Chronique de celui qui a vu le feu et à qui on promet l’extinction…

Publié le 9 mai 2019
7 min

Les flammes ont brûlé davantage que la toiture de Notre-Dame

Les flammes brulaient alors la toiture de Notre-Dame. C’était il y a presque un mois, le 15 avril, c’était hier mais on dirait presque une éternité. Dehors, des parisiens et des touristes se groupaient devant l’édifice en feu, empêchant les secours d’arriver au plus vite. Le feu était pour certains signe d’apocalypse, ils y voyaient un signe. D’autres pleuraient, assistant impuissants à la destruction d’une charpente millénaire. Leurs larmes auraient pu aider à éteindre l’incendie qu’ils les auraient données aux pompiers. Certains se prenaient en photos devant ce foyer improbable, le filmaient, le détaillaient. Etait-ce pour poster cette image encore improbable une heure auparavant sur les réseaux sociaux ? Ou bien pour graver dans la mémoire numérique cet instant, promis à l’histoire. La flèche imaginée par Viollet-le-Duc s’effondra, on entendit comme un murmure.  Je ne pus m’empêcher de penser à cet instant précis aux mots de Victor Hugo, écrits dans son célèbre pamphlet de jeunesse « Guerre aux démolisseurs », « chaque jour quelque vieux souvenir de la France s’en va avec la pierre sur laquelle il était écrit. » Tant de vieux souvenirs s’en allaient dans cette fumée, un ange semblait même s’agripper aux poutres en feu. Certains y virent un miracle, un signe divin. Tant de vieux souvenirs partaient en fumée, ceux des différentes versions de la cathédrale depuis la pose de la première pierre en 1163 jusqu’à celle que nous connaissons aujourd’hui, dont les historiens d’art disent qu’elle est celle d’un gothique fantasmé, imaginaire. Nos vieux souvenirs, les visions fantasmées et imaginaires de notre histoire, de notre présent, de notre avenir. Les cendres étaient encore chaudes, quelques heures plus tard, que des communiqués étaient publiés pour annoncer des dons par millions d’euros pour aider à sa reconstruction. L’argent promis coulait à flot dans les colonnes des gazettes. Ici 100 millions, là 200 millions. Un concours de générosité était lancé, une sorte de rivalité des donateurs les plus fortunés. Cela pouvait faire penser à un concours de beauté ou de vertu. Et puis l’idée de la reconstruction était dans tous les esprits. « Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. » Le reconstruire, c’est remplir son devoir. Les anciens et les modernes commençaient à se livrer bataille. Fallait-il reconstruire à l’identique, mais identique à quelle époque ? Ou bien imaginer l’édifice dans la modernité ? Combien de temps devait-on prévoir : cinq ans pour ouvrir Notre-Dame aux visiteurs des Jeux Olympiques de 2024, dix ans, vingt ans voire davantage ? Pouvait-on paraphraser Victor Hugo, toujours dans le même pamphlet, « De grâce, employez mieux nos millions »…

Incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris (source : Le Monde)

L’Homme a mangé la Terre 

Mais les flammes n’ont pas brûlé pas que Notre-Dame. La planète brûle sous le feu de nos activités humaines. « L’Homme a mangé la Terre » affirmait un documentaire récent (toujours visionnable en podcast sur le site d’Arte https://www.arte.tv/fr/videos/073938-000-A/l-homme-a-mange-la-terre/),d’un appétit vorace, égoïste et irresponsable. On le sait depuis longtemps. Combien de temps ? Quelques années, pire quelques décennies. Celles et ceux de ma génération s’en souviennent, ils doivent se sentir toutes et tous un peu coupables, à défaut d’en être responsable. 17 ans… « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » a-t-on entendu Jacques Chirac professer au Sommet de la Terre de Johannesburg en 2002.  19 ans… Deux ans plus tôt, en 2000 Josef Crutzen, définit la notion d’anthropocène : l’espèce humaine exerce une telle influence sur la planète qu’elle est comparable aux grandes transformations géologiques du passé. « Si l’on rapporte l’histoire de notre planète à une journée de 24 heures, l’homme est apparu dans les 5 dernières secondes. Et l’époque de l’anthropocène, c’est-à-dire l’époque industrielle, serait apparue dans les 2 derniers millièmes de seconde ». 27 ans… Et puis le Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992, avec des espoirs immenses et des lendemains et impacts nuls ou presque, les émissions globales de dioxyde de carbone (CO2) ayant augmenté dans le monde de près de 50 % depuis 1990. 40 ans… Une vidéo sur le site de l’INA de 1979 montre Haroun Tazieff et le Commandant Cousteau expliquer, notamment pour le premier, que le risque de réchauffement climatique vient de la pollution industrielle qui peut créer un effet de serre qui peut faire monter le niveau de l’eau https://www.ina.fr/video/I07151948. Haroun Tazieff explique qu’il faut replanter des arbres, partout dans le monde. En France, en Nouvelle-Guinée, en Afrique, en Amazonie.  On ne peut pas dire qu’en quarante ans, nous n’avons pas entendu le message. Qu’avons-nous fait concrètement ? Organiser des sommets partout dans le monde au bilan carbone désastreux et aux engagements parfaitement illusoires et inefficaces ? Les larmes de Laurent Fabius à la COP21 ont-elles permis d’éteindre notre incendie planétaire ?La 6èmeextinction est en marche et c’est sans doute qui elle s’annonce comme notre nouveau monde ! 

