Le Web 3, l’outil pour un nouveau tourisme ?

Publié le 14 décembre 2022
7 min
Vous avez tou·te·s entendu parler du fameux Web 3 et de la sulfureuse blockchain… et souvent sans savoir vraiment de quoi il s’agissait ! C’était mon cas il y a encore peu et je me demandais à quoi cela pourrait servir dans notre écosystème touristique en transformation. J’ai mené ma petite enquête et vous en livre ici le fruit.

la révolution de la blockchain

Cette nouvelle technologie de transmission et de stockage des données est née en 2008 avec comme première application les cryptomonnaies. Depuis elle se développe dans de nombreux domaines.

La blockchain est une technologie qui permet de garder la trace d’un ensemble de transactions, de manière décentralisée, sécurisée et transparente, sous forme d’une chaîne de blocs. Par nature, elle ne nécessite pas de “tiers de confiance” comme une banque par exemple pour l’achat d’un bien ou d’un service.

J’ai trouvé cet article du Ministère de l’économie particulièrement éclairant et j’en reprends la synthèse.

La blockchain :
c’est une technologie de stockage et de transmission d’informations, prenant la forme d’une base de données

qui a la particularité d’être partagée simultanément avec tous ses utilisateurs et qui ne dépend d’aucun organe central

a pour avantage d’être rapide et sécurisée

et dont le champ d’application est bien plus large que celui des cryptomonnaies/crypto-actifs (assurance, logistique, énergie, industrie, santé, etc.).

La blockchain est testée dans de nombreux domaines parce qu’elle facilite et sécurise :

  • les transactions d’actifs physiques ou virtuels ;
  • la certification (de données personnelles, de l’authenticité, de contrats, …) ;
  • la traçabilité (de produits dans les chaînes logistiques, des intervenants, …) ;
  • la gestion des procédures (assurance,…)

Elle permet de mettre en œuvre des « smart contracts » automatisés et sécurisés entre différents acteurs. AXA par exemple a automatisé complètement sa couverture des risques liés aux retards d’avion : une personne subissant un retard se voit dédommagée dès son arrivée et sans aucune formalité en exécution d’un « smart contract » intégré à une blockchain.

Quelques produits sont déjà « blockchainisés » chez Carrefour ce qui permet de tracer toute la chaîne de production et toutes les étapes de manière sécurisée et transparente.

Concernant le tourisme, je vous rappelle l’article de Gallic Guyot qui vous proposait quelques exemples parlants dans cet article :

Comment la blockchain va révolutionner le tourisme !

5 min

Et cette blockchain a permis aussi de proposer une nouvelle architecture Web, rien de moins !

L’évolution du Web

Parmi les nombreuses vidéos existantes, j’ai trouvé celle-là très didactique et claire. 10′ suffisent pour commencer à y voir clair. Vous ne perdrez pas de temps car vous en sortirez grandi·e·s !

https://youtu.be/_8mtLEMlBN8

Le Web 1.0
Un web « descendant ». Les sites informent les utilisateur·trice·s et proposent des services sans interaction avec eux.





Le Web 2.0
La même architecture mais des interactions entre utilisateur·trice·s et gestionnaires des sites.
Naissance de la publicité ciblée par rapport aux données personnelles et de navigation fournies par les utilisateur·trice·s




Le Web 3 ou (3.0)
Une architecture pair-à-pair.
Les infos personnelles restent la propriété exclusive de chaque utilisateur·trice.
Les sites web ou applications n’existent pas sur un serveur. Ils sont « dispersés » sur l’ensemble des maillons d’une blockchain et sont reconstitués au moment de l’affichage sur le navigateur. Pour les plus de 30 ans, cela doit vous rappeler les temps héroïques avec eMule et BiTorrent

Des sites et applications web 3 en veux-tu en voilà !

Le Web 3 s’affranchit de la notion de client-serveur. Dès lors se dessinent des services, des applications, des sites… possédés et gérés par des communautés voire les utilisateurs eux-mêmes !

Voici quelques fleurons de ce « nouveau » web. Ces services sont décentralisés et fondés sur des blockchains. On y trouve des réseaux sociaux alternatifs à Twitter et Facebook (sans captation de vos données bien sûr), des sites de vidéos concurrents de Youtube, des jeux « métaversés » (je n’ai ni le matos, ni l’envie pour tester…), des gestionnaires de fichiers comme Dropbox, une place de marché de NFT (transactions sans commission d’intermédiaire) et un navigateur diablement performant.

Le navigateur Brave m’a particulièrement intéressé et je l’ai adopté. C’est un clone de Chrome, puisque basé sur Chromium, la version open source de Chrome. Il fonctionne de la même manière sauf que les publicités et cookies abusifs sont filtrés et qu’aucune de vos données n’est récoltée.
Si vous vous identifiez numériquement, c’est-à-dire via une blockchain, vous pouvez même accepter les publicités en étant rémunéré (en cryptomonnaie of course !) à hauteur de 70% du prix payé par l’annonceur, et sans dévoiler vos données personnelles.

Alors, le web 3 va-t-il convertir tout le web ?

