Le tourisme est-il résilient par nature ?

Publié le 18 novembre 2020
9 min

Rebond après le « Grand Confinement » ?  

A la fin du mois de février 2020, c’est-à-dire hier ou presque, une tribune publiée par le Figaro titrait « Coronavirus : la résilience de l’industrie du tourisme a été maintes fois éprouvée ». Elle rappelait par l’exemple le scénario post-pandémie connu en 2003 lors l’épidémie du SRAS, quand seulement sept mois après son déclenchement en mars 2003 « le SRAS n’était plus qu’un mauvais souvenir » comme l’affirmait alors le vice-président de Millennium & Copthorne, deuxième groupe hôtelier de Singapour. La tribune signée par le président des Entreprises du voyage en Ile de France, publiée deux semaines avant le premier confinement, mettait en perspective la difficulté à évaluer « les impacts et conséquences de la crise sanitaire du coronavirus », mais spéculaient sur quelques faits : « à court terme, des conséquences pour la destination Chine » et « pour les zones touristiques accueillant des Chinois », mais aussi « à moyen terme, des réservations en baisse, notamment pour le secteur de la croisière ». L’auteur prenait exemple sur « la mise en quarantaine spectaculaire du Diamond Princess du 1er au 19 février, véritable feuilleton médiatique avec le comptage quotidien des contaminés et des manchettes de journaux plus alarmistes les unes que les autres ». « À long terme, des conséquences sur l’envie de voyager des Français ? » demandait l’article ?

Ces lignes ont été écrites il y a quelques mois. C’était hier, mais cela semble si loin aujourd’hui ! Pourtant, si l’analyse semble aujourd’hui au moins imparfaite, quelques idées évoquées avant ce que l’Histoire retiendra sans doute comme le « Grand Confinement » (à l’image de la « Grande Dépression » des années 1930 et de la « Grande Récession » des années 2010) ont été partagées des milliers de fois depuis lors. J’en retiens aujourd’hui deux : « le secteur du tourisme est coutumier des crises qu’elles soient sanitaires, médiatiques, diplomatiques, sécuritaires ou environnementales » et « la résilience du secteur du voyage a été maintes fois éprouvée par le passé ».

J’ai repensé à ces lignes lorsque j’ai lu il y a quelques jours le titre d’un article de l’Echo touristique « Ben Smith : le tourisme repartira encore plus fort qu’avant la crise ». Conviction, ou méthode Coué ? Ou bien encore, capacité à faire de la résilience un élément d’une analyse stratégique élaborée ? Je me suis amusé à me lancer dans une petite recherche matinale sur ce terme de « résilience touristique » affiché soit comme porte – étendard d’un indécrottable optimisme (les choses ont toujours été comme cela, il n’y a pas de raison que cela change !), soit comme oriflamme d’un discours scientifique, fondé sur des bases statistiques souvent incertaines. Et nul doute que la notion de résilience dans le tourisme s’avère être l’une des idées les plus reprises durant cette année et partagées lors de webinaires, cours en lignes, e-formation, etc.

 

Sur la résilience…

Tout le monde connait cette notion de résilience. C’est d’abord l’aptitude d’un corps à résister aux pressions et à reprendre sa structure initiale. C’est ensuite la capacité à vivre, à réussir, à se développer en dépit de l’adversité, la capacité d’adaptation et de reconstruction d’une personne suite à un traumatisme. Ce concept s’est ensuite étendu à la capacité d’un corps, d’un organisme, d’une espèce, d’un système, d’une structure à surmonter une altération de son environnement. On peut ainsi parler de résilience dans différents secteurs : économique, elle permet de revenir sur la trajectoire de croissance après avoir encaissé un choc ; écologique, elle démontre la capacité d’un écosystème, d’une espèce ou d’un individu à retrouver un fonctionnement ou un développement normal après avoir subi une perturbation écologique ; géographique, elle désigne la capacité des territoires à limiter les effets des catastrophes et à retrouver rapidement un fonctionnement normal ; organisationnelle, elle incarne la capacité d’une entreprise (ou organisation) à s’adapter après la survenue d’un incident ou d’une catastrophe, etc. En cette année de Covid-19, l’armée française a lancé « l’Opération Résilience » pour lutter (ou entrer en guerre) contre l’épidémie, « consacrée à l’aide et au soutien aux populations ainsi qu’à l’appui aux services publics pour faire face à l’épidémie de Covid-19 en métropole et en Outre-mer, en particulier dans les domaines sanitaire, logistique et de la protection ». 

