La proximité ou le chemin tracé du tourisme…

Publié le 15 juin 2020
9 min

Proximité, proximité, proximité !

Il y a quelques jours, des journaux titraient sur le retour à la civilisation de Daniel Thorson, américain de 33 ans, membre d’une communauté bouddhiste après 75 jours d’isolement méditatif dans une cabane du Vermont. A son retour, ce dernier poste sur les réseaux sociaux une simple phrase « dis I miss anything ? ». Sans être hibernatus ou un anachorète isolé pendant de longues années de la rumeur du monde, notre héros presque ordinaire en cette période de confinement et de réclusion plus ou moins volontaire de près de la moitié de la population mondiale, revient et pose somme toute une question banale. « Did I miss anything ? ».

Daniel Thorson, un confiné volontaire

Oui, Daniel tu as manqué pal mal de choses. Mais comment te raconter la marche du monde pendant ces deux mois et demi, comment te narrer cette période durant laquelle toi assis sur ton petit rocher admirant certainement des arbres, au milieu d’un nature généreuse, un lever ou un coucher de soleil ? Comment te dire en quelques mots ce que nous avons tous écrit, pensé, posté sur les réseaux sociaux ? Comment te dire ce que les médias ont écrit, filmé, analysé, et l’émergence de mots qui nous sont devenus banals ?  Te sais-tu asymptomatique ?

Crois-tu encore à une véritable différence entre monde d’avant et monde d’après ? As-tu pris connaissance au hasard de tes lectures des préconisations de Donald Trump, ton président omniscient aux compétences médicales autoproclamées qui proposait il y encore quelques semaines d’injecter de l’eau de javel pour guérir du Covid-19 devenu entre-temps la Covid-19 (merci à l’Académie française d’avoir éclairé sur le sujet nos lanternes vacillantes le 7 mai dernier) ?

Si j’avais à te résumer les 75 jours durant lesquels tu t’es retiré du monde, sache que j’aurais bien du mal, Daniel. A bien y réfléchir, et parce qu’il faut bien choisir un mot pour te décrire l’état du monde, je te le synthétiserai en un mot : « proximité ».

D’abord parce qu’il me semble correspondre à ce que nous avons vécu en ton absence, toi qui étais si proche de la nature et des éléments pour atteindre, sans doute, le nirvana. Y es-tu au moins parvenu ? Les journaux ne le précisent pas. Y sommes-nous parvenus, nous autres, pendant ces deux mois et demi sans nouvelle de ta part ? Avons-nous trouvé la voie de la sagesse ? Les avions ne décollaient plus, les dauphins étaient de retour dans les eaux jadis troubles de Venise, les oiseaux chantaient dans les villes délivrées des voitures. Cela te dit quelque chose ? As-tu répété ce mot « proximité » comme nous autres, la « proximité comme un mantra ? La vibration du son émis lors de sa prononciation, sa résonance auraient-ils le pouvoir de modifier ton environnement comme nous avons espéré qu’il change le nôtre ?

D’ailleurs, que signifie-t-il ce mot « proximité » ?

Une recherche rapide sur l’étymologie montre que son origine est ancienne, même si nous semblons collectivement le redécouvrir. La langue française l’emprunte au latin « proximitas » qui signifie « voisinage » et au figuré « affinité, ressemblance » (dér. de proximus « le plus proche », superlatif de propior « proche »). On le retrouve sous différentes formes en ancien français, « proismeté » (dér. de proisme « proche, prochain ») au sens de « voisinage » et « parenté ». Il semble qu’il a été utilisé sous la forme qu’on lui connait à la fin du 17ème siècle, après que certains des sens du mot que nous lui connaissons aujourd’hui ont été utilisées, avec le temps et l’usage ( « proche parenté » vers 1479, « spirituelle proximité » en 1495, « caractère de ce qui est proche de quelque chose (dans l’espace) » en 1543 ou « ressemblance »).

La proximité définit une situation à la fois géographique et temporelle.

Géographique lorsqu’une chose est à faible distance d’une autre chose ou de quelqu’un, de deux ou plusieurs choses qui sont rapprochées. On la retrouve ainsi abondamment dans la littérature. « L’effet que me font ces saints lieux doit être celui qu’ils font à tout le monde, si j’en juge par la proximité constante de l’église avec les maisons discrètes » (Montherlant, 1929). Une locution existe même, « à proximité », qui signifie « à peu de distance, aux environs immédiats ». 

