Redonner du sens et de la valeur au tourisme

Publié le 25 juillet 2022
8 min

Où l’on s’intéresse aux signes du sens du tourisme et à la valeur que ce dernier a et pourrait avoir. Autant nous devons tout mettre en oeuvre pour sauver l’habitabilité de notre planète et simultanément sauver la démocratie de plus en plus griffée, autant il est de notre obligation de mieux conjuguer la liberté d’aller et venir pour se retrouver soi-même avec une maîtrise consumériste. Lors des premières semaines du covid nous étions nombreux à formuler des essais verbaux sur le tourisme d’après. J’étais très hésitant à en parler étant dans l’incapacité complète de dessiner le moindre mauvais croquis. Aujourd’hui les perspectives me paraissent un peu plus claires, c’est l’objet de cet article qui aura certainement des suites que je vous livrerai dans les prochains mois.

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Il en est du tourisme comme de tous les grands sujets qui dépassent la seule volonté organisatrice : ils évoluent, ils sont critiqués, mais ils se réinventent dans des formes inattendues. Nous sommes dans l’un de ces moments charnières. Il est aujourd’hui devenu assez commun en France de critiquer le tourisme. Ses impacts seraient négatifs voire dégradants pour les communautés réceptives. Dans certains cas oui, dans d’autres non. On voudrait parfois le voir remplacé par des aménagements, équipements et services jugés plus utiles aux sociétés locales. Ici par exemple des emplois pérennes et bien rémunérés. On suppose donc que des entreprises également émettrices d’impacts négatifs seraient plus utiles à tel endroit. Là par des logements tant il devient difficile de se loger dans certaines zones. Ce n’est pas tant le tourisme qui est à montrer du doigt : la fréquentation touristique n’est que le reflet de la capacité d’accueil et pour ce qui concerne les grands hébergements marchands, campings et hôtels, leurs capacités ont peu augmenté et cela depuis longtemps (1,3 million de lits en hôtellerie et 2,75 millions pour l’HPA en 2017, pour… 1,23 million pour l’hôtellerie et 2,72 pour l’HPA en 2011) mais plutôt les forces immobilières à l’oeuvre :

  • Des résidences secondaires en plus grand nombre par le fait de locaux qui vendent leurs biens à des citadins quittant les villes,
  • Des programmes immobiliers au prix du m2 impossible à tenir pour des salariés,
  • Les crises successives (subprimes, covid et possiblement celle en cours ou à venir) ont débouché sur des recherches de valeurs refuges et l’immobilier est plus bien plus rassurant que l’investissement entrepreneurial dans l’industrie ou le tourisme par exemple. Créer un hôtel ou à plus forte raison un camping aujourd’hui tient de l’exploit (1 à 2 nouveaux campings par an dans toute la France !).

Les difficultés de la circulation sont aussi pointées. Mais depuis plus de dix à quinze ans on a tout fait pour créer des métropoles concentrées au détriment du soutien à la ruralité (effet gilets jaunes). On contribue à repousser les familles des classes moyennes vers la périphérie par une inflation des prix de l’immobilier, par des contraintes de circulation (insuffisance des transports en commun, cherté du ferroviaire).

Simultanément, les surpressions touristiques de quelques agglomérations (Barcelone, Venise, Amsterdam, Bruges…) donnent l’impression qu’il y a excès touristique en tout lieu et des actions de réduction de l’activité sont impulsées. De même que les effets dégradants du tourisme sont malheureusement bien visibles dans certaines îles comme aux Maldives, notamment avec l’île poubelle de Thilafushi. L’organisation touristique territoriale enregistre des soubresauts bipolaires dans certaines destinations (heureusement d’autres font oeuvre d’intelligence collective et de cohérence) : faites-ci, faites-ça en matière de promotion, demandent (exigent) des actionnaires d’une destination, la masse pour satisfaire les commerçants électeurs locaux et dans le même temps, les gestes en vue de réduire l’activité se multiplient. Il est en effet plus facile de montrer que l’on s’active pour une croissance commerciale dont le tourisme serait un moteur, tout en dénonçant ce dernier qui n’attire pas d’électeurs et flatte les esprits chagrins.

DES COURS DU SOIR POUR TOUS

Si l’on choisit ses combats, je pense qu’il en est un à mener aujourd’hui impérativement dans les destinations, à savoir auprès des habitants, c’est celui de la remise à plat des fausses idées concernant le tourisme. Ses impacts ne sont pas toujours destructeurs, ils peuvent même être très positifs :

  • Il contribue aux équipements publics qui servent autant les habitants que les touristes et sans ces derniers, beaucoup seraient impossibles : piscine, aires de jeux, bases de loisirs, skate-parcs, chemins de randonnées, surveillance des plages…
  • Il permet le maintien, voire l’installation de nouveaux commerces : bars, restaurants, pharmacies…
  • Il facilite la valorisation culturelle : festivals, musées, cinémas…
  • Il contribue au développement de filières agricoles locales : enlevons les touristes dans les régions productrices d’excellents produits du terroir et l’on comprendra son intérêt !
  • Il facilite les migrations des métropoles vers des espaces plus ouverts et par là même des rencontres, des compréhensions qui n’existeraient plus sans lui : quand des militants d’une autre agriculture ou d’engagements prônant plus d’autonomie pour des territoires disposant d’une culture spécifique peuvent parler à des touristes, ces derniers comprennent plus immédiatement des enjeux qu’ils ne perçoivent pas dans leurs régions et villes permanentes
  • Il autorise les rencontres, les discussions, les compréhensions, les remises en question : les vieux Portugais, Espagnols et Grecs qui ont connu des dictatures le savent bien. La liberté ne vient pas du tourisme, mais l’espérance et l’inspiration peuvent provenir du tourisme.