La notion de résilience a été popularisée par Boris Cyrulnik. Elle consiste à continuer à se développer après un traumatisme, mais différemment, pas exactement dans le prolongement d’avant l’atteinte traumatique. Lors d’un incendie, la faune et la flore sont détruites. En quelques mois, ou quelques années, la nature reprend ses droits, la végétation repousse, la faune revient, mais différemment, parfois avec d’autres espèces. C’est un écosystème qui se remet en place. Lors du tremblement de terre en Haïti en 2010, les enfants des rues, méprisés et rejetés par tous, se sont retrouvés en première ligne en guidant les rescapés dans la ville, car ils en connaissaient bien les méandres. Ils ont pu jouer un véritable rôle d’orientation, conseillant les points d’eau potables et autres lieux sûrs aux riches de la ville dont les maisons avaient été détruites. La résilience n’efface rien, elle permet de supporter et de continuer.

Boris Cyrulnik, le père de la résilience en France

Des travaux portant sur la résilience identifient des processus (ou des étapes) liés à la résilience (défense-protection ; équilibre face aux tensions ; engagement-défi ; relance ; évaluation ; signification-évaluation ;positivité de soi ; création), des facteurs de résilience individuelle (habilité de résolution de problèmes ; autonomie ; capacités de distanciation face à un environnement perturbé ; empathie ; altruisme ; etc.), des facteurs de résilience sociale (solidarités ; valeurs d’entraide et de tolérance sociales ; diversité des supports et des ressources sociales ; implication active ; etc.).

 

Résilience et tourisme

Covid-19, tempête Alex dans l’arrière-pays azuréen, attentats de Conflans-Sainte-Honorine et de Nice, la liste pourrait être longue des évènements qui font de cette année celle de la crise la plus importante du tourisme depuis sa massification après la Seconde guerre mondiale et sa généralisation à l’échelle mondiale depuis une vingtaine d’années. L’année 2020 annonce-t-elle une résilience touristique comme ce fut le cas à de nombreuses reprises ?

Dans le fond, le tourisme a toujours l’un des secteurs économiques les plus rapidement et directement impactés par les différentes crises. Si l’on regarde les décennies passées, les attentats du 11 septembre 2001 et leur impact immédiat sur l’activité aéronautique (on se souvient de ces images de milliers d’avions parqués dans les espaces désertiques américains), le tsunami de décembre 2004, la crise des subprimes de 2008, le printemps arabe de 2011 vite devenu un hiver pour les espoirs des jeunesses orientales, les attentats de 2015, l’Histoire est une succession de crises et de croissances, de drames et d’embellies, de plongeons et de rebonds. Mais est-elle un perpétuel recommencement, comme l’affirmait Thucydide ?

Pour aider à la reprise – et peut être pour conjurer le sort et invoquer les principes de la résilience – un « fonds Résilience » a été mis en place dans de nombreux territoires par la Banque des Territoires et les collectivités locales (par exemple en Région Ile-de-France, pour  aider exceptionnellement sous forme d’avance remboursable à taux 0 à destination des entreprises franciliennes de 0 à 50 salariés, impactées par la crise sanitaire et qui n’ont pas ou plus accès au financement bancaire). Toucher le fond pour avoir droit au fonds, est-ce cela la résilience ? Est-ce la voir vers ce fameux monde d’après, dont on n’entend plus guère les laudateurs ?

Des travaux ont été entamés bien avant la crise du Coronavirus sur le sujet de la « résilience touristique ». En 2017 le Centre de recherche européen (JRC) a cartographié les points chauds du tourisme en Europe pour chacune des quatre saisons, créé un indice sur la vulnérabilité estimée des régions aux chocs dans le secteur du tourisme. Selon les chercheurs du JRC, une forte dépendance économique au tourisme associée à une forte concentration de touristes à une saison spécifique pourrait rendre les régions plus vulnérables aux chocs pouvant affecter le secteur, comme les crises économiques, les attentats terroristes, les catastrophes naturelles ou les changements climatiques.