Certains zélateurs ou presque évangélistes du Web 3 voient en lui l’accomplissement d’un monde nouveau, fondé sur des communautés ouvertes, actives et bienveillantes, alors que d’autres sont sceptiques pour plusieurs raisons :

  • la relative complexité à comprendre et appréhender la blockchain qui va rendre difficile l’adoption par le plus grand nombre ;
  • les limites matérielles du fonctionnement de cette nouvelle technologie ;
  • les doutes sur sa frugalité énergétique (les avis semblent partagés…) ;
  • l’absence complète de régulation puisque tout y est anonymisé.

Au risque de me marrer dans 10 ans quand je relirai ces lignes, je pense comme beaucoup que le Web 3 va se faire une place importante mais ne va pas remplacer le Web 2.0 actuel. À moins que, comme certains propos de Elon Musk le laisse entendre, les majors du web actuel inventent un nouveau modèle économique compatible avec la techno du Web 3 et leur appétit capitalistique pour faire passer leurs services dans le Web 3 sans perte de profits !

Web 3 est-il compatible avec le tourisme ?

Notre secteur d’activité semble encore peu enthousiaste pour s’adapter au Web 3. Pourtant le tourisme, lui aussi, évolue considérablement avec des crises accélératrices. Il y a quelques mois, j’écrivais en conclusion de cet article sur ce blog :

“Nous vivons un moment-charnière où à la fois la volonté des destinations et les attentes des visiteurs se transforment en fonction d’une éthique fondée sur une recherche de sens.
Cela ouvre bien des champs à l’imagination pour définir un « nouveau tourisme » qui changera sans doute de nom pour échapper aux connotations si peu valorisantes associées aux « touristes ».
Le rêve est possible…”

Du côté des territoires, cette transformation des désirs liés au temps libre et au voyage, associée à la volonté des destinations d’un nouveau modèle plus durable et éthique pourrait trouver dans le Web 3 des opportunités fortes. Par exemple une blockchain de destination pourrait concrétiser une gouvernance coopérative de l’accueillance associant public et privés, construire et partager un SIT (Système d’Information Touristique) ouvert avec tous les acteurs, réunir habitants et visiteurs pour gérer la fidélisation et le recommandation de la destination, etc.
Ce sont là quelques unes des missions centrales des OGD actuels (Organismes de Gestion de Destination, les OT, les CDT-ADT et les CRT). Devront-ils, pourront-ils, voudront-ils se fondre dans ces blockchains pour les animer et y apporter leur savoir faire ? Je pense que cette question se posera rapidement, notamment dans certaines destinations où le rejet du « tourisme » actuel s’enracine et qui pourraient mettre en œuvre un nouveau modèle coopératif et communautaire plus acceptable.

Du côté des voyageurs, le Web 3 représente la possibilité de réinventer le voyage. Pour preuve cette initiative Wytland, qui se présente ainsi sur Instagram :

Je vous invite à lire leur superbe manifesto, à la fois lucide et utopique et dont voici un extrait maladroitement traduit de l’Anglais par mes soins (et surtout Google !) :

…, nous avons assisté à l’avènement de plates-formes de voyage dominantes et centralisées utilisant le modèle hérité de « rechercher, payer, partir et revenir » où les fournisseurs sont considérés comme banalisés et les voyageurs comme interchangeables.
Mais soyons honnêtes pendant 2 secondes : comme il était simple d’accéder et de réserver avec des réductions incroyables, nous avons laissé ces géants monolithiques contrôler nos voyages en nous disant où aller et quand avec leurs algorithmes propriétaires. 
Vingt ans plus tard, la conséquence en est le tourisme de masse, la surconsommation des ressources & la destruction de l’écosystème du voyage (on a tous entendu parler de l’histoire de « Maya Bay Beach » 😱).

Ainsi, lorsque la pandémie a frappé le monde du voyage, nous avons essayé de trouver le positif dans cette situation, et nous avons senti que cette période était en quelque sorte un signe pour essayer de faire les choses différemment.
Dans le même temps, nous avons également assisté à la montée en puissance du Web3 en tant que nouveau mouvement social qui vise à construire un Internet plus juste et durable autour des communautés et où les créateurs et les utilisateurs peuvent devenir les nouveaux propriétaires des plateformes qu’ils aiment en partageant les valeurs et les revenus.
Cette période Web3 Renaissance était l’autre signe dont nous avions besoin pour repousser les limites de l’exploration et entrer dans ce que nous avons appelé une 
nouvelle ère Columbus ; une ère où chaque voyageur passionné, créateur ou même marque pourrait devenir des explorateurs et nous aider à construire un nouveau monde du voyage centré sur l’interaction humaine, l’authenticité et la propriété. 
Au fond de nous, nous avons senti qu’il était temps de concevoir un nouveau type de plateforme qui appartient à ses parties prenantes et qui fait le pont entre le caractère unique du monde réel et les possibilités infinies du monde numérique.

WYTLAND en tant que plateforme de voyage appartenant à la communauté web3 est née .

Le rêve semble possible !

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Paul FABING était directeur de la Mission Attractivité chez Alsace Destination Tourisme.  Architecte de formation, ancien consultant tourisme, chef du service Tourisme de la Région Alsace, directeur de RésOT-Alsace (Réseau des offices de tourisme), directeur du pôle Qualité de l'accueil à l'Agence d'Attractivité de l'Alsace (AAA), il occupe cette fonction depuis 2020. Entre autres missions, la Mission Attractivité gère et anime le système d’information touristique alsacien qui consolide l’ensemble des [...]
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