Je plains les Américains qui ne reçoivent désormais plus de colis postaux en raison des décisions de l’Empereur des Deals (plus d’exemption douanière pour les colis de moins de 800 dollars, adieu donc les envois amicaux de boîtes de chocolats, de mangas ou de conserves d’anchois marinés). Tout a un prix désormais, tout est taxé, y compris les gestes les plus simples comme d’envoyer un souvenir du pays à ce lointain ami californien empêché par des incendies.
Cet été, je ne suis pas parti en vacances. Du monde partout, des prix élevés, les fortes chaleurs et puis l’absence d’envie d’occuper mon temps libre gagné sur mon temps de travail par un temps de dépenses déplacées, expliquent cela. Cependant je me suis échappé plusieurs fois pour de brèves escapades dont certains petits moments ont égayé mon esprit d’observateur des pratiques touristiques.
Petits arrangements
Dans une station balnéaire qui a décidé de faire payer tous ses parkings, alors que je cherchais une place pour mon auto, un coquin adossé à son véhicule stationné m’a proposé sa place pour « 20 balles ». Evidemment, il ne me restait plus ensuite qu’à payer mon stationnement obligatoire à la borne. Il n’y a pas de petits boulots.
Ailleurs, je transitais par une autre station du littoral et à l’heure de l’apéritif, la sillonnant à pied en recherche d’une librairie (oui, quand il fait chaud, je débusque la librairie avant de m’installer devant un verre d’une boisson qui fait sourire), dans une rue bordée de clôtures en bois du bel allant, des chaises et des échelles, bloquaient des places de stationnement ensablées et gerbées d’aiguilles de pins du plus bel effet. Les voisins privatisaient des emplacements de stationnement devant leurs maisons. J’étais piéton, une petite discussion s’engageait en confiance avec l’un de ces résidents qui me confirma que selon le moment de la journée, la place pouvait se libérer pour un temps et un billet donné. « On peut s’arranger ».
Récemment, la presse quotidienne s’est faite l’écho du fait que des habitants de villes maritimes avaient hâte de voir les touristes repartir. L’autre, le touriste, nous encombre de plus en plus. En quelques années, les touristes sont devenus la plaie. C’est assez terrible de se renvoyer l’un l’autre cette mauvaise image, car le touriste d’un jour est l’habitant du lendemain. Aussi, aujourd’hui, certains n’ont plus envie de gêner et ne partent plus, tout au moins au cours de l’été. Mais le sujet des deals va plus loin.

Lisant la presse espagnole, toujours très inspirante sur les faits de société, je découvre qu’à Madrid, piégée par une canicule tenance, la ville ne compte que 25 piscines publiques. Mais elle dispose de milliers de piscines privées. Cette ressource, conjuguée aux fortes chaleurs et au besoin de se rafraîchir a donné des idées aux heureux propriétaires : louons notre piscine, on gagnera du flouze. Cela paiera nos vacances. Admirez le raisonnement de ceux qui ont oublié de lire Pascal et qui, lui, avait une vision précise de l’occupationnel : « Tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. »
Pour quelques heures et une dépense comprise entre 20 et 30 euros par personne, l’affaire est dans le sac. Pas de licence, pas de nuitées, pas de taxe de séjour… Vous louez votre piscine à de parfaits inconnus. Et vous faites œuvre utile en luttant contre les étourdis qui vivent dans des appartements exigus et dépourvus de climatisateur. En matière de deal, la justification morale n’est jamais lointaine.
PAUVRE SOCIETE QUI NE SAIT PLUS OU RESIDE L’ESSENTIEL
Le sujet concerne également les spots de sieste : quelques euros de l’heure pour se retrouver dans un hamac à l’ombre ou dans une petite cellule climatisée, comme dans un hôtel urbain japonais. Dayuse propose déjà depuis des années aux hôteliers des locations à l’heure en journée. Différents opérateurs sont sur le pont pour toutes ces activités comme (liste non exhaustive) Home Camper qui propose la location d’un bout de jardin à des campeurs, Getaround Connect pour des locations de voitures entre particuliers, Kiwiiz pour des locations de jardins, Locavelow pour des vélos et Swimmy… pour des locations de piscines.
Cela s’ajoute aux sites et applications de prêts et locations de matériels entre voisins, ou de ventes à prix réduits de fringues et autres créations personnelles. Le deal est partout, le deal sature l’espace et le temps. Le tourisme n’y échappe pas. En conséquence, cerné de toutes parts, le touriste ou le voyageur peut s’interroger, s’il lui reste quelques connexions neuronales, sur l’intérêt pour lui de se déplacer et de s’exposer au monde des deals. L’aventure n’est plus au bout du chemin, mais l’expérience commerciale oui. Et l’instagrammabilité qui va avec, car naturellement tout cela n’est possible que par le web et ses ramifications. Intéressante initiative de stations de montagne qui louent pour une cinquantaine d’euros (un bon deal), l’équipement individuel pour bivouaquer en montagne. Et faciliter la diffusion des mêmes images de petits matins frisquets se levant sur des tentes plantées en altitude. Car le deal est digital.

La question posée est double : l’usage temporaire d’espaces, notamment urbains, et la rémunération de particulier à particulier. Le quotidien urbain est ainsi transformé en vitrine commerciale. Les usages des logements et de leurs annexes sont fragmentés. La ville perd ainsi en substance de vie, les habitants et les visiteurs en quête de moments placides, regrettent le temps désuet de la nonchalance. Tout est devenu commerce.
TAXEZ, REtAXEZ !
Comme l’idée d’une régulation obligée du tourisme est désormais bien ancrée chez les élus, dans les media, et la population locale, merci aux thuriféraires de l’analyse critique du surtourisme, il ne reste plus qu’à invoquer de nouvelles taxes pour réguler ces faits. Que la taxe de séjour prenne désormais en compte ces moments et occupations d’espaces : je propose que la taxe de séjour soit étendue à la sieste (on dort sur place), à la piscine (on séjourne, voire roupille, dans l’eau), au jardin (on peut s’y endormir à l’ombre d’un micocoulier), à l’auto et au camping-car, forcément : tu stationnes, tu payes, tu dors, tu payes. « La France est un pays extrêmement fertile : on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts » observait déjà Georges Clemenceau. Voilà une belle occasion de réduire un peu la dette. Et juste pour rappel aux citoyens distraits, voire négligents, les revenus de ces activités doivent être déclarés au-delà de 30 prestations et/ou de 2000 euros. Par ailleurs, les plateformes doivent signaler ces montants, à l’échelle européenne.
Ne pouvant plus bouger sans payer, ne pouvant plus envoyer de colis à nos amis américains qui vont devenir affamés, nous resterons cois, chez nous, fixés devant les plateformes et les réseaux sociaux, ne distinguant plus le vrai du faux, avalant tout et n’importe quoi. Auto-domptés, acceptant la coercition permanente. Très bel article consacré au philosophe Jacques Rancière dans le Monde sur notre soumission volontaire. Bref, la monétisation touristique a gagné et l’acceptation de la soumission à la dictature digitale aussi. C’est bien sombre j’en conviens, mais fort heureusement, le réveil vient de sonner, je sors d’un mauvais rêve. Et chic, c’est la rentrée ! Que de belles perspectives devant nous avant les prochaines vacances.