Carte des régions touristiques vulnérables en Europe

Des publications se sont intéressées au concept de résilience, « concept transdisciplinaire », posant la question « qu’est-ce que la résilience d’une destination, et quelle est sa relation avec le tourisme ? ». « La notion de destination partage avec celle de la résilience, une difficile identification au plan conceptuel en raison d’un risque d’une réduction disciplinaire, limitant son envergure et sa complexité. En effet, la destination ne peut être limitée à une des dimensions, qu’elle soit géographique (le lieu) ou marketing (le produit), structurant ainsi sa réalité souvent observée » peut-on lire dans l’introduction des actes du Colloque « Risques, résilience et pérennité des destinations touristiques » tenu en 2017. On peut y lire également que « les dimensions adaptative et de résilience sont nécessaires pour comprendre la destination touristique, en l’occurrence le territoire qui leur donne forme et les exprime. » Puis viennent de nombreuses questions. Quels comportements des destinations face aux situations de risque ? Quelle capacité au renouvellement? Quelles en sont les représentations ? Quels modes de gouvernance introduits en cas de crise? Comment construire une destination résiliente ?

Pour y répondre, de multiples conférences et articles sont organisées et partagées. La Banque Mondiale a par exemple travaillé en 2016 sur le thème « comment renforcer la résilience du secteur du tourisme face aux changements climatiques ? ». Avec comme facteur identifié de crise « les changements climatiques » qui « représentent un phénomène de plus en plus menaçant, qui risque à terme de nuire aux économies des pays du Bassin méditerranéen; et le secteur du tourisme n’est qu’un exemple parmi d’autres. Il faut donc souligner le caractère urgent d’une prise de conscience et surtout d’une intégration des changements climatiques dans les stratégies de décentralisation et de développement territorial des pays du Bassin ». 

En France, la crise de la Covid-19 « sera un accélérateur de transformations profondes déjà initiées, notamment en matière environnementale, digitale et de ressources humaines. Cette accélération des transformations va requérir des investissements en équipements, en technologies et en formation des équipes » selon Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, au moment de l’annonce en mai dernier du Plan Tourisme (« 3,6 Md€ pour soutenir la résilience du secteur et préparer l’avenir »).

Saint-Martin-Vésubie, le lendemain du passage de la tempête Alex

*

Les signes annonciateurs d’un printemps sont esquissés en cette fin d’automne. Au-delà des pourcentages annoncés d’efficacité des premiers vaccins annoncés ces derniers, la Covid-19 pose la question de notre rapport à la nature, de nos ambitions pour les territoires. Les  calamités naturelles se lisent différemment dans les paysages. Les stigmates sont encore béants dans l’arrière-pays niçois, les pelleteuses et engins de chantiers tentent de relier les derniers villages isolés. Quel en sera le coût ? Peu importe le montant financier annoncé à ce jour.  Un, deux, trois milliards d’€ ? Ce qui compte avant tout, c’est la question de la résilience. Celle de la reconstruction après un traumatisme. C’est un peu l’histoire de l’Histoire, ou l’histoire de la présence des hommes sur Terre. Les temps longs permettent d’en comprendre les logiques, les évolutions, mais aussi les projets et les perspectives.   

Le « futur écosystème touristique européen sera durable, résilient, innovant » prophétisent Olivier Sichel, directeur général adjoint de la Caisse des dépôts et Consignations, et Thierry Breton, commissaire européen en charge du marché intérieur. La résilience touristique doit passer par la qualité environnementale des projets pour qu’ils soient acceptés par les populations. Un « programme européen pour le tourisme 2050 » est annoncé. Il était l’objet de la première réunion, en ligne, de Convention européenne sur le tourisme le 12 octobre dernier. En France, l’ADEME a déjà travaillé sur la notion « d’offre touristique durable et résilience » qui passe notamment par l’implication des acteurs du tourisme dans les démarches Climat, essentiel pour les sensibiliser à ces enjeux et les amener à changer leurs pratiques et/ou en adopter de nouvelles. Mais aussi par une véritable adaptation et diversification des activités touristiques. Un diagnostic de vulnérabilité du territoire mené dans le cadre du Plan Climat Air-Énergie Territorial (PCAET), auquel on devrait ajouter les questions de sécurité (notamment sanitaire) et surêté, doit prendre différentes formes et objectifs (développement d’activités hors-saison moins dépendantes des écosystèmes ; usage du transport public et collectif ; labellisation des prestations, etc.).

Le tourisme peut donc être résilient par nature. A condition de bien comprendre ce qu’écrivait Emmanuel Kant, « la nature agit, l’homme fait »…

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Brice Duthion est président - fondateur de la société "Les nouveaux voyages extraordinaires", agence spécialisée en conseil, conférences et communication. Il intervient auprès de nombreux acteurs publics et privés dans ses domaines d'expertise : le tourisme, la culture et le développement territorial. Acteur engagé et passionné, membre du comité d'experts tourisme et développement territorial du CNFPT et de l'INSET de Dunkerque, il fait partie de l'équipe des blogueurs du site [...]
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