L’école des autodidactes

Publié le 29 avril 2013
5 min

Cyber-entretien(*) avec Peter Campbell, General Manager, Wellington, Nouvelle-Zélande

Bonjour. Vous êtes à l’origine du projet d’Ecole pour autodidactes pour le monde du tourisme dans votre pays. Comment est née cette idée ?

Il est devenu banal de dire que tout va de plus en plus vite avec le numérique. Cela a entrainé un gros problème sur le plan de l’éducation. Le système pédagogique a systématiquement un temps de retard sur les évènements. Ce qui fait que bien trop souvent maintenant, l’élève en sait plus que le maitre. D’où une question que beaucoup se posent sur la planète: quelle système de formation imaginer face à une connaissance en permanente ébullition ? Avec nos collègues du monde du tourisme nous avons bien réfléchi à ce problème et nous en avons conclu que le chemin le plus évident était l’autodidaxie. Si nous ne prenons pas en charge notre propre formation, si nous ne devenons pas autodidactes, nous courrons le risque de devenir des analphabètes numériques. 

Je comprends bien l’idée, mais on ne peut pas dire au gens, du jour au lendemain, qu’ils doivent assumer seuls leur formation ! 

Bien entendu, cela serait particulièrement irréaliste. C’est pour cela que nous avons agi progressivement. Plus exactement nous avons développé notre démarche en trois temps. Un premier autour de la veille, un second autour de la «curation», un troisième autour de l’auto-production. Nous avons démarré par la veille car nous vivons avec le web dans un centre de recherche à ciel ouvert. Toutes les pensées, toutes les innovations, toutes les nouvelles idées sont publiées sur la toile. Et il serait dommage de ne pas profiter de cette incroyable richesse. Pour nous la base de l’apprentissage doit être la curiosité. Qu’est-ce qui se passe de nouveau et d’intéressant ? En quoi cela peut-il changer mes idées et mes pratiques ? S’intéresser aux idées et actions des autres est déjà un acte d’auto-formation. Pour cela nous avons recruté parmi les personnels une équipe de «veilleurs» qui ont mis en place un suivi étroit des publications numériques, qui ont créé un système d’alertes très  pointu, et agrégé les flux RSS les plus fertiles. Au début nous avons utilisé Google Reader  et maintenant nous faisons cela sur Feedly. Cette équipe de veille s’est organisée autour d’un blog, mis à jour quotidiennement qui rediffuse les information trouvées et sélectionnées. Chaque fois q’un veilleur trouve un contenu intéressant, il le sauvegarde sur Evernote avec éventuellement un petit enrichissement via un commentaire ou un surlignage. Ensuite le lien vers le document Evernote est posté sur le blog. On est sûr ainsi de ne pas aller vers un lien mort et surtout on capitalise tous les contenus intéressants. 

Et les acteurs du tourisme s’y sont intéressé ? 

Au début cela a été vu comme une source d’information en plus, du temps à consacrer alors qu’on avait le sentiment d’en manquer ! Un important travail a été fait par les managers pour sensibiliser les populations et les motiver à ce nouveau «rituel de veille». Et petit à petit il est devenu évident pour tous les acteurs touristiques de consacrer chaque jour un temps pour savoir ce que pensent et font les autres. Quand l’habitude s’est stabilisée en interne nous l’avons propagée auprès des cibles externes afin que nous puissions tous profiter du même accès à la réalité et aux richesses. 

Ce qui vous a permis de passer à la seconde étape. 