Temporelle ensuite par le caractère d’un fait, d’un événement qui est rapproché dans le temps passé ou futur. Il évoque ainsi l’approche, l’imminence, la proximité des temps, des fêtes, du week-end, des vacances, de la mort, d’une date. « La mouette, par ses cris et ses mouvements d’aile, s’efforçait (de nous avertir de la proximité possible de la tempête » (Lautréamont, 1869).

Au sens figuré, la proximité est ce caractère de ce qui est proche par les liens du sang, parenté entre deux personnes. On parle de proximité du degré, du sang, ou d’ordre de proximité. Elle est également ce caractère de rapprochement, d’affinité entre deux choses abstraites, deux entités (proximité des idées, des théories). 

 

Le tourisme est d’abord né de la proximité géographique !

Daniel, j’ignore si tu t’intéresses au secteur du tourisme. Ton voyage le plus récent est tout intérieur. Mais je vais essayer de te parler de « proximité » comme mantra du tourisme à l’échelle du monde. Une sorte de paradoxe sur une planète qui se pensait il y a quelques décennies « village global » et qui s’est redécouverte grâce à ces semaines de confinement « village local ». Car oui le local est devenu la valeur clef du tourisme au lendemain de la crise sanitaire (Covid-19).

D’abord, note Daniel, que le tourisme est né de la proximité géographique. La crise de la Covid-19 a fait que de nombreux spécialistes du secteur ont redécouvert cette vérité historique mais aussi cette réalité économique : le tourisme est bien une activité qui structurellement repose sur la proximité. On a semblé pendant de nombreuses années se gargariser d’un monde ouvert, facile et accessible. Etait-ce une lubie ou fuite en avant ?  En France, petit pays qui se bat chaque année pour appartenir encore aux grandes puissances, cette vérité a longtemps été oubliée. La proximité n’était pas belle, elle ne faisait pas rêver.  On oubliait ou méprisait le tourisme « domestique » qui structurellement génère chaque année plus des 2/3 des dépenses touristiques. A l’approche du 18 juin, j’ose te dire que Les Français ne parlaient plus aux Français. Ou si peu. Ils étaient un peu les oubliés des statistiques nationales, n’apparaissant qu’en nuitées marchandes ou non-marchandes…

Je crois Daniel que cette crise doit nous rendre modestes, individuellement et collectivement. En quelques heures, notre civilisation s’est en grande partie arrêtée de voyager sans pour autant que le monde s’arrête de tourner. Cela doit nous pousser à nous intéresser à ce que nous-sommes, à l’altérité, aux besoins d’autrui.  

Le monde du déconfinement est un monde qui recommence ou réécrit une nouvelle histoire. Celle du tourisme doit redécouvrir les fondamentaux et les bases. La mondialisation nous a grisés. Le monde n’avait plus de frontière, ou presque. Tiens, prends la France par exemple, chacun de ses territoires souhaitait ardemment attirer des visiteurs Chinois. Regarde la carte ci-dessous. Les Chinois eux-mêmes voyagent dans un rayon de proximité. Pourquoi en feraient-ils autrement ?

Les Chinois voyagent dans un monde, si loin, si proche…

Et puis la proximité géographique, c’est aussi la proximité entre le producteur et le consommateur. L’industrie du tourisme s’appuie essentiellement sur des très petites entreprises (TPE) ou petites et moyennes entreprises (PME).  EN gros, malgré internet, malgré les innovations de distribution, le cœur du sujet du tourisme réside bien dans la connaissance des besoins des clients et des productions des entreprises. Ce lien, c’est bien de proximité dont on parle. C’est bien une sorte de « circuit-court » du tourisme, non ?  

 

Le déconfinement, une proximité à la fois géographique et temporelle !

Daniel, tu n’as pas vécu le confinement comme nous autres. Ce fut un temps de ruptures économiques, culturelles et sociales au moins de façon temporaire mais de façon radicale. Pour beaucoup d’entre nous, ce fut l’occasion de se projeter et de penser soit à la transition (à court terme), soit à la transformation touristique (moyen et long termes). Ces deux notions de transition et transformation, impérieuses, pose la question de la proximité temporelle. Que faire, quand et comment agir ?

La proximité temporelle pose d’abord la question au niveau des mobilités. La mobilité individuelle versus la mobilité collective, l’automobile versus le train ou l’avion. Avec une question clairement identifiée et qui semble clef dans le temps, court, moyen et long : rendre proches c’est-à-dire accessibles les lieux, les sites, les espaces touristiques par une nouvelle intermodalité posant clairement les enjeux et imaginant des parkings – relais, proposant des infrastructures nouvelles, positionnant les mobilités douces (marche, vélo) au cœur des déambulations touristiques, accompagnant le glissement de tous les parcs motorisés vers l’électrique puis l’hydrogène.

