C’est une petite musique qui monte, et dont le volume sonore va s’amplifier dans ces périodes de disette budgétaire et de débats électoraux : « maintenir des bureaux d’information touristique est-il toujours justifié? Regardez, Paris a fermé son Office de Tourisme, et puis, avec l’intelligence artificielle, quel intérêt?«
On peut s’émouvoir, s’indigner ou applaudir à cette réthorique muskienne, mais il est avant tout nécessaire d’analyser les faits, de faire la part des choses, et de trouver ou retrouver de nouvelles voies. C’est ce que je vais m’employer à faire dans cet article…
Oui, l’accueil touristique est menacé
Paris a fermé le 12 janvier 2025 son dernier point d’accueil physique, Spot24, près de la tour Eiffel. Raisons officielles évoquées : baisse de fréquentation, contraintes budgétaires, et montée en puissance des outils numériques. L’importante communication faite autour de cette fermeture a certes mis notre réseau professionnel en émoi. Je ne disserterai pas ici sur le bien fondé ou non de cette décision, mais sur son impact. Depuis six mois, sur tous les territoires dans lesquels je travaille, j’ai toujours entendu un élu, un DGS ou un prestataire touristique faire référence à cette décision de la ville lumière. Il y a donc une petite musique qui monte, et qui accompagne les réflexions locales…
Parallèlement, dans nombre de cas, la fréquentation des Bureaux d’Information Touristique n’a pas décollé, voire elle a régressé. Et même si elle est stable, il existe encore de nombreux BIT qui ne voient que quelques milliers de visiteurs chaque année. De quoi se poser des questions sur leur utilité! Ce dont ne se gênent pas élus ou DGS.
Rajoutons à cela les aspects budgétaires : les collectivités locales sont de plus en plus contraintes, et chaque DGS de collectivité a un leitmotiv : faire des économies. On peut arguer que l’accueil touristique a son financement propre via la taxe de séjour, qui est une fiscalité propre. Oui, mais le milliard de la taxe de séjour fait des envieux, à tous les niveaux territoriaux. Il n’est pas dit qu’elle soit définitivement affectée aux dépenses locales liées au tourisme. Et surtout, dans les communes ou EPCI, les élus seront rapidement tentés de « piocher dans le magot » pour affecter le produit de la taxe à d’autres dépenses que le financement de l’Office de Tourisme.
Baisse de subvention plus baisse de la taxe de séjour : le directeur de l’Office de Tourisme va lui aussi devoir tailler dans les dépenses, et devenir lui-même très favorable à la fermeture de certains bureaux…

Enfin, il y a l’autonomie croissante du visiteur par rapport à l’accès à l’information. Et notamment l’utilisation de l’intelligence artificielle. Si en février 2025 (étude IPSOS) 39% des français utilisent l’intelligence artificielle, ils sont 74% dans la tranche 18-24 ans ! un simple chiffre qui montre l’avancée vertigineuse de l’utilisation de Chat GPT, Gemini ou Mistral dans la recherche. Avec un constat : la création d’itinéraires ou de propositions de séjour est plébiscitée.
De quoi remplacer l’information apporté par l’expert de destination de l’Office de Tourisme? J’entends la réaction immédiate : l’IA n’est pas fiable. La semaine dernière, une équipe de Conseillers en Séjour m’expliquait avoir testé l’IA sur leur destination, et que c’était truffé d’erreurs. Un argument que j’entends souvent… Simplement, leur test datait de la fin 2024. Je leur ai juste fait refaire le test, et mes interlocuteurs étaient scotchés…En quelques mois, les moteurs d’IA ont fait d’énormes progrès pour faire une proposition de séjour. Certes, il y a encore des manques, et des erreurs. Les destinations les plus confidentielles sont moins bien renseignées. Mais n’oublions pas que nous sommes sur une trajectoire : entre fin 2022 (ouverture de Chat GPT au grand public) et aujourd’hui, l’évolution est impressionnante. Gageons que dans peu de temps, pour 90% des requêtes d’information sur une destination touristique, dans n’importe quelle langue, les plateformes d’IA auront tué le match!
Avec évidemment des nuances, et des challenges à relever, pour réinventer dans un certain nombre de cas l’accueil touristique.
Le flux et l’emplacement…
C’est la première nuance, et elle est de taille : dans une zone à forte touristicité (et elles sont nombreuses en France), les flux touristiques sont toujours très importants. Bien positionné sur ces flux, l’Office de Tourisme est incontournable : en bas des remontes-pentes, en sortie de plage ou au coeur de la cité thermale, nombre de BIT ne connaissent pas d’érosion de fréquentation. Mais il s’agît toujours d’OTs qui se sont remis en question, qui savent gérer les flux et les files d’attente, qui proposent des services additionnels (billetterie, boutique), voire de l’évènementiel. Dans ces stations touristiques l’attachement des prestataires et des élus au local de l’Office de Tourisme est fort, et je ne vois pas de remise en question émerger. De plus, le classement en station de tourisme impose de bénéficier d’un Office de Tourisme classé en Catégorie I.