En effet, la veille était pour nous un socle. Elle créait les bases d’une connaissance partagée et surtout donnait envie d’apprendre. Et la nous sommes passés à la «curation de contenus». Il existe de nombreux contenus pédagogiques sur le web, conférences, tutoriels, screencasts, ebooks. Malheureusement ils sont dispersés et sont un peu comme des aiguilles dans des bottes de foin. La curation de contenus permet de les identifier et de les assembler pour les mettre à disposition des utilisateurs. C’est donc un travail de synthèse et de mise en scène qui est ainsi effectué. Pour cela nous avons utilisé des technologies comme Storify ou Pearltrees. Nous les avons annoncés sur le blog et stockés sur un Wiki da façon à organiser notre campus interne. Là aussi nous avons fait appel au volontariat et nous avons constatés que les populations de «veilleurs» étaient différentes de celles des «curateurs». Les premiers veulent détecter, trouver, dénicher. Les seconds veulent organiser, contextualiser, relier. 

Tout cela pour en arriver à la troisième étape, celle de l’auto-production. 

Il y a une phrase que j’aime bien et qui dit : «l’expert est celui qui sait et le pair celui qui sait faire». Nous avons donc voulu faire un campus entre pairs. Il se fait dans nos équipes des choses formidables mais nous ne prenons pas le temps de les partager. Nous avons donc demandé aux acteurs innovants de notre réseau de prendre un temps pour restituer leur savoir-faire en le modélisant et en le mettant à la disposition des autres. Nous leur avons proposé une méthode pour créer des contenus de micro-formation. Nous avons sectionné des outils et des logiciels. Et là nous avons formé les volontaires. Car en fait il s’agit ici de faire de l’ingénierie pédagogique et pour cela il faut partager une méthode et des pratiques. Un groupe de validation des contenus pédagogiques a également été créé pour recevoir et valider les micro-modules de formation avant de les diffuser. Ces contenus, une fois validés sont mis en ligne dans des campus thématiques bâtis autour de Google+ et accessibles de n’importe quel terminal, ordinateur, téléphone ou tablette. A ce propos nos chiffre indiquent une croissance impressionnantes des usages pédagogiques sur terminaux mobiles. Téléphones ou tablettes sont peut-être déjà devenus les outils idéaux de l’auto-formation.

Est-ce que cela a amené à des économies sur le budget formation ? 

Ce n’est pas ce que nous recherchions. Nous voulions être plus efficaces et non moins chers. C’est pour cela que tous les budgets consacrés à la formation on été investis dans cette démarche pour la créer, l’animer et surtout la «récompenser». Nous avons créé une monnaie virtuelle, destinée à gérer les échanges autour de la formation. Chaque utilisateur reçoit en début d’année un quota de cette monnaie et doit l’affecter au fil de l’année aux auteurs de veille, de curation ou de contenus originaux. Chaque fin d’année les comptes sont arrêtés et les personnes qui se sont investies reçoivent un complément de salaire fondé sur les évaluations des utilisateurs. 

Quels sont les principaux bénéfices d’une telle démarche ? 

La vitalité du groupe est devenue beaucoup plus forte. Il existe maintenant une curiosité de tous les acteurs et une motivation renforcée par les liens d’information entre les structures. Les trois populations, veilleurs, curateurs et formateurs, montent en compétence et trouvent ici une reconnaissance qui les motive et les aide à progresser. La logique d’école entre pairs a permis de faire de la formation une action permanente et quotidienne qui fait partie des habitudes et qui est à l’usage beaucoup plus satisfaisante que la formation en salle. Cela n’empêche pas de se retrouver de temps en temps pour échanger autour de tous ces contenus. La formation est devenue un rituel partagé, une respiration pour tout notre réseau. Et surtout chacun se sent vraiment responsable de son «plan de formation individuel».

Merci 

(*) cyber-entretien : entretien qui aurait très bien pu être réel et qui ne recourt qu’à des technologies à notre disposition 😉

 

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Frederic SOUSSIN est consultant spécialisé dans les nouveaux usages du numérique. Il est basé à Angoulême et exerce ses activités en indépendant depuis une vingtaine d'années. Il est venu au numérique par passion et par jeu et à toujours mis la priorité sur l'ergonomie, la simplicité et le design. C'est donc, bien entendu, un adepte de la tribu des applemaniaques ! Il est aujourd'hui particulièrement en pointe sur le web [...]
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