Le big data au service de la connaissance des touristes

Publié le 30 octobre 2017
9 min

Pour mieux comprendre par exemple la perception d’une destination par les consommateurs, il est possible d’organiser des focus groupes ou bien des enquêtes en ligne. Une autre hypothèse de travail est d’analyser le contenu généré par les utilisateurs sur Internet (user generated content – UGC) pour disposer d’une vision du territoire : photos partagés, commentaires sur les forums, avis sur la destination, etc., mais aussi de regarder plus globalement comment on parle de la destination sur les sites Internet (presse en ligne, sites des voyagistes, etc.). L’analyse des conversations en ligne permet également d’optimiser sa communication : identifier des sujets de conversation des internautes, adopter les mêmes registres de langage, répondre à des remarques, etc.

Le big data pour mieux comprendre la perception d’un territoire par les consommateurs ?

L’utilisation des contenus sur Internet permet donc potentiellement de mieux comprendre la perception d’un territoire par les consommateurs. Les objectifs sont donc d’identifier pour chaque marché étudié (France, Espagne par exemple) les volumes d’expression sur le web et les principaux émetteurs (sites internet, blogs, forums, …), et ainsi connaître les réseaux et médias en ligne sur lesquels s’échangent des informations autour d’un territoire. Enfin, d’analyser le contenu d’un échantillon représentatif de quelques centaines de verbatim (c’est-à-dire contenu produit par des internautes) par marché. En effet malgré les progrès du web sémantique ou du machine learning, une analyse humaine s’avère nécessaire pour disposer d’éléments de réflexion assez fins.  Des outils permettent désormais de récupérer les contenus afin de pouvoir effectuer plus simplement une analyse. Ce sont en effet des solutions de monitoring web. Ces outils s’inscrivent dans un « nouveau » procédé d’analyse, le social media intelligence.

Qu’est-ce que le social media intelligence ?

Le social media intelligence « fait référence aux outils et aux solutions qui permettent aux entreprises de surveiller les différentes plateformes et conversations sur les médias sociaux, de réagir aux différents signaux reçus sur ces médias sociaux, et de les synthétiser ces réactions individuelles pour en déduire des tendances et des analyses fondées sur les besoins des utilisateurs » (Source : définition de Wikipédia – fr.wikipedia.org/wiki/Social_media_intelligence). Ces outils permettent donc de regrouper sur une même plateforme des nombreux contenus, généralement en temps quasi-réel, afin d’effectuer des traitements et des études. On peut ainsi définir le monitoring en ligne ou monitoring web, comme l’opération qui consiste à récupérer en temps réel des contenus en utilisant généralement des mots clés.

Quel est l’intérêt du social media intelligence ?

Le social media intelligence offre ainsi la possibilité d’observer les conversations en ligne et plus particulièrement celles sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, commentaires sur les sites d’avis, vidéos Youtube, etc.).  Cela offre ainsi la possibilité à une marque de surveiller ce que l’on peut dire sur elle, réagir aux différents signaux reçus sur les réseaux sociaux. Cela permet ainsi de synthétiser des réactions individuelles par langue ou par marché par exemple pour en déduire des tendances, mais aussi être en capacité de gérer sa présence et sa réputation en ligne (répondre à des commentaires par exemple). Le social media intelligence propose ainsi tout un panel d’outils et des méthodologies au service de l’analyse marketing (connaissances des clientèles par exemple) à l’instar d’autres outils, tels que les sondages. L’intérêt de ce type d’analyse est également de détecter de nouveaux signaux faibles qui pourraient devenir de nouvelles tendances de consommation, ou bien par exemple des conversations, qui, non gérées, pourraient devenir préjudiciable à une marque.

En résumé, le social media intelligence « peut se définir comme la transformation de données brutes provenant de l’écoute du bruit sur les médias sociaux (mais également des médias traditionnels (…)) en information permettant aux acteurs économiques de prendre des décisions et d’agir dans de nombreux domaines (marketing, communication, innovation, relation client…) » (Source : www.atnetplanet.com/social-media-intelligence-cles).