Mais ces flux importants se concentrent évidemment sur les zones de très forte touristicité. Et concernent donc un pourcentage faible de tous les Bureaux d’Information Touristique. Pour un « OT majeur » qui voit entrer des dizaines, voire des centaines de milliers de touristes dans son local, combien d’Offices de Tourisme ruraux ou de villes moyennes sont aujourd’hui confrontés à des fréquentations en berne, souvent en recul.
Des pistes pour réinventer le rôle d’accueil des Offices de Tourisme
Lorsque les Offices de Tourisme locaux ont été regroupés, souvent à la faveur de la loi NOTRe, des schémas d’accueil (SADI) ont souvent permis d’optimiser les ouvertures, de fermer des bureaux totalement déserts, ou d’en rendre certains saisonniers. Un peu de rationalisation, mais qui n’a pas répondu à la question fondamentale : à quoi peut servir ce Bureau d’Information Touristique? Comment lui inventer une nouvelle vie ? Voici quelques tendances émergentes, quelques idées pour réinventer les fonctions. Elles ne sont pas exclusives les unes des autres, mais elles ont toutes un point commun : elles donnent du sens à l’accueil touristique.
- Rencontre et humanité
Cela peut paraître un lieu commun, mais c’est pour moi essentiel : l’accueil en Office de Tourisme peut incarner un moment de rencontre, d’échange, d’attention à l’autre.
C’est ce que vient chercher aujourd’hui le visiteur type de l’Office de Tourisme : éloigné du numérique, par contrainte (la fracture numérique) ou par choix (une envie de déconnexion du digital et de reconnexion à l’autre), il souhaite s’adresser à des vrais gens, en chair et en os. A des locaux, qui connaissent le territoire et pourront donner le bon plan ou valider une information trouvée sur le web. La qualité de la rencontre dépend bien évidemment de l’engagement de l’accueillant. Or, cette question liée au sens même du geste d’accueil n’est que top peu abordée dans les équipes d’Offices de Tourisme. Et c’est au manager d’impulser cette réflexion et donc de magnifier le métier de l’accueil. Mais reconnaissons-le : ce n’est pas vraiment partout le cas.
Et (poke à l’ami Pierre Eloy dont c’est le mantra permanent) : il faut renforcer ce geste d’accueil par des attentions aux visiteurs; des petits plus, du verre d’eau au goodies, du fauteuil pour se poser au bonbon distribué, qui transformeront un moment d’information en une vraie rencontre.
Cette rencontre extra-ordinaire, qui donne du sens à l’accueil n’est pas générée par un énième process, n’en déplaise aux acharnés de la démarche qualité. C’est avant tout l’envie des équipes, entrainées par la direction et remerciées par les sourires des visiteurs, qui fera exister ces moments exceptionnels.

- Hyper-expertise locale
Je le disais plus haut : bientôt 90% de l’information touristique nécessaire sera délivrée en langage naturel par les plateformes d’Intelligence Artificielle, avec un taux d’erreur très minime… Les 10% restants, l’IA n’y aura pas accès, car c’est une information qui n’est pas forcément disponible sur le web. C’est plutôt l’hyper connaissance spécialisée des différentes personnes qui composent l’équipe d’accueil qui apportera ce plus : le plus beau parcours de running-patrimoine, l’artisan qui propose des ateliers DIY, le lavoir caché dans la forêt…
Mais cette hyper connaissance est finalement assez personnelle; elle est dans la mémoire de chaque conseiller en séjour, avec chacun ses hobbys, ses sensibilités l’endroit où j’habite, ma passion pour les produits locaux ou pour le surf. Jusqu’à présent, partager cette hyper connaissance entre tous les membres de l’équipe est difficile. Comment le saisonnier, arrivé à l’Office de Tourisme depuis deux mois peut-il accéder à toute cette base de connaissance super pointue? à part les fiches du SIT et quelques PDF du « manuel du saisonnier », sa connaissance reste très logiquement limitée.
Or, c’est sur ce terrain de l’hyper connaissance spécialisée que se jouera la différenciation de l’Office de Tourisme.
Et l’Intelligence Artificielle peut ici donner un sérieux coup de main. Avec Pierre Eloy et l’équipe de l’Office de Tourisme Provence Méditerranée, nous avons travaillé sur un chatbot interne, à disposition des conseillers en séjour permanents et saisonniers. Cet assistant conversationnel est nourri par le site de l’OT, le SIT, et de nombreux documents de référence (historiques, géographiques, etc.). Mais il est alimenté aussi et en permanence par une Foire aux Questions. Chaque fois qu’une demande nouvelle ou incongrue nécessite de. faire des recherches ou de faire appel à la connaissance spécifique d’un membre de l’équipe, la réponse alimente la base de connaissances. Ainsi petit à petit, l’Office de Tourisme dispose de la somme des savoirs de chacun, mis à disposition de toute l’équipe.
Sans rentrer dans les détails, l’expérience toulonnaise montre que l’IA et les outils liés permettent cette automatisation de façon assez simple. Et que le principal enjeu sera demain l’organisation et l’animation de cette base de connaissance.

