“Le tourisme en transition », un rapport qui interroge autant qu’il propose

Publié le 12 mai 2023
6 min
Le 13 avril dernier le Groupe SCET associé à Sociovision (voir ci-dessous) a publié un livre blanc « Le tourisme en transition : le défi du passage à l’action » que vous pouvez vous procurer en suivant le lien.

Une lecture très intéressante dont je ne vous ferai pas l’exégèse puisque Tourmag l’a faite et bien faite !
Sachez que vous y trouverez une compilation de données bien mises en perspective pour expliquer l’impact écologique du tourisme, une analyse très pertinente et argumentée du paradoxe de la demande, un cadre méthodologique pour construire une référentiel durable de destination et 11 axes d’action pour agir concrètement sur le terrain. Je vous invite et vous conseille de télécharger ce livre blanc derechef pour mieux structurer vos réflexions sur le sujet.

Un point de vigilance

« Si le tourisme durable reposait jusqu’à présent à parts égales sur le triptyque environnement, société et économie, la donne a changé. Le défi environnemental est désormais un prérequis pour pérenniser ses effets vertueux sur le développement local. »
Le tourisme en transition : le défi du passage à l’action – page 2

La synthèse du livre s’engage sur cette affirmation.
L’enjeu environnemental provoque une prise de conscience, cela paraît incontestable. Mais cette formulation pourrait laisser croire qu’il est prépondérant par rapport à l’enjeu social et économique, les deux autres dimensions du tourisme durable. Cela semble à tout le moins maladroit, voire dangereux. 

Par exemple, réduire l’impact environnemental simplement en limitant la fréquentation par l’argent deviendrait acceptable et durable au nom même de cet enjeu “prépondérant” ? Les effets sociaux seraient sans doute assez dévastateurs, voire insupportables pour les populations locales. Dans le même registre on a vu récemment un élu proposer qu’on exclue les touristes des contraintes de rationnement d’eau au nom de la désirabilité de la destination et des retombées économiques induites !
À l’évidence, les auteurs du rapport ne préconisent pas ce genre de solutions, mais l’affirmation de l’urgence écologique ne doit pas distraire de la dimension sociale et économique, au risque de voir émerger des solutions inefficaces et surtout inappropriées pour les habitants.

L’inclusion plutôt que l’exclusion constitue le seul terreau d’un tourisme acceptable et accepté.

Des solutions pour verdir plus que pour ré-inventer

Globalement ce rapport passionnant fait une analyse solide et liste des axes de travail concrets et signifiants.

Mais il me semble que l’étude reste ancrée dans le process de l’industrie touristique actuelle. On voit pourtant émerger de nombreux concepts et projets qui interpellent la notion du tourisme. 
La lecture de ce rapport pousse notamment à se demander si la solution tient plus du “verdissement” de l’industrie touristique actuelle que de la re-culturation du voyage, c’est-à-dire en redéfinir l’ambition pour le voyageur et pour l’accueillant.

Comme dirait l’autre, on répondra par la formule : les deux mon capitaine !

Sauf avis contraires des spécialistes des questions d’impact environnemental, le béotien que je suis trouve que toutes les propositions du livre blanc vont dans le bon sens pour réduire les impacts de l’activité touristique sur les milieux. Il me semble pourtant qu’au delà de ce travail il faut davantage s’interroger sur une nouvelle approche du tourisme.

Ré-inventer le tourisme ?

Du voyage au produit…

Depuis le XIXè siècle et l’émergence de la tradition du fameux “tour” (voyage) pour marquer la fin des études pour la jeune aristocratie anglaise grâce à l’essor du chemin de fer en Europe, le tourisme s’est construit autour d’une politique de consommation des territoires pour répondre à une demande d’ailleurs des populations des pays développés. 

Au fil du temps et par une logique de production de masse, cette politique de l’offre s’est progressivement massifiée et standardisée autour de marques commerciales et/ou territoriales, de “totems” incontournables (pyramides, Tour Eiffel, Mont Saint-Michel, Venise, …), de formules de vacances (Club Med, gîtes ruraux, resorts “all inclusive”, etc.), pour répondre aux différents segments du marché. Les opérateurs de cette marchandisation du voyage, comme pour d’autres biens de consommation (la voiture par exemple), ont largement stimulé les représentations sociales induites : je suis quelqu’un d’important si je peux me payer un voyage lointain, une voiture de luxe, le costume d’un grand couturier, etc.
Ainsi, à la visite des lieux emblématiques comme représentation du désir d’ailleurs, vint s’ajouter la fierté de montrer que l’on peut se les “payer”. La manie des selfies devant les monuments ou même les magasins de grandes marques avec la preuve de son achat (j’en ai été le témoin à Paris !) illustre parfaitement cette mécanique du paraître.
Grâce au développement économique mondial, une part de plus en plus importante de la population mondiale accède dorénavant aux produits touristiques marketés par les grands opérateurs et les destinations. La progression des flux semble inexorable et infinie avec, pour les territoires les plus désirés ou les plus fragiles des impacts négatifs problématiques.