Quelques applications possibles du social media intelligence

Les principaux outils permettent ainsi d’écouter ce qui peut être dit sur Internet. Les usages sont multiples, et en particulier :

  • Surveiller et protéger sa réputation en ligne (« e-reputation », crises d’images, bad buzz ) ;
  • Répondre aux sollicitations des consommateurs et des prospects (gestion de la relation client, social CRM);
  • Analyser le sentiment, c’est-à-dire par exemple de voir si les clients parlent positivement ou négativement des produits ;
  • Identifier des influenceurs et des prescripteurs autour de sa marque ou de ses produits ;
  • Mesurer l’impact en ligne d’opérations marketing ;
  • Veille concurrentielle ;
  • Audits d’image et de positionnement ;
  • Ou bien encore des analyses prédictives (détecter des signaux faibles, identifier de nouveaux besoins ou de nouvelles attentes, observer des nouvelles tendances…).

L’intérêt du social media intelligence avec les consommateurs

La société Synthesio, cabinet spécialisé dans l’analyse des réseaux sociaux, a publié un intéressant livre blanc montrant l’intérêt de ce type d’analyse pour entretenir son lien avec les consommateurs (Source : Utiliser la social intelligence pour améliorer l’expérience consommateur, Synthesio, avril 2014) . On peut citer 4 éléments utiles pour nourrir sa relation client :

  • Ecouter et dialoguer avec ses clients et ses prospects, et ainsi savoir mieux gérer sa relation avec les consommateurs ;
  • Utiliser les retours clients pour améliorer ses produits ;
  • Découvrir qui sont vraiment ses clients (profil des clients en particulier) ;
  • Enfin de récompenser ses ambassadeurs en ligne et ainsi établir une relation personnalisée avec ses porte-paroles les plus actifs.

Exemple d’un tableau de bord (Dashboard) de la solution de Synthesio

L’intérêt du monitoring web pour la chaîne de valeur de l’entreprise

Cette écoute et analyse des données issues d’Internet permettent d’alimenter la réflexion des différents services stratégiques de l’entreprise. Le social media intelligence participe ainsi à la chaîne de valeur de l’entreprise. Les différents services clés d’une entreprise peuvent ainsi tirer de la valeur du monitoring web (création de valeur), et en particulier :

  • Le service en charge de la recherche et du développement peut avoir des aides pour imaginer les fonctionnalités attendues pour les futurs produits ou services ;
  • Le service client peut ainsi mieux comprendre et identifier les moments où il est nécessaire d’être particulièrement présent et la nature de l’aide attendue par les clients ;
  • Le marketing peut ainsi l’utiliser pour mieux comprendre l’impact des campagnes et les comparer à celles des concurrents,
  • Les ressources humaines peuvent mieux comprendre les attitudes à l’égard de la marque et des valeurs de l’entreprise, et de ce qui pourraient affecter les politiques d’embauche ;
  • Enfin le service commercial/vente peut l’utiliser pour mieux comprendre les problèmes récurrents des acheteurs et s’assurer ainsi de trouver une manière de répondre à ses différents problèmes.

Pour en savoir plus, je conseille la lecture de l’article de Ranjani Raghupathi, The Ultimate Guide to Social Media Intelligence, Unmetric – unmetric.com/social-media-intelligence.

Les solutions techniques existantes en matière de monitoring web

Il existe de nombreuses solutions techniques en matière de monitoring web. Pour plus de commodité, on distingue généralement 2 grandes catégories, même si de plus en plus d’outils proposent une gamme de services étendus :

  • Les outils permettant d’écouter et de surveiller à des fins par exemple de gestion de la réputation ou plus globalement de gestion de sa présence en ligne ;
  • Les solutions pour analyser la présence en ligne (impact des campagnes, identifier des ambassadeurs, analyse des contenus, etc.).

 Les principaux acteurs du marché

De nombreuses sociétés proposent des solutions de monitoring web. Les principaux acteurs du marché sont Brandwatch, Cision, Clarabridge, Crimson Hexagon, Digimind, Netbase, Networked Insights, Oracle, Prime Research, Salesforce, Sprinklr, Synthesio, et Sysomos. Si vous voulez en savoir plus, le cabinet Forrester Research a réalisé un benchmark sur les différentes solutions techniques du marché (Source : Samantha Ngo, Mary Pilecki, The Forrester Wave™: Enterprise Social Listening Platforms – Q1 2016, Forrester Research, mars 2016).

Exemple d’un tableau de bord de la solution de Digimind

Les apports du monitoring web

Ce type d’analyse permet de disposer de données de cadrage sur les comportements des clientèles : les éléments partagés par les internautes (photos, notations, commentaires), où s’expriment les consommateurs (exemples : facebook, twitter, un forum spécialisé, etc.), qui publient sur internet (quelles nationalités ? voire quand c’est possible quel âge ou quel genre), ou bien encore quand partagent-t-ils (avant d’acheter, pendant l’achat, après l’achat). Tous ces éléments permettent ainsi de nourrir une réflexion marketing, d’alimenter une stratégie éditoriale et plus globalement de disposer d’éléments pour mieux connaître ses clients ou ses prospects.