- Inclusivité et accueil élargi
Les habitants, on en parle? Oui, de plus en plus. J’ai l’impression que les offices de tourisme ont enfin compris que tout le monde est touriste : le visiteur étranger, l’urbain voisin, le résident secondaire, le résident de toujours. Plus que jamais ce que le géographe Philippe Bourdeau appelle « la touristification du quotidien » est une réalité. Chacun veut vivre une belle vie, et l’habitant le premier. Aussi, l’office de tourisme doit absolument s’ouvrir à la clientèle locale, notamment pour apporter des informations de loisirs du quotidien, faire de la billetterie, mais pas que…
Je vois deux fonctions supplémentaires à un accueil plus inclusif dans les bureaux d’offices de tourisme : le premier c’est le décloisonnement du service public; si l’OT peut apporter des informations sur la culture, le sport, la vie associative, en relais des autres services de la collectivité, il ne travaille plus en silo et gagne le match. Un témoignage : j’étais dans un office de tourisme sur la presqu’île de Quiberon pendant les vacances de Paques. Entre un couple de résidents secondaires longue durée (vous savez, ceux qui s’installent de Paques à Toussaint). Le couple venait récupérer l’information touristique de l’année, mais interroge aussi la conseillère en séjour sur un problème de poubelles pas encore livrée par la communauté de communes. Pas du tout une info touristique me direz-vous. Cependant, notre conseillère en séjour a fait tout ce qu’elle a pu pour leur trouver des informations et a minima les rassurer et les écouter. Encore une fois, c’est la mutualisation de l’information entre les différents services publics (facilitée grâce à l’IA) qui permettra de décloisonner et de faire des OTs les champions de l’accueil et de l’info locale. Oui, je sais, beaucoup en me lisant disent « là, c’est n’importe quoi, nous sommes des spécialistes du tourisme ». Oui, mais des spécialistes dont on a de moins en moins besoin, sauf s’ils facilitent le quotidien des usagers…
Deuxième aspect dans l’inclusivité, et qui est chargé de sens : c’est dans un bureau d’office de tourisme que l’on peut développer le lien social, faire se parler un habitant et un visiteur, un saisonnier et un étudiant, un nouvel arrivant et un résident secondaire. L’inclusivité, base de l’hospitalité : rester un lieu où tout le monde se parle, se côtoie, échange. Quelle énorme utilité en 2025 dans cette société fracturée!

- Fiertés locales
Outil d’attractivité, l’office de tourisme peut largement contribuer à favoriser un sentiment de fierté locale. Je suis actuellement totalement fan des boutiques d’offices de tourisme, dont l’intérêt va beaucoup plus loin que celui de l’autofinancement. Les techniques actuelles permettent de développer facilement des produits dérivés en petites séries. Grâce à un atelier local (géré par l’OT ou par un prestataire) on peut acheter les supports (un tote bag, un mug ou une casquette), créer le design et fabriquer ainsi de petites séries : économie de stock, multiplication des designs, et surtout valorisation de chaque coin du territoire. Fini les produits boutiques logotés uniquement sur le nom de la destination administrative à laquelle personne n’adhère. Vive les produits fortement identitaires et représentatifs des micro-destinations. C’est ce qui permet de renforcer la fierté locale.
Comme à « Lot-et-Tolzac » un coin de Lot-et-Garonne, où l’office de tourisme a réalisé un modèle de carte postale pour chaque commune de son territoire. Certaines ne font pas plus de 200 habitants! mais les habitants viennent acheter ces cartes, car elles sont une vrai fierté locale. Et ça marche!
Il faut donc réinventer les boutiques d’offices de tourisme, s’appuyer sur des exemples, comme Saint-Etienne, qui avec sa boutique « hors cadre » valorise tous les talents locaux et connaît un énorme succès!

- Bureaux expérientiels
Cette dernière idée n’est pas du tout nouvelle : l’office de tourisme Val de Garonne ouvrait en 2011 son office de tourisme Nouvelle Génération dont nous nous faisions l’écho ici. Un office de tourisme qui se visite, qui se déguste, dans lequel on passe un moment, on vit une expérience. Depuis, les exemples sont multiples, de l’office de tourisme tiers lieu au comptoir local, du café à la cave à vin, ou au comptoir des loisirs comme à Évreux.
Et si on ne bouge pas?
Cette mutation en marche, on en parle depuis longtemps. En témoigne ce billet de 2021 sur ce blog intitulé « accueil touristique, le grand changement« . Et finalement, toutes les initiatives cultivent la même idée : donner du sens, conserver cet accueil à la française, ou le service public a encore une signification.
Ce qui a vraiment changé en 2025, c’est l’urgence de se bouger. Comme développé dans la première partie de cet article, les contraintes financières des collectivités liées à la petite musique du « mais à quoi ça sert » peuvent, (hors zones hyper touristiques ou station), porter un sérieux coup à la présence de BIT peu fréquentés.