Historiquement « développeur » des territoires, le tourisme
est désormais parfois perçu comme « destructeur ».
Le tourisme en transition : le défi du passage à l’action – page 8

Manifestement, ce modèle s’enfonce dans une impasse écologique quant à ses impacts et une impasse sociale quant à son acceptabilité (les touristes « dérangent » les habitants… qui votent aux élections locales…). Bien évidemment, de nombreux territoires encore peu mis en tourisme ne voient pas ces risques avec la même acuité. Néanmoins, du point de vue du territoire, la manière d’envisager l’activité touristique se transforme peu à peu dans la logique des conclusions de ce rapport.

Du produit à l’aventure humaine

La transformation du rapport au travail, l’allongement du temps libre, le passage de l’économie du bien à celle du lien, la montée en puissance d’un web 3 « communautaire », la prise de conscience écologique, etc., sont autant de signaux faibles qui interrogent la pratique touristique.

L’enrichissement humain, l’immersion dans une communauté territoriale, culturelle, sportive ou autre, la recherche de sens, les échanges non marchands (et j’en oublie sans doute), représentent des motivations, certes encore minoritaires, mais manifestement en progression. Et il semble bien que, globalement, l’industrie touristique, même verdissante, ne puisse y répondre avec pertinence.

Aujourd’hui de nombreux signaux faibles d’un « nouveau » tourisme apparaissent comme le manifesto WYTLAND dont je parlais dans ce billet. On peut également en repérer les prémices dans le woofing, les greeters, les micro-aventures, les tracances (travail et vacances mêlés) et les systèmes d’échanges de maisons par exemple.
Ontologiquement, ce nouveau tourisme sera difficilement compatible avec le système de production touristique actuel, fondé sur une approche exclusivement marchande. Par contre il offre une perspective nouvelle en phase avec les enjeux de durabilité.

Des lors, les territoires pourraient par exemple s’affirmer comme destinations à mission, à l’instar des entreprises à mission. Affichant leur raison d’être et leurs valeurs, elles pourraient ensuite se tourner à la fois vers leur population pour sensibiliser, éduquer, mobiliser les habitants pour de nouvelles formes d’échanges, et vers les nouveaux touristes pour stimuler leur imaginaire et par là-même leur désir d’immersion. Là-aussi, certaines initiatives vertueuses sont déjà en place en Auvergne – Rhône-Alpes et en Occitanie et peuvent servir d’exemples pour la mise en marche de dynamiques éthiques.

QUEL NOM POUR ce nouveau tourisme ?

Bien entendu, il est difficile d’imaginer le nouveau tourisme remplacer le tourisme actuel. Les deux vont cohabiter. D’un côté un tourisme marchand qui se transforme pour prendre en compte les enjeux climatiques et de l’autre ce nouveau tourisme fondé sur des échanges non-marchands (ou peu marchands…), l’immersion culturelle, le partage avec les habitants, la réalisation de soi, le service aux autres pourquoi pas ?
Comme je l’ai déjà écrit dans plusieurs billets, il conviendrait de trouver un nouveau nom pour ce nouveau tourisme, afin de le distinguer de l’ancien
et en évacuer les connotations péjoratives, et aussi pour mieux prendre en compte ses spécificités.
J’avais bien une idée (géniale bien sûr !) : ce nouveau tourisme étant fondé sur la qualité des échanges humains, on aurait pu le baptiser ÉCHANGISME… mais il est à craindre que ce terme prête à confusion… 😉
Vos propositions moins frivoles sont les bienvenues

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Paul FABING était directeur de la Mission Attractivité chez Alsace Destination Tourisme.  Architecte de formation, ancien consultant tourisme, chef du service Tourisme de la Région Alsace, directeur de RésOT-Alsace (Réseau des offices de tourisme), directeur du pôle Qualité de l'accueil à l'Agence d'Attractivité de l'Alsace (AAA), il occupe cette fonction depuis 2020. Entre autres missions, la Mission Attractivité gère et anime le système d’information touristique alsacien qui consolide l’ensemble des [...]
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