Devenir meilleur a toujours été possible par les rencontres avec les voyageurs qui amenaient des produits et des idées nouvelles : les marchands ont contribué à forger l’inter-connaissance européenne.

Honnêtement quand on pense à tous les sujets que l’école pourrait aborder pour nous rendre meilleurs, on en a le tournis. Et soit l’on s’assied dans sa chambre sans la quitter (il paraît que tout le malheur des hommes vient de ne pas savoir rester en repos dans sa chambre, merci Pascal), soit on s’organiser pour faire mieux et différemment : des cours pour apprendre à être parents, pour apprendre à concevoir et piloter des projets, pour comprendre l’importance du milieu dans lequel on vit, pour saisir l’importance du tourisme et des voyages… A cet effet, des cours ou conférences ou rencontres pour les enfants et les adultes ne seraient pas superflus. Si les habitants des alpages évoquent à juste titre la transhumance comme mode essentiel à l’élevage et au maintien en état d’accessibilité des montages, ils peuvent tout à faire entendre comme l’ont fait leurs prédécesseurs des années 1980 et 1990 que la transhumance touche une grande partie du monde, dans le confort du tourisme et des voyages.

DES VACANCES MOTIVANTES

Lors de l’invention des Congés Payés en 1936, il a fallu se battre pour faire entendre raison aux entrepreneurs et aux bourgeois. Même aux compagnies de chemin de fer qui ne voulaient pas entendre parler du billet populaire de congés annuel. Et pourtant, au-delà de l’action politique et sociale, il y avait aussi une volonté d’oeuvre à l’émancipation, à l’éveil des consciences sur les possibles qui s’offraient. Les vacances étaient un droit, elles étaient aussi portées comme un objectif de créativité. Si l’on partait pour se reposer, nous rappelle Alain Corbin dans son excellente Histoire du Repos, ces dernières années on a lu ici et là qu’avec la baisse du temps de travail, on pouvait partir déjà reposé pour se consacrer aux vacances. Un paradoxe ! Le consumérisme a gagné. Alain Corbin nous rappelle qu’aujourd’hui « le loisir remplace le repos. Il en occupe le temps et en envahit l’espace ». Et Jean Viard évoque une fatigue des esprits qui aurait supplanté la fatigue des corps.

Un article dans le parisien consacré aux Congés Payés en 1936

Heureusement, tous les départs ne sont pas que dépenses, ils peuvent conjuguer l’oisiveté indispensable pour reposer les corps et les cerveaux et des combats : woofing, engagement humanitaires, accompagnement solidaire… Mais force est de constater que ces chantiers se passent plus souvent au bout du monde que dans les quartiers difficiles de France. Hé oui, car au tourisme toujours on associe destination/vacances/transport et l’aventure est toujours plus belle quand elle est lointaine. Et dans la perception générale, le tourisme n’est pas indispensable, il n’est pas une économie de survie. Cependant chacun le considère essentiel à sa qualité de vie, qu’il prenne des vacances ou qu’il regrette de ne pouvoir en prendre. Mais c’est peut-être là qu’il y a de beaux engagements à mener, c’est dans l’engagement social et solidaire de proximité pendant les vacances. Apprendre, transmettre, aider peuvent être plus facilement accessibles aux receveurs et aux donateurs. Ce qui a du sens prend de la valeur. Le Park National Yosemite l’a bien compris en mettant en place une réservation obligatoire. On a pu constater combien tout au long de la série suédoise, 30 degrés en février, la quête de sens s’installait progressivement dans les vies de ces touristes suédois séjournant au long cours en Thaïlande.

Et les évolutions dans l’offre seront certainement à concevoir dans des expérimentations nouvelles. Jean Viard et David Medioni dans L’An Zéro du Tourisme (on note qu’ils n’ont pas utilisé le mot voyage qui a fait l’objet d’un récent entretien, en 3 épisodes, de Jean-Didier Urbain à Tourmag) aux Editions de l’Aube prennent appui sur le besoin de changement d’adresse de nombreux Français (430 000 Parisiens ont quitté Paris pour rejoindre leur résidence secondaire pendant la pandémie et 2,5 millions de Français déménageraient actuellement) pour évoquer des situations de réversibilité intéressante. « Les grandes métropoles risquent de devenir et ce n’est pas négatif des lieux secondaires, secondaires comme l’était la résidence du même nom, c’est-à-dire que son usage va se limiter, pour de plus en plus d’entre nous à deux our trois jours par semaine ». Et d’évoquer des usages multiples pour l’habitat entre occupants de la semaine et ceux du week-end. « L’utopie de la ville à temps partiel est en train de se matérialiser ». Et si l’on reprend les propos de l’universitaire Rémy Knafou, invité aux ET17 de Pau, ils sonnent comme une conclusion positive : « le tourisme est une mondialisation pacifique ». Il ne tient qu’à nous à faire en sorte qu’il devienne aussi une localisation pacifique.

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François Perroy est aujourd’hui cofondateur d'Agitateurs de Destinations Numériques et directeur de l’agence Emotio Tourisme, spécialisée en marketing et en éditorial touristiques. Il a créé et animé de 1999 à 2005 l’agence un Air de Vacances.  Précédemment, il a occupé des fonctions de directeur marketing au sein de l’agence Haute Saison (DDB) et de journaliste en presse professionnelle du tourisme à L’Officiel des Terrains de Camping et pour l'Echo Touristique. Il [...]
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