujet de coopération territoriale, non?). Cette permanence est essentielle durant la saison estivale, de manière à ce que les OGD ne restent pas à coté de ce qui se passe, et puisse anticiper les crises anticipables : comme par exemple l’arrêt prévisible de certaines activités par manque de ressources naturelles.

La troisième initiative serait de pouvoir mettre, en cas de crise, toutes les compétences de la structure directement au service du collectif. Et dans un OGD, ces compétences sont nombreuses et utiles. Que ce soit à l’accueil, mais aussi dans les services communication ou animation. Il y a sans doute à envisager une bascule en mode « gestion de crise » de l’ensemble de la structure. Il ne s’agît pas, selon moi, d’établir un énième process, qui dans tous les cas, ne sera sans doute pas en phase avec la nature de la crise. Mais plutôt, à l’instar du Plan Communal de Sauvegarde, de de bien maitriser l’ensemble des ressources disponibles et de pouvoir rapidement les mobiliser.

Enfin, il faut sans doute que pour l’avenir, les Organismes de Gestion de la Destination, et notamment les Offices de Tourisme, soient localement reconnus comme des acteurs essentiels de la gestion de crise. Et qu’ils ne soient pas juste sollicités au moment où ça arrive. Peut-être un sujet à aborder lors d’une prochaine rencontre avec la collectivité ou avec la préfecture?

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Jean Luc Boulin est consultant en tourisme : Intervention auprès des élus et des prestataires touristiques, coaching, accompagnement des équipes et des directions sont ses principaux champs d'intervention. Avec deux exigences : se mettre à la place du client et oser l'innovation. Directeur de l’office de tourisme de l’Entre-deux-Mers (Gironde) et du pays d’accueil touristique du même nom pendant plus de dix ans, Jean Luc Boulin a dirigé la MONA [...]
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