L’intermodalité, facteur clef de la proximité touristique

Cette proximité temporelle pose ensuite la question de la valeur des offres touristiques. A court terme, cet été et sans doute les prochains semestres, c’est le triomphe des résidences secondaires, de la famille. Cette proximité par le sang rassure. A terme, la crise sanitaire a bien montré les signaux faibles du tourisme en France (peu de travail sur la demande nationale ou internationale, mépris des questions de propreté considérées comme hygiénistes, etc.) et souligné les tendances structurelles auxquelles aspirent les consommateurs (circuits courts, durable, sécurité, sanitaire, qualité, transparence, solidarité). Il va falloir travailler à la fois à l’échelle de l’individu donc du privé et à celle du groupe, du collectif c’est-à-dire du public. Le premier exige de l’humain, comme une réponse à l’artificialisation, à la surconsommation, à la négation du vivant. Le second nécessite de repenser les espaces communs, les espaces publics avec ce paradoxe qu’il faudra résoudre du « besoin d’altérité » mais de la « peur de la proximité de l’altérité ».

 

La proximité, c’est aussi une volonté politique et une réalité économique

Et toi Daniel, as-tu peur de l’autre dans cette Amérique qui se réveille depuis quelques semaines et redécouvre son histoire ? Tu seras d’accord, il convient mieux d’écrire celle à venir que de réécrire celle déjà vécue. Ce serait bien que tes « concitoyens » redécouvrent aussi ce mot de « proximité ». Vivre ensemble, faire société, redécouvrir ses semblables.

Nous ne sommes pas mieux lotis en France sur un certain nombre de sujets. Les enfants de la République méritent tous d’être véritablement égaux. Ou qu’ils soient, quelles que soient leurs origines ou leurs couleurs. C’est le génie d’une Nation que de rappeler son unité dans la diversité. Il en va de même pour les territoires. Cela relève d’abord d’une vision et d’un projet politique.

Inventer les territoires, imaginer les destinations de demain, cela revient à dire qu’il faut les appréhender différemment de ce qui a été fait jusqu’alors. Partir de la connaissance fine et non plus grossière et caricaturale des demandes des différentes populations de proximité qu’on peut y rencontrer. Les locaux, les régionaux, les Français mais aussi les Européens (l’Europe est notre nouvelle proximité !). Il faut penser de nouvelles offres fondées sur une nouvelle psychologie qui nécessite de donner du sens au voyage. Les territoires ne devront plus être résumés à des marques ou des slogans marketing vides et creux. Ils devront porter des valeurs fortes. Avec comme question clef la confiance entre le producteur et le consommateur, une confiance que viendront garantir des normes, des certifications, des labellisations. Les OGD devront accompagner différemment ce processus, en étant de véritables plateformes de mise en relation, des facilitateurs, des couteaux suisses offrant des services sur-mesure.

Et puis, enfin, la proximité, c’est aussi une réalité économique. Cette proximité économique impliquera une nécessaire alliance des acteurs d’un territoire. Il faudra penser collectif, agir collectif avec le besoin d’être concret et opérationnel. La place des institutions sera sans doute d’initier la dynamique, autour de plusieurs valeurs essentielles que nous connaissons bien : la stratégie, l’innovation, la prospective mais aussi la créativité et l’intégration de toutes et de tous.

Voilà cher Daniel quelques lignes matinales.
J’espère que la proximité avec les éléments t’a transformé et rendu encore meilleur. Ta proximité avec les hommes doit être un peu différente désormais.  

Nous récitons quant à nous notre mantra tous les jours. Proximité ! Proximité ! Proximité ! Même à distance, nous pensons être proches. J’ai par exemple utilisé 11 plateformes différentes pendant le confinement pour rester proches d’amis, d’élèves, de collègues ou de colistiers. Il faudra rendre concrète cette si banale et si quotidienne notion. Soyons proches. Mais soyons différents.  D’autant que d’autres vagues arrivent, annoncées plus fortes et plus puissantes que celle de la Covid-19…

Les vagues qui nous attendent…

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Brice Duthion est président - fondateur de la société "Les nouveaux voyages extraordinaires", agence spécialisée en conseil, conférences et communication. Il intervient auprès de nombreux acteurs publics et privés dans ses domaines d'expertise : le tourisme, la culture et le développement territorial. Acteur engagé et passionné, membre du comité d'experts tourisme et développement territorial du CNFPT et de l'INSET de Dunkerque, il fait partie de l'équipe des blogueurs du site [...]
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