Ce type de méthodologie permet d’obtenir quelques données de cadrage :

  • Les sites Internet ou les réseaux sociaux sur lesquels s’expriment les touristes ;
  • Comment le territoire est globalement perçu par les internautes ;
  • Les centres d’intérêts communs et différents exprimés par les internautes ;
  • Les éléments qui confortent le positionnement de la destination ;
  • Globalement, l’e-réputation de la destination par ses contenus positifs, neutres ou négatifs.

Le monitoring web est d’un apport intéressant à une réflexion marketing, mais ne se substitue pas à d’autres outils ou méthodologies pour mieux connaître les marchés ou les consommateurs/touristes. C’est en effet un outil complémentaire des outils existants à la connaissance des marchés : étude des flux, enquêtes hôtelières, enquêtes de satisfaction, sondages, focus groups, … Les analyses sont particulièrement intéressantes pour la construction de la stratégie éditoriale et plus généralement des éléments de communication à mettre en avant.

Les limites du monitoring web

Les résultats peuvent être parfois assez décevants : peu de données exploitables (informations peu pertinentes en raison d’un « bruit » important, ou un volume trop faible d’information pour en tirer des enseignements. Les internautes s’expriment majoritairement dans des lieux non accessibles aux outils. Par exemple la majorité des statuts/commentaires postés sur facebook sont visibles uniquement des « amis » d’un utilisateur de ce réseau social. Il peut y avoir en outre des biais d’interprétation quand les contenus sont sortis de leur contexte surtout si les contenus sont traduits d’une langue à une autre.  L’analyse de l’e-réputation d’une destination ou d’un produit par ses contenus positifs, neutres ou négatifs est au final assez complexe. En effet la majorité des outils ont dû mal à qualifier les contenus et dans la majorité des cas, ils se voient attribuer un sentiment neutre (contenu ni positif, ni négatif). Cela tient par exemple à la nécessité de comprendre le contexte dans lequel a été écrit le contenu ou bien tient à la subtilité des langues (exemple : l’ironie). 

On peut ainsi retenir deux grandes limites à ce type d’approche. L’info-obésité et se retrouver avec trop de contenus à traiter, ou inversement disposer de peu de contenus à analyser. Enfin l’interprétation parfois complexe des contenus.

Il est ainsi important pour le briefe (choix de la solution de monitoring par exemple ou le choix des mots clés) d’avoir des objectifs précis et de connaître les limites de ce type d’approche. C’est un double paradoxe : il faut à la fois être précis sur ce que l’on cherche à mieux comprendre, mais en même temps ne pas trop aller dans le détail car sinon les résultats seront trop limités pour en tirer un quelconque enseignement. Ce sont en effet des données issues de consommateurs, ce ne sont pas par exemple des focus groupes grandeur nature.

Conclusion

En conclusion l’utilisation des contenus générés par les utilisateurs sur Internet permet de mieux connaître et de mieux comprendre ses clients. Le numérique peut ainsi aider à la définition du positionnement marketing sur Internet d’une destination et à l’optimisation de la présence en ligne. Il est également possible de voir qui partage des informations à propos de la marque, et aide ainsi à identifier des « influenceurs » dans le secteur d’activité concerné. Il est ainsi possible de savoir où sont les prospects et les communautés actuelles et sur quelles plateformes se passent les échanges. L’utilisation des données produites par les internautes permet d’en tirer des enseignements, mais ce type de méthodologie nécessite de mettre en place une stratégie d’analyse parfois complexe à mettre en œuvre et les résultats peuvent être assez aléatoires en fonction de la problématique ou du degré d’utilisation d’Internet par les segments de clientèles visés. On gagnerait certainement à mettre en place une méthodologie commune entre les différents territoires afin de capitaliser sur des travaux antérieurs et de disposer d’indicateurs communs d’analyse.

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Philippe Fabry est responsable Médias Sociaux à ATOUT FRANCE, où il s’occupe en particulier des problématiques autour de la gestion des réseaux sociaux, des stratégies d'optimisation de sa présence en ligne, et de mise en place de tableaux de bord de performance. Il tient également à titre personnel un blog, www.tourisme-tic.com, avec des thèmes de réflexion sur l’etourisme, la mobilité, les usages, les comportements et attentes des internautes, les tic [...]
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