Haroun Tazieff (source : INA)

Le voyage ordinaire ne l’est pas tant que cela

Chacun de nos voyages confirme cette disparition rapide de l’écosystème qui fit notre émerveillement et le bonheur des voyages de l’autre côté de la rue ou à l’autre bout du monde. Les pare-brises de notre enfance étaient couverts d’insectes après un trajet estival, même court. Que sont devenus aujourd’hui ceux qui nous agaçaient hier, qui s’incrustaient dans nos narines lors de nos sorties cyclistes, bien avant que l’on parle de mobilités douces et de tourisme à vélo ? Loin de moi l’idée de la douceur du temps jadis, loin de nous la volonté de cultiver une certaine forme de mélancolie. Parce que l’on sait depuis 1975 et la parution du récit de Simone Signoret que « la nostalgie n’est plus ce qu’elle était »… Aujourd’hui, une traversée de la France en plein mois de juillet ne salit plus nos véhicules. Nous pourrions être cyniques et nous en extasier. Merci à toi glyphosate ! Merci à vous pesticides, merci sans doute également à vous perturbateurs endocriniens ! Votre présence en nos sols, en nos rivières, en notre environnement serait presque une bénédiction pour celle ou celui qui n’a plus à laver son véhicule… Malgré cette économie de lavage, nous devons nous sentir salis. Parce que nos modes de vie et nos voyages incessants souillent, détériorent, épuisent, détruisent. Nous devons réinventer le voyage extraordinaire, non pas celui au sens de Jules Verne, mais celui au sens étymologique. L’extraordinaire doit devenir notre ordinaire. Nous devons abandonner notre appétit, notre gloutonnerie. Dans le fond, est-ce bien raisonnable d’utiliser l’avion comme on montait jadis sur son vélo ? Il faut revenir au sens du respect du temps, de la distance, de la vitesse. Abandonner la course au gigantisme, au record, au toujours plus. Retrouver le goût de la simplicité, de la proximité, de l’humain. Jean-François Rial propose de planter des milliards d’arbres pour lutter contre la pollution des avions et de faire financer la transition technologique et environnementale par une contribution versée par les clients (10 euros la tonne de CO2) https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-interview-eco/jean-francois-rial-pdg-de-voyageurs-du-monde-veut-faire-planter-des-milliards-darbres-contre-la-pollution-des-avions_3403059.html?fbclid=IwAR0JMtBB_wuxhYGA0ZxgUDUUA2bi4iWTcxt33Pib1eggiPR9l_ujjADldo8. C’est ce qu’il faut initier rapidement. Pleurer la perte de quelques pourcentages de taux d’occupation – une activité récurrente des professionnels du tourisme en France – ne rime à rien quand la température augmente, quand la biodiversité n’existe plus (on peut envisager de parler désormais de biomonotonie ou de biouniformité), quand le choix n’est plus possible. Ces arbres doivent redevenir le poumon de notre planète, c’est ce prédisait Tazieff en 1979. Ils ne doivent pas contribuer à devenir des plantations de palmiers à huile, même certifiées par des écolabels. 

Un pare-brise avant l’extinction des insectes

Nos modèles économiques sont devenus délirants, l’âprêté aux gains déraisonnable. Pour ma part, j’ai quasiment arrêté de prendre l’avion le jour où, il y une quinzaine d’années, j’ai appris que des compagnies aériennes voulaient faire payer au supplément aux passagers qui souhaitaient voyager assis. Je ne suis pas une référence, mais je suis convaincu que les petits ruisseaux peuvent déboucher sur de grandes rivières. Le voyage ordinaire en France, en somme. Celui des insectes écrasés sur le pare-brise, celui de l’intermodalité touristique. Je dois avouer que cela m’a fait redécouvrir le transport ferroviaire, la beauté de la France, le charme de nos paysages, l’attractivité de notre proximité. Et j’ai compris que le voyage ordinaire ne l’est pas tant que cela. Il doit devenir notre raison et notre horizon. Il doit être notre oraison, sans prétendre à s’élever comme notre oraison funèbre… 

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Brice Duthion est président - fondateur de la société "Les nouveaux voyages extraordinaires", agence spécialisée en conseil, conférences et communication. Il intervient auprès de nombreux acteurs publics et privés dans ses domaines d'expertise : le tourisme, la culture et le développement territorial. Acteur engagé et passionné, membre du comité d'experts tourisme et développement territorial du CNFPT et de l'INSET de Dunkerque, il fait partie de l'équipe des blogueurs du